Malgré les défis contemporains, adopter une perspective des droits humains pour l’analyse des risques n’a jamais été aussi crucial 

Le 13ème Forum des Nations Unies sur les entreprises et les droits humains s’est conclu, répondant avec succès à nos attentes grâce à un mélange d’intensité et d’enthousiasme alors que nous avons retrouvé des collègues familiers et noué de nouvelles relations. Cela dit, je crois que beaucoup seront d’accord pour dire que les longues attentes pour l’activation des badges et le café étaient des aspects moins favorables de experience. Les recommandations présentées lors de la conférence étaient perspicaces, mais largement alignées avec les idées et les pratiques existantes. Presque tous les points à retenir des sessions auxquelles j’ai assisté ont souligné l’importance d’adopter une approche de  » l’assortiment judicieux de mesures » pour mettre en œuvre efficacement les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits humains. Cette approche intègre des mesures nationales, internationales, volontaires et obligatoires pour relever divers défis. Les discussions ont mis l’accent sur la nécessité de stratégies adaptées dans des domaines clés tels que l’action de l’État, la technologie, le changement climatique et la diligence raisonnable en matière de droits humains, promouvant un cadre global et collaboratif pour améliorer l’impact et l’accès aux recours. Tour d’horizon.

3 principaux enseignements

De nombreux experts ont souligné qu’il est essentiel de s’assurer que les initiatives ne sont pas simplement une « tendance » passagère ; elles doivent être soutenues par une mise en œuvre solide pour obtenir un impact durable. Bien que les projets pilotes et les tests soient bénéfiques, le climat actuel exige une action urgente, notamment face à l’intelligence artificielle rapide et non régulée, aux attaques numériques transnationales contre les défenseurs des droits humains dans un paysage géopolitique instable, et aux conflits en cours.  

Cependant, la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD) a été sans conteste la vedette de l’événement, dominant les discussions et capturant une attention significative de la part des participants. 

La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD) [voir ci-dessous pour un aperçu de ce que cela implique pour les entreprises européennes] représente un tournant significatif pour les entreprises et les cadres réglementaires, car elle introduit des attentes cruciales en matière de responsabilité des entreprises et de protection des droits humains dans les chaînes d’approvisionnement. Les résultats nuancés de cette directive résident dans son potentiel à remodeler les pratiques commerciales en promouvant une plus grande transparence et responsabilité ; cependant, elle pose également des défis en matière de transposition et de mise en œuvre à travers des environnements réglementaires variés. Au cœur de cette discussion se trouve la question du fardeau administratif, suivant la déclaration d’Ursula von der Leyen la semaine dernière, suggérant que « la Commission européenne proposerait une législation omnibus dans le but de ‘réduire la bureaucratie [et] réduire les charges de déclaration’. » Cela implique que l’UE devrait rouvrir et fusionner la CSRD, la CS3D et la Taxonomie. 

Les experts de l’UE ont offert des mots de réconfort, mais leur ton était marqué par l’hésitation, surtout après le récent report du Règlement sur la déforestation de l’UE (EUDR). Les critiques ont soulevé trois préoccupations majeures concernant cette consolidation.  

Cependant, malgré les défis contemporains tels que les crises climatiques, les troubles sociaux et les guerres, les questions entourant la réglementation du devoir de vigilance, les entreprises et les droits humains n’ont jamais été aussi cruciales. 

1. Le prisme des droits humains permet de mieux anticiper plutot que de subir les crises

Les entreprises évoluent dans des cadres internationaux de plus en plus incertains et volatils—incidents climatiques, crises sociales, guerres… La mise en œuvre efficace du devoir de vigilance ancre les enjeux, les risques et les types de solutions concrètes qui peuvent être appliqués au niveau opérationnel de chaque entreprise. Cela améliore la compréhension des risques et des solutions qui doivent être mises en œuvre. Par ailleurs, les retards peuvent entraîner des opportunités manquées, une non-conformité réglementaire et des risques accrus. Une prise de décision rapide garantit une allocation efficace des ressources, répond aux attentes des parties prenantes et améliore la performance organisationnelle. 

2. Opérer dans un marché du travail toujours plus tendu et s’appuyer sur les méthodologies portées par la digiligence raisonnable à cet égard

Dans un marché du travail de plus en plus tendu, où la dépendance à l’égard de travailleurs vulnérables ou migrants devient courante, il est essentiel de traiter des problématiques telles que la précarité, l’inclusion et la formation. Le devoir de vigilance en matière de droits humains offre un cadre pour s’attaquer systématiquement à ces problèmes, contribuant à des programmes qui favorisent la gestion responsable des facteurs humains.

3. Identifier les leviers de durabilité de long terme résilients quelle que soit l’incertitude politique

La promotion des droits humains en tant que levier stratégique est essentielle pour les entreprises en raison de plusieurs facteurs interconnectés. Elle permet une atténuation efficace des risques en identifiant et en abordant les problèmes sociaux et environnementaux potentiels avant qu’ils ne s’aggravent, protégeant ainsi les entreprises contre des responsabilités juridiques et des dommages à leur réputation. Un engagement en faveur des droits humains favorise la confiance parmi les parties prenantes—employés, clients, investisseurs et communautés—améliorant la loyauté et l’image de marque. De plus, alors que les réglementations concernant les droits humains continuent d’augmenter, aligner les pratiques commerciales sur ces normes assure la conformité et évite les sanctions. Cette focalisation attire également des investissements socialement responsables, les investisseurs recherchant des entreprises avec des pratiques solides en matière d’environnement, de social et de gouvernance. Par ailleurs, la détermination en faveur des droits humains peut différencier une entreprise sur un marché concurrentiel, séduisant les consommateurs qui privilégient les marques éthiques. En fin de compte, en intégrant les droits humains dans leur cadre stratégique, les entreprises peuvent naviguer plus efficacement dans la volatilité géopolitique et contribuer à la durabilité à long terme et à la responsabilité sociale, favorisant une société plus juste et plus équitable.

Cadre réglementaire et méthodologique de gestion des risques et de l’incertitude

Dans l’environnement mondial rapide d’aujourd’hui, les entreprises doivent adopter une perspective des droits humains pour gérer des risques tels que les événements climatiques, les crises sociales et les conflits géopolitiques. Cette approche non seulement aide à identifier et à traiter les risques au niveau opérationnel, mais prévient également les retards susceptibles de conduire à des opportunités manquées et à des problèmes de conformité. Avec un marché du travail de plus en plus dépendant de travailleurs vulnérables, il est crucial de se concentrer sur l’inclusion, la formation et la sécurité de l’emploi. Les entreprises priorisant les droits humains peuvent atténuer les risques juridiques et réputationnels, instaurer la confiance des parties prenantes, garantir la conformité réglementaire et attirer des investissements socialement responsables. L’intégration des droits humains dans les stratégies des entreprises aide à naviguer dans les incertitudes politiques et contribue à une société plus juste. 

Zoom sur la CS3D

La CSDDD est une proposition législative de la Commission européenne visant à garantir que les entreprises opérant au sein de l’UE prennent en compte les impacts sociaux et environnementaux de leurs activités. La directive cherche à intégrer des processus due diligence raisonnable dans les activités principales des entreprises afin d’identifier, de prévenir, d’atténuer et de rendre compte des impacts négatifs sur les droits humains et l’environnement. 

Les objectifs de la CS3D

Qui est concerné ?

La CSDDD s’appliquera aux grandes entreprises de l’UE ainsi qu’aux entreprises non-UE qui exercent des activités significatives sur le marché de l’UE. Plus précisément, elle cible :

  • Les entreprises de l’UE comptant plus de 500 employés et un chiffre d’affaires net mondial dépassant 150 millions d’euros. 
  • Certains secteurs à fort impact auront des seuils plus bas de 250 employés et 40 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Quelles sont les exigences de la CS3D ?

1. Effectuer des évaluations régulières de diligence raisonnable Cela consiste à identifier, prévenir et atténuer les problèmes potentiels liés aux droits humains et à l’environnement tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement.
2. Engager les parties prenantesLes entreprises doivent dialoguer avec les aprties prenantes pour comprendre les impacts de leurs opéartions et solliciter leur avis pour atténuer les effets négatifs.
3. Rapporter publiquement sur les activités de diligence raisonnable Pour garantir la responsabilité, les entreprises devront publier des rapports réguliers détaillant leurs processus de diligence raisonnable et les résultats obtenus.
4. Réparation Lorsque des dommages sont identifiés, les entreprises doivent prendre des mesures pour fournir des recours aux communautés touchées ou remédier aux dommages environnementaux.

Implications pour les entreprises

Quelles sont les conséquences en cas de mauvaise ou de non-application des exigences pour les entreprises ? 

La CSDDD exige que les États membres désignent une ou plusieurs autorités de surveillance responsables de veiller au respect des obligations énoncées dans la directive. Ces autorités auront le pouvoir d’appliquer la conformité tant aux exigences de diligence raisonnable qu’aux exigences liées au changement climatique. 

Dans l’exercice de leurs fonctions, les autorités de surveillance se verront octroyer au moins les pouvoirs suivants : 

La directive représente un changement significatif vers des pratiques de durabilité obligatories pour les entreprises. Elle intègre la durabilité dans la stratégie commerciale principale et la gestion des risques opérationnels. Les entreprises devront reconsidérer leurs relations dans la chaîne d’approvisionnement et s’engager dans un dialogue plus approfondi avec les parties prenantes.

  • Mandater la cessation de toute infraction 
  • Exiger d’éviter de reproduire la conduite spécifiée 
  • Garantir un remède approprié 
  • Imposer des pénalités 
  • Mettre en œuvre des mesures intérimaires dans des situations où il existe une menace imminente de dommages significatifs et irréparables. 

Conclusions

La conclusion est paradoxale. Les échanges durant le 13ème Forum des Nations Unies sur les entreprises et les droits humains étaient teintés de pessimisme porté par le contexte géopolitique (accroissement des zones de conflits dans le monde, succession d’élections préoccupantes en Europe et aux USA notamment) et différents reculs réglementaires récents (EUDR). En même temps, les décideurs économiques font face à des situations complexes portées par de nombreuses injonctions contradictoires : conformité réglementaire, tendances de marchés, accès aux ressources et capitaux.

En réponse, les méthodologies et l’expertise portée par les travaux et programmes traitant des droits humains offrent une opportunité unique aux entreprises de mieux appréhender la complexité, cerner les dynamiques créant de l’incertitude, et réduire les risques et impondérables là.

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Krystel est consultante senior, contribuant aux missions de conseil et de participation de débat public de Ksapa. Elle agit principalement sur les sujets de droits humains et plus généralement sur la durabilité. Krystel a été également juriste senior au sein du département « Human Rights & Business » du Syrian Legal Development Programme (SLDP) où elle a développé une expertise en matière d'entreprises et droits humains dans les zones touchés par les conflits. ​

Auparavant, Krystel a travaillé comme consultante en Business and Human Rights, conseillant des experts de premier plan sur un large éventail de projets dans le secteur privé, les organisations internationales et les institutions universitaires. Elle a été admise au barreau de Beyrouth et a travaillé comme avocate dans le domaine de l'arbitrage international et des droits humains. Krystel est titulaire d'un LL.M. de la SOAS, School of Oriental and African Studies, Université de Londres, d'un diplôme de droit public de l'Université Saint-Esprit de Kaslik, Liban, et d'un diplôme de sciences politiques de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth. ​

Elle parle couramment le français, l'anglais et l'arabe.​

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