À la COP16 de Cali, en Colombie, la question des « crédits biodiversité » a été au cœur des discussions sur la préservation de la biodiversité. Inspirés par les crédits carbone, ces instruments financiers visent à encourager les actions bénéfiques pour les écosystèmes en récompensant les initiatives positives pour la nature. Cependant, leur pertinence fait débat : certains les considèrent comme une solution nécessaire face à l’effondrement de la biodiversité, tandis que d’autres y voient une fausse solution, propice à des dérives similaires à celles observées avec les crédits carbone. Un comité consultatif, l’IAPB (International Advisory Panel on Biodiversity Credits), a présenté une feuille de route visant à encadrer leur utilisation, mais cette démarche rencontre une opposition marquée de la part de nombreux acteurs de la société civile et des milieux écologistes.
Les objectifs et la proposition de cadre des crédits biodiversité
Les crédits biodiversité reposent sur l’idée de récompenser financièrement des actions ayant un impact positif mesurable sur les écosystèmes, en parallèle de la lutte contre le déclin de la biodiversité. Inspirée des mécanismes de compensation carbone, cette approche propose que les financements contribuent à la conservation ou à la restauration d’environnements naturels. Lors de la COP16, l’IAPB a proposé une série de principes pour encadrer ces crédits et éviter les erreurs observées dans les marchés de carbone. En particulier, le comité recommande une approche locale, où chaque crédit correspondrait à des actions spécifiques, impliquant les populations locales et mesurées de manière transparente. Par ailleurs, il est suggéré de limiter les échanges de crédits à des marchés nationaux, sous la supervision des États, afin d’éviter une commercialisation excessive et un marché global qui pourrait menacer la crédibilité de cet instrument.
Les controverses et critiques autour des crédits biodiversité
Les critiques à l’encontre des crédits biodiversité sont nombreuses, notamment de la part d’organisations écologistes et d’économistes spécialisés dans les politiques environnementales. Ceux-ci soulignent que la compensation de la dégradation de la nature par des crédits biodiversité pourrait encourager une logique de destruction-réparation, plutôt que de protéger les espaces naturels en amont. Selon certains opposants, ce système pourrait favoriser le greenwashing, en permettant aux entreprises de compenser leurs atteintes à la biodiversité sans en réduire les causes profondes. En outre, la complexité de la mesure des bénéfices pour la biodiversité suscite des inquiétudes quant à l’efficacité réelle de ces crédits. Enfin, les écologistes mettent en garde contre une dilution de l’enjeu de conservation, en rappelant qu’il est plus pertinent de rediriger les subventions actuellement allouées à des industries polluantes vers des actions de protection de la nature.
Perspectives et limites des crédits biodiversité
Malgré les débats, les crédits biodiversité représentent un potentiel de financement important pour les écosystèmes, notamment dans les pays en développement, où les ressources manquent pour assurer leur protection. Selon les prévisions du Forum économique mondial, ces marchés pourraient générer plusieurs dizaines de milliards d’euros d’ici 2050. Cependant, le rapport de l’IAPB souligne que les crédits biodiversité ne peuvent pas remplacer des politiques publiques cohérentes et ambitieuses. Ils pourraient notamment encourager les entreprises à réduire leur empreinte écologique en améliorant leurs chaînes de valeur, mais des garanties strictes sont nécessaires pour éviter les dérives. En somme, les crédits biodiversité pourraient jouer un rôle complémentaire dans la protection de la nature, à condition qu’ils soient bien encadrés et limités aux projets à fort impact environnemental positif, mesurable et vérifié.
Conclusion
De manière similaire aux crédits carbones, la question de la traçabilité des fonds associés à une mesure d’impact vérifiable est indispensable. A partir du moment où la mobilisation de fonds permettra de sanctuariser des espaces à haute valeur environnementale, l’instrument sera pertinent. A partir du moment où cet instrument financier viendra noyer des « actifs » dans des fonds complexes et intraçables, alors il deviendra outil de spéculation et de compensation associé à d’autres destructions – validant le risque de greenwashing.
Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.