Cet article démontre les bienfaits d'une évaluation d’impact sur les droits humains (EIDH) adaptée aux contextes locaux.

Réaliser une évaluation d’impact sur les droits humains pertinente

L’impératif d’évaluer les risques droits humains s’étend à l’ensemble des chaînes de valeur. L’agriculture, l’exploitation minière et la construction présentent des impacts majeurs et des risques sociaux particulièrement élevés. Pour protéger collaborateurs et communautés, les entreprises doivent évaluer précisément les risques en amont, avant qu’ils ne se matérialisent. Si les évaluations globales permettent d’identifier des risques et des tendances générales, seules les évaluations locales peuvent saisir les spécificités liées aux législations nationales, aux conditions socio-économiques ou aux facteurs culturels d’une région donnée. Cet article utilise le secteur de la construction pour démontrer l’importance d’une évaluation d’impact sur les droits humains (EIDH) approfondie et adaptée à chaque territoire.

Secteur de la construction : une chaîne de valeur à haut risque pour les droits humains

Le secteur de la construction représente actuellement USD$ 15 trillions, et pourrait atteindre USD$ 19 trillions en 2027. Il emploie +220 millions de personnes dans le monde. Mais la rapide croissance de ce secteur s’accompagne d’un coût social important.

Principaux défis des entreprises du BTP

Les risques droits humains dans la construction sont complexes à gérer, en raison de la multiplicité des acteurs et des phases:

  1. Opérations logistiques fragmentées. Les projets de constructions impliquent généralement un large éventail de parties prenantes : fournisseurs, sous-traitants, chefs de projets, architectes, ingénieurs, chefs de chantiers – tous opérant avec des contraintes à la fois temporelles et budgétaires
  2. Sous-traitance accrue. La chaîne de sous-traitance peut atteindre jusqu’à 9 niveaux différents, chaque niveau cherchant à réduire les coûts au plus bas, au détriment des employés. Les grandes entreprises peinent à faire respecter leurs standards environnementaux et sociaux aux sous-traitants de rang inférieur, où les abus peuvent plus facilement passer inaperçu.
  3. Des projets de nature temporaire. Les grandes entreprises ont du mal à faire respecter leurs standards ESG auprès des sous-traitants de rang inférieur. La nature temporaire des projets empêche souvent l’application durable de politiques solides en matière de droits humains.

4 risques sociaux majeurs rencontrés par les employés de la construction

  1. Santé et sécurité : Les employés du BTP ont 3 à 4 fois plus de chance de mourir d’un accident du travail que les employés d’autres secteurs. Les équipements de protection individuelle (EPI) sont souvent manquants / insuffisants, et la formation minimale de sécurité n’est pas toujours dispensé. On recense au moins 60 000 accidents mortels sur les sites de construction chaque année dans le monde.
  2. Conditions de travail : Les ouvriers du BTP, souvent peu formés et faiblement rémunérés, subissent de longues heures sans accès à des recours efficaces. 
  3. Pratiques de recrutement : Des travailleurs migrants paient parfois des frais de recrutement abusifs. Les conditions sur chantier diffèrent des promesses initiales.
  4. Conditions de vie dégradées : Dans le cadre de ces projets, les employeurs logent un grand nombre de travailleurs migrants dans des logements surpeuplés et insalubres, avec peu d’accès aux loisirs et un accompagnement quasi inexistant pour faciliter leur adaptation à un nouvel environnement de vie.

Des réglementations faibles et une informalité généralisée: Un facteur multiplicateur de risque

Dans de nombreux pays à faibles revenus, le secteur de la construction dépend largement d’une main-d’œuvre informelle, souvent non protégée. L’informalité peut parfois représenter jusqu’à 80% de l’emploi total. L’informalité n’est plus un simple effet collatéral : elle est aujourd’hui profondément ancrée dans le modèle économique de la construction.

Les entreprises contournent souvent le droit du travail, privant des millions de travailleurs de sécurité sociale, santé ou salaire décent. Alors que près de 4 milliards de personnes dans le monde travaillent encore sans aucune protection sociale, des efforts massifs sont nécessaires pour garantir les droits fondamentaux à la sécurité sociale dans le secteur. Les risques sont aggravés dans les pays à cadre juridique faible où les lois du travail limitent la liberté des travailleurs. Dans certains pays, les travailleurs ne peuvent pas changer d’employeur ou quitter le territoire sans autorisation (ex : pays du Golfe).

Au-delà des généralités : le besoin d’une EIDH adaptée au contexte local

Les risques en matière de droits humains ne sont jamais uniformes, même au sein d’un même secteur. Les analyses multi-pays offrent un point de départ utile, mais reflètent rarement avec précision les réalités locales du terrain.

Dans la construction, une évaluation contextualisée des droits humains est essentielle pour identifier risques spécifiques et opportunités d’action concrètes.

5 raisons pour lesquelles une évaluation générale ne reflète pas toujours les réalités locales

Un panorama multi-pays donne une vue d’ensemble, mais ne remplace pas une analyse approfondie propre à chaque contexte national. Les études agrégées utilisent des indicateurs généraux, qui masquent souvent les risques concrets et spécifiques rencontrés par les travailleurs localement.

Dans le secteur de la construction, par exemple :

  • L’application des lois varie : deux pays peuvent partager un cadre légal identique, mais l’un applique les règles, l’autre non.
  • Le contexte géopolitique est déterminant : instabilité, conflit ou État de droit faible compromettent la sécurité des chantiers et des travailleurs.
  • Les dynamiques économiques locales influencent les risques : inflation, chômage ou baisse des salaires peuvent favoriser l’exploitation ou les abus.
  • Les normes sociales et culturelles variant grandement : les analyses à l’échelle globale prennent rarement en compte les dynamiques sociales locales qui façonnent parfois les risques sur site 
    • Dans certains pays, la criminalisation des identités LGBTQ+ expose les employés à des discriminations à l’embauche ou lors de mutations, une réalité souvent invisible dans les rapports globaux.
    • De même, la structure familiale diffère, avec l’exemple des familles nucléaires en Europe contre familles élargies dans certaines régions d’Afrique ou d’Asie. Cela peut avoir un impact sur la manière dont les avantages sociaux (congés parentaux, couverture santé, aides d’entreprise) doivent être adaptés pour rester justes et efficaces.
  • Les facteurs environnementaux et démographiques peuvent impacter le bien-être des employés : Les évaluations agrégées tiennent rarement compte des conditions environnementales locales ou des réalités démographiques : dans les régions exposées à des températures extrêmes, ne pas adapter les horaires de travail peut mettre en danger la santé des ouvriers.
  • Par ailleurs, les pays ayant une population active vieillissante (comme en Europe de l’Est) nécessitent des politiques spécifiques en matière d’ergonomie et de santé au travail, souvent ignorées dans les évaluations généralistes.

Du risque à l’opportunité : la vraie valeur d’une stratégie de droits humains contextualisée

Une EIDH détaillée améliore la gestion des risques et renforce les politiques RH et RSE, créant un avantage concurrentiel clair. Des analyses locales intégrées aux stratégies RH permettent de concevoir des solutions conformes et véritablement centrées sur l’humain.

Ainsi, dans des pays où les systèmes de formation professionnelle sont limités mais où la jeunesse active est nombreuse, les entreprises peuvent mettre en place des programmes de formation technique qui renforcent à la fois les compétences et leur attractivité. Dans les zones affectées par le climat, les entreprises adoptent des stratégies climato-intelligentes : techniques écoénergétiques, matériaux durables, gestion économe de l’eau. Ces approches réduisent les risques environnementaux tout en positionnant l’entreprise comme un acteur de la construction durable et responsable.

Cette approche permet aux entreprises de déceler également des opportunités d’innovation responsable. En étant davantage à l’écoute des besoins et préoccupations de leurs parties prenantes, elles peuvent renforcer leur engagement social et environnemental. Elles créent ainsi une valeur durable, fondée sur la confiance, le dialogue et des relations solides avec les communautés locales.

Comment mener au mieux une EIDH dans la construction  

Combiner l’utilisation de standards internationaux à une intelligence locale

Les standards internationaux (UNGPs, OIT, OCDE) sont essentiels pour identifier les risques de droits humains sur une chaîne de valeur. Il est nécessaire de les utiliser afin de dresser une première compréhension globale et s’assurer qu’aucun risque majeur n’est écarté.

Cependant, une connaissance fine du contexte local doit compléter l’utilisation de ces standards. Il existe en effet souvent un écart entre les réglementations nationales et leur application effective sur le terrain. Une réglementation locale intelligente est donc souvent un levier déterminant pour garantir le respect des droits des travailleurs.

Les violations des droits humains émergent souvent dans l’écart entre les obligations légales et la réalité opérationnelle sur le terrain.
Les équipes opérationnelles, peu formées aux droits humains, sont pourtant les premières à observer les abus et problèmes quotidiens. Recrutement, conditions de travail ou sécurité : elles détectent des signaux faibles souvent invisibles pour les niveaux stratégiques de l’entreprise. Les impliquer dans l’évaluation ancre l’analyse dans le réel et révèle des risques qui resteraient autrement sous le radar.

Garantir une évaluation indépendante et impartiale

Faire appel à des experts indépendants, maîtrisant les enjeux sectoriels et droits humains, assure une évaluation crédible et impartiale.

Des organisations comme Ksapa apportent à la fois des compétences techniques pointues et un regard extérieur objectif, leur permettant d’identifier les risques en matière de droits humains au sein de chaînes d’approvisionnement complexes, et d’accompagner les entreprises dans la définition de solutions concrètes et opérationnelles.

Transformer l’évaluation en plan d’action

Une évaluation solide d’impact sur les droits humains ne constitue que la première étape.
La véritable valeur de cet exercice réside dans sa traduction en un plan d’action pertinent et structuré.

De nombreux acteurs proposent des guides pratiques, fondés sur les normes internationales, pour aider les entreprises à mieux respecter les droits humains. Parmi les ressources clés (liste non exhaustive) :

Ces outils permettent aux entreprises de prioriser leurs actions et d’ajuster leurs plans dans la durée, afin d’assurer une véritable intégration de la protection des droits humains dans leur modèle économique. Contactez nos équipes chez Ksapa pour concevoir des approches spécifiques assurant une meilleure gestion de risques dans vos activités dépendantes d’une main d’oeuvre directe et indirecte peu qualifiée.

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Dana est membre de l'équipe conseil en tant que consultant junior et renforcer l'équipe sur les sujets de droits de l'homme et durabilité. Passionnée par ces enjeux, Dana a précédemment travaillé chez Altai Consulting sur des questions de durabilité et de société en Afrique. Diplômée d'un Master en commerce international à HEC Paris, Dana parle français et anglais.

Binta Lopes Rodrigues - Ksapa
Binta Lopez Rodrigues

Binta travaille chez Ksapa en tant qu'analyste ESG, contribuant aux initiatives de Ksapa visant à promouvoir la durabilité au sein de chaînes de valeur complexes, tout en poursuivant un MBA en Management des Organisations Durables. Binta a travaillé pendant plus de 15 ans dans le secteur bancaire et financier, en tant que Responsable des Opérations Bancaires Quotidiennes chez ING France. Elle est également fondatrice de Balenti, une entreprise foodtech qui valorise la poudre de superfruit de baobab tout en collaborant avec des coopératives de femmes en Guinée-Bissau, en Afrique de l’Ouest.

Elle est titulaire d’un diplôme universitaire en Gestion d’Entreprise de l’Université d’État de Rio de Janeiro et d’un Master en Management Stratégique de la Toulouse School of Management.

Binta parle couramment le français, l’anglais, le portugais, l’espagnol, le créole et l’allemand.

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