Pourquoi l’action climatique protège les droits humains?

A Ksapa, nous sommes régulièrement interrogés par nos clients – tous secteurs et marchés confondus à travers le monde – sur les raisons qui fondent l’intégration des considérations environnementales dans nos projets et travaux en matière de droits humains. Pour nous, droits humains et questions environnementales sont pourtant très liés. Nous constatons sur une base quotidienne comment la mise en œuvre d’actions climatiques contribue à l’amélioration de la jouissance des droits humains. Et comment l’amélioration des droits de l’homme agit sur l’action climatique. Malgré l’unanimité de plus en plus grandissante sur l’interconnexion entre droits humains et actions climatiques, unanimité découlant de récentes réglementations, standards, et au travers de l’expression des attentes de parties prenantes, il nous parait toujours nécessaire d’y apporter quelques explications. Ci-dessous une tentative à cet effet.

1. Quelle est la relation entre le climat et les droits humains ?

La relation entre climat et droits humains est multidimensionnelle et interconnectée. En effet, le changement climatique a un impact significatif sur la jouissance des droits humains, au regard de de son impact négatif sur divers aspects du bien être de l’homme et l’aggravation des situations de vulnérabilités. Voici quelques points clés de la relation entre le climat et les droits humains:

  1. Droit à la vie et à la santé : Le changement climatique présente des risques importants pour la vie et la santé humaines notamment au regard de la fréquence et l’intensité accrues des catastrophes naturelles, des phénomènes météorologiques extrêmes et de la propagation des maladies . Ces impacts entraînent des pertes de vies humaines, des déplacements de population et des effets néfastes sur la santé, portant ainsi atteinte aux droits fondamentaux à la vie, à la santé et à l’accès aux soins de santé.
  2. Le droit à l’alimentation et à l’eau : Le changement climatique a un impact sur la productivité agricole, modifie les écosystèmes et perturbe la disponibilité de l’eau, ce qui entraîne une insécurité alimentaire et hydrique. Cette situation met en péril le droit à une alimentation adéquate et à une eau potable, en particulier pour les communautés vulnérables qui dépendent de l’agriculture et des ressources naturelles
  3. Le droit au logement et aux moyens de subsistance : L’augmentation du niveau des mers, les phénomènes météorologiques extrêmes et d’autres facteurs liés au climat contribuent à la destruction des habitations, des infrastructures et des moyens de subsistance. Les déplacements et les migrations forcées, provoqués en partie par le changement climatique, peuvent entraîner des violations du droit à un logement adéquat et du droit de travailler et de gagner sa vie.
  4. Le droit des peuples autochtones : Les communautés autochtones ont souvent des liens profonds avec leurs terres, qui sont menacées par les effets du changement climatique tels que la déforestation, la dégradation des sols et la perte de la biodiversité. Ces effets portent atteinte aux droits des peuples autochtones à l’autodétermination, à l’intégrité culturelle et à des moyens de subsistance traditionnels.
  5. Le droit à la participation et à l’information : Les processus de prise de décision et les politiques en matière de changement climatique peuvent avoir des répercussions importantes sur les droits de l’homme. Garantir une participation significative de toutes les parties prenantes, y compris les groupes marginalisés, aux processus décisionnels liés au changement climatique est essentiel pour faire respecter le droit à la participation et à l’accès à l’information.
  6. Justice climatique et équité : Le changement climatique affecte de manière disproportionnée les populations vulnérables, notamment les communautés à faibles revenus, les groupes marginalisés, les femmes et les enfants. Pour aborder le changement climatique sous l’angle des droits de l’homme, il faut mettre l’accent sur l’équité et la justice et s’attaquer aux inégalités structurelles sous-jacentes afin de garantir une répartition équitable de la charge et des bénéfices de l’action climatique.
  7. Interdépendance et indivisibilité des droits humains : Les effets du changement climatique touchent plusieurs droits de l’homme, ce qui met en évidence l’interdépendance et l’indivisibilité des droits. Les efforts visant à lutter contre le changement climatique et à protéger les droits de l’homme devraient se renforcer mutuellement, en reconnaissant que la réalisation d’un droit dépend souvent de la réalisation d’autres droits.

La reconnaissance de l’existence de liens indéniables entre changement climatique et droits humains est très cruciale à l’élaboration de politiques climatiques, des stratégies d’adaptation et des efforts d’atténuation efficaces. L’intégration des principes des droits de l’homme dans l’action climatique est de nature à garantir non seulement l’équité et l’inclusivité des réponses aux changement climatiques mais aussi contribuer à s’assurer que ces réponses sont centrées sur le bien être et la dignité de tous les individus et de toutes les communautés.

2. Existe-t-il des obligations légales appelant les entreprises à intégrer des considérations climatiques dans leurs politiques en matière de droits humains ?

Le préambule de l’Accord de Paris à la CCNUCC (1/CP. 21) reprend et élargit ce langage en appelant les États, lorsqu’ils prennent des mesures pour lutter contre le changement climatique, à « respecter, promouvoir et prendre en compte leurs obligations respectives en matière de droits de l’homme ». Il ne s’agit pas d’une obligation juridique universellement contraignante reliant spécifiquement le changement climatique et les droits de l’homme pour les entreprises. Cela étant dit, chaque fois que les entreprises affirment soutenir l’Accord de Paris ou s’engagent à mettre en œuvre des objectifs fondés sur la science pour calibrer leur stratégie climatique, il nous semble cohérent – ou contraignant – de respecter également le langage du préambule de cet accord.

Il est également important de noter qu’il existe des cadres juridiques et des tendances émergentes qui soulignent la responsabilité des entreprises dans la lutte contre les effets du changement climatique sur les droits de l’homme. Voici quelques aspects clés à prendre en compte :

  1. Lois et réglementations nationales : Les lois et réglementations varient d’une juridiction à l’autre, et certains pays ont adopté une législation obligeant les entreprises à prendre en compte et à traiter les impacts environnementaux et sociaux, ce qui peut inclure le changement climatique et ses effets sur les droits de l’homme. Les entreprises peuvent être légalement obligées de réaliser des évaluations de l’impact environnemental, de respecter des exigences spécifiques en matière de rapports ou de se conformer à des réglementations sectorielles qui traitent des risques liés au climat et de leur impact sur les droits de l’homme.
    • En 2022, la Cour suprême du Brésil est devenue la première instance judiciaire à reconnaître l’Accord de Paris comme un traité relatif aux droits de l’homme. Le Canada, l’Inde, la France, l’Allemagne et de nombreuses autres juridictions disposent d’instruments juridiques reliant la publication d’informations sur le climat par les entreprises et les droits de l’homme. En effet, que ce soit la loi française sur le devoir de diligence, la loi allemande sur la chaîne d’approvisionnement ou la loi norvégienne sur la transparence, toutes ces lois incluent dans leur champ d’application non seulement les dommages causés aux droits de l’homme, mais aussi les dommages causés à l’environnement.
    • S’agissant du cas de la France en particulier, il est de plus en plus récurrent pour des entreprises de voir leur responsabilité en matière de devoir de vigilance être engagée par des ONG pour des manquements tirés de l’inadéquation de leurs actions en matière climatique. Le cas de BNP Paribas est intéressant dans cette perspective. Sa responsabilité en matière de vigilance a été questionnée par différentes ONG en raison du financement d’activités ayant un impact négatif sur les efforts de lutte contre le changement climatique. De plus la charte française de l’environnement traduit le lien intrinsèque entre jouissance des droits humains et climat. En effet, la charte de l’environnement intégrée dans le blog de constitutionnalité depuis 2005 mentionne clairement que  « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel » lequel milieu naturel implique nécessairement le climat.
    • La directive CS3D de l’Union européenne, en cours d’élaboration, s’oriente clairement dans la même direction en 2023. En effet, dans sa version initiale, seul un rapport sur la stratégie des entreprises visant à remédier aux principaux effets négatifs sur les droits de l’homme était obligatoire pour les entreprises. Mais récemment, le JURI du Parlement européen l’a révisé pour coupler le rapport sur les droits de l’homme avec un rapport sur le plan d’action climatique de l’entreprise afin de s’aligner sur l’objectif de 1,5 C de l’Accord de Paris.
  2. Plans d’action et politiques nationales : Certains pays ont élaboré des plans d’action ou des politiques nationales sur les entreprises et les droits de l’homme qui décrivent les attentes des entreprises, y compris celles liées au changement climatique. Ces cadres peuvent encourager ou exiger des entreprises qu’elles prennent des mesures pour atténuer les impacts sur les droits de l’homme liés au climat dans le cadre de leurs activités, de leurs chaînes d’approvisionnement et de leurs communautés.
  3. Engagements volontaires et lignes directrices internationales : Bien qu’elles ne soient pas juridiquement contraignantes, les entreprises peuvent choisir d’aligner leurs actions sur les lignes directrices et les cadres internationaux intégrant changement climatique et droits humains. Par exemple, les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme constituent un cadre mondialement reconnu permettant aux entreprises de respecter les droits de l’homme dans l’ensemble de leurs activités, y compris en ce qui concerne le changement climatique.
  4. Initiatives sectorielles : Dans certains secteurs, des standards et initiatives industrielles volontaires peuvent définir les attentes des entreprises en matière de changement climatique et de droits de l’homme. Par exemple, dans l’industrie extractive, le Conseil International des Mines et Métaux (CIMM) a élaboré des lignes directrices qui mettent l’accent sur l’intégration des considérations relatives aux droits de l’homme, y compris les impacts liés au climat, dans les activités des entreprises. Les normes d’audit telles que SMETA ont été initialement développées pour promouvoir des chaînes d’approvisionnement éthiques et socialement responsables. Aujourd’hui, elles incluent également des considérations environnementales (protocoles d’audit SMETA : chapitres 2 et 4).
  5. Litiges et Jurisprudence : Certaines actions en justice ont été intentées contre des entreprises au motif que leurs actions ou leurs émissions ont contribué au changement climatique, violant ainsi les droits de l’homme. Bien que l’issue de ces affaires puisse varier, elles soulignent la possibilité pour les tribunaux d’établir des précédents juridiques liant le changement climatique et les responsabilités des entreprises en matière de droits de l’homme. Plus de 2 000 litiges liés au climat sont en cours dans le monde aujourd’hui. Environ un quart d’entre eux ont été déposés entre 2020 et 2022.

Il est important de noter que les obligations légales peuvent évoluer au fil du temps, à mesure que de nouvelles lois, décisions de justice et accords internationaux sont élaborés. En outre, les exigences et les attentes des entreprises en matière de changement climatique et de droits de l’homme peuvent varier d’une juridiction à l’autre. Il est donc essentiel que les entreprises se tiennent informées de l’évolution du paysage juridique. Plus important encore, les entreprises sont encouragées à aborder de manière proactive leurs impacts sur les droits de l’homme liés au climat, en tenant compte à la fois des obligations légales et des meilleures pratiques émergentes. C’est exactement ce que nous promouvons chez Ksapa – et c’est pourquoi nous intégrons des considérations environnementales fortes dans nos programmes relatifs aux droits de l’homme.

3. Les normes de développement durable associent elles droits de l’homme et climat ?

Les normes et cadres de développement durable reconnaissent également de plus en plus l’interconnexion entre les droits de l’homme et le changement climatique. Ces normes visent à traiter les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) de manière holistique, en reconnaissant la relation intrinsèque entre les impacts sur le climat et les droits de l’homme. Bien que les normes spécifiques puissent varier, voici quelques exemples de cadres de durabilité qui établissent un lien entre les droits de l’homme et le climat :

  1. Le Pacte mondial des Nations Unies : Le Pacte mondial des Nations Unies est une initiative volontaire qui encourage les entreprises à adopter des politiques durables et socialement responsables. Il comprend dix principes couvrant des domaines tels que les droits de l’homme, le travail, l’environnement et la lutte contre la corruption. Le principe 1 souligne spécifiquement l’importance pour les entreprises de soutenir et de respecter les droits de l’homme, y compris dans le contexte du changement climatique.
  2. Objectifs de Développement Durable (ODD) : Les ODD, adoptés par les Nations Unies, fournissent un cadre mondial pour le développement durable. Les objectifs intègrent les dimensions environnementales, sociales et économiques, soulignant la nécessité d’un développement inclusif et durable. Les ODD reconnaissent la relation entre le changement climatique (ODD 13) et les droits de l’homme (ODD 16), entre autres.
  3. Principes de l’Équateur : Les Principes de l’Équateur constituent un cadre de gestion des risques pour les institutions financières, en particulier en ce qui concerne le financement de projets. Ces principes prennent en compte une série de risques environnementaux et sociaux, y compris le changement climatique et les impacts sur les droits de l’homme. Les institutions financières qui adoptent les Principes de l’Équateur s’engagent à évaluer et à prendre en compte ces risques dans leurs décisions de financement de projets.
  4. Critères de performance de la Société Financière Internationale (SFI) : Les normes de performance de la SFI sont un ensemble de normes environnementales et sociales qui guident le secteur privé dans la gestion des risques et des impacts associés aux projets de développement. Ces normes soulignent l’importance d’identifier et de traiter les risques liés au changement climatique et les impacts potentiels sur les droits de l’homme tout au long du cycle de vie des projets.
  5. Global Reporting Initiative (GRI) : la GRI fournit un cadre de rapport largement utilisé par les organisations pour divulguer leurs performances en matière de développement durable. Les normes de la GRI exigent des organisations qu’elles rendent compte de divers aspects du développement durable, y compris les droits de l’homme et l’impact du changement climatique. Les organisations sont encouragées à prendre en compte les liens entre ces deux domaines dans leurs rapports.
  6. Déclarations sur la justice climatique et les droits de l’homme : Plusieurs déclarations non contraignantes ont été faites par des organisations internationales et des groupes de la société civile pour souligner la relation entre le changement climatique, les droits de l’homme et la justice climatique. Ces déclarations soulignent la nécessité d’une action climatique qui respecte les droits de l’homme, promeut l’équité et prend en compte les droits et les besoins des communautés vulnérables.

Conclusions

En fait, la principale raison pour laquelle les entreprises éprouvent des difficultés à intégrer le climat et les droits de l’homme dans un même programme est liée à la manière dont elles sont organisées – elles fonctionnent trop souvent en silos. Les personnes qui travaillent sur les questions sociales et droits de l’homme mettent l’accent sur les personnes par le biais d’activités de ressources humaines, de programmes de chaîne d’approvisionnement responsable, d’investissements dans l’engagement communautaire. Les personnes travaillant sur les questions environnementales et climatiques mettent l’accent sur la collecte de données, les technologies et les processus par le biais de programmes de stratégie climatique, d’activités d’efficacité énergétique ou d’investissements dans la stratégie de décarbonisation. Ils sont à peine connectés lorsqu’il s’agit de rapporter les données ESG dans une seule et même plateforme.

Il est maintenant temps d’ouvrir les silos et de développer des espaces de collaboration. Pas de performance sociale sans prise en compte des dimensions climatiques afférentes. Pas de décarbonation sans prise en compte des considérations sociales afférentes non plus désormais. Il convient d’encourager l’organisation et le développement de pratiques de durabilité qui traitent l’interdépendance entre ces deux domaines cruciaux.

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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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