Clefs de la souveraineté alimentaire des petits producteurs

Redonner les clefs de la souveraineté alimentaire aux petits producteurs

Lors de l’Assemblée Générale des Nations unies de Décembre 2018, une résolution a été adoptée à l’unanimité sur le droit des paysans et autres travailleurs en zones rurales. Elle défend pour la première fois une vision politique de l’alimentation et de la production agricole. Cette déclaration s’appuie sur le concept de souveraineté alimentaire et le libre arbitre dont jouit le paysan sur sa ferme.  

Ce concept est cependant défendu depuis 1996 par la Via Campesina. Cela montre combien les défis agricoles dans les pays du Nord comme du Sud ne sont plus tant du domaine technique mais bien du politique. C’est pourquoi Ksapa revient dans cet article sur les conditions de la souveraineté alimentaire des petits producteurs et des Etats. Nous explorons ensuite comment redéfinir les règles du jeu international à la faveur d’une agriculture juste et rémunératrice pour les petits producteurs.

Redéfinir les conditions de la souveraineté alimentaire

Pour bien comprendre ce phénomène, il est nécessaire de revenir rapidement sur cette notion. La souveraineté alimentaire s’entend comme « le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes durables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaire » (Sommet mondial de l’alimentation, 1996). Il s’agit donc bien d’un droit et non plus d’un état.

Via la notion de libre arbitre, cette souveraineté peut se caractériser au niveau individuel. Cela permettrait au paysan de choisir son système de production sur son exploitation agricole. Il s’agit alors de déplacer plus ou moins le curseur entre cultures vivrières et/ou d’exportation. Le paysan met dans la balance son temps, sa force de travail, son capital et son accès au marché pour optimiser sa production. Le tout selon une logique bien définie.

La souveraineté alimentaire peut aussi se décliner au niveau national. C’est notamment le cas lorsqu’un pays décide de développer ses filières agricoles domestiques plutôt que de favoriser les importations agricoles.

En pratique, ces deux déclinaisons sont consubstantielles. En effet, à travers le monde entier, les petits paysans indépendants sont les premiers producteurs de matières premières. Dans le même temps, les prix proposés localement ne sont pas rémunérateurs. Les petits producteurs risquent donc de perdre l’argent à vendre leurs produits sur les marchés ou aux intermédiaires locaux. Il s’endettent d’ailleurs auprès de ces derniers à des taux usuraires pour acheter les semences et produits phytosanitaires nécessaires. Les petits fermiers n’obtiennent pas pour autant l’assurance de vendre leur récolte afin d’au moins couvrir leur coûts de production.

La souveraineté alimentaire : un choix des plus politiques

Ce phénomène bien connu est lié à des choix politiques. Ces derniers se sont historiquement appuyés sur des importations massives d’excédents alimentaires bradés, périmés ou de basse qualité des pays du Nord, plutôt que de favoriser l’émergence de filières agricoles locales. Il appartient donc aux gouvernements d’investir pour permettre aux agriculteurs de vivre de leur travail.

Nombre des pays du Sud n’ont malheureusement pas aujourd’hui les moyens ou le désir de mener une politique visant à soutenir les agriculteurs. Cela pourrait par exemple prendre la forme de politiques de formation et de soutien des prix. La cause réside notamment dans l’influence de lobbies, couplée à la voracité de certains dirigeants politiques pour les pots-de-vin. Ces politiques court-termismes permettent pourtant de maintenir une relative paix sociale.  On se rappellera des émeutes de la faim engendrées par la crise alimentaire mondiale en 2008. Elles ont en effet montré les limites d’un modèle agricole « 100% externalisé » s‘appuyant sur l’importation de céréales de base (riz, blé, maïs). Au final, ces gouvernements laissent leurs paysans seuls ou avec très peu d’encadrement quant au choix et à la mise en place de filières rémunératrices. 

Cette souveraineté alimentaire tant recherchée apparait donc difficile à réaliser. Ce constat est des plus graves, car c’est l’unique moyen aujourd’hui d’assurer la sécurité alimentaire à sa population. L’enjeu est en effet d’aboutir à un état où « toutes les personnes, en tout temps, ont économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels pour leur permettre de mener une vie active et saine »  (Sommet mondial de l’alimentation, 1996).

Retrouver confiance : l’action de Ksapa pour les petits producteurs

Face à ce constat alarmant, Ksapa s’attache à accompagner les petits paysans. Il s’agit d’assurer leur transition d’un état de vulnérabilité systémique à une situation de souveraineté alimentaire. Nous sommes en effet convaincus de l’urgence de renforcer les connaissances et compétences des petits agriculteurs. Couplée à la sécurisation de leur accès à un marché juste et rémunérateur, cette formation est le meilleur moyen de (re)donner le libre arbitre à des communautés qui n’arrivent plus à vivre de leurs activités agricoles traditionnelles.

Cette approche n’est possible qu’en travaillant avec l’ensemble des acteurs impliqués dans les chaînes de valeur agricoles. Ksapa et ses partenaires locaux créent donc les conditions d’un dialogue gagnant-gagnant. D’un côté, des industriels qui peinent à trouver un approvisionnement direct et régulier de produits de qualité. De l’autre, des agriculteurs qui n’ont pas à un accès direct aux marchés ni aux critères de qualité qui déterminent les prix d’achat. En effet, la majorité de la valeur est le plus souvent captée par des intermédiaires plus ou moins légitimes. Si certains ont une réelle fonction économique (prêts ponctuels, transport et conditionnement,…) d’autres se contentent d’un monopole de position. L’enjeu réside donc dans l’accès et la qualité de l’information, qui grippe des filières pourtant actives. On pense tout particulièrement à l’hévéa en Indonésie, la vanille à Madagascar, la canne à sucre en Inde ou le cacao en Côte d’Ivoire.

Conclusion : Souveraineté alimentaire et contexte contemporain

L’enjeu est d’autant plus délicat dans un contexte environnemental et économique très incertain. Chez Ksapa, nous pensons que la diversification des systèmes de production est une solution viable pour augmenter la résilience des petits agriculteurs.

De fait, si le prix d’un produit n’est pas assez rémunérateur, le paysan pourra reporter ses efforts sur d’autres cultures complémentaires. Ces dernières pourront lui assurer un revenu et une source d’alimentation et ainsi répondre aux besoins primaires de la famille. Rendu souverain sur son exploitation et conscient des standards de qualités requis par les acheteurs finaux, un paysan sera à même de choisir le système de production le plus adapté à son activité.

Ksapa joue donc un rôle d’accompagnateur dans la mise en place de filières résilientes centrées sur le producteur et ancrées dans un environnement économique spécifique. Dans un contexte où chaque acteur se méfie l’un de l’autre, notre action permet la mise en place d’un climat de confiance. Au sein d’une coalition d’acteurs et de partenaires, nous œuvrons d’abord et avant tout au bénéfice des producteurs et clients finaux.

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Hatim Issoufaly travaille depuis 15 ans pour le développement des compétences des agriculteurs et des acteurs de la société civile en Asie et en Afrique dans une logique d’impact à large échelle. Il a notamment développé des solutions avec la participation de praticiens sur le terrain visant à mettre en relation de grands groupes industriels et des petits exploitants agricoles vulnérables. L'objectif étant de structurer des chaînes d’approvisionnement résilientes grâce à des modèles agronomiques novateurs pour augmenter le revenu net des agriculteurs tout en améliorant la qualité et la traçabilité de matières premières sensibles.
Hatim est titulaire d’un Master en système agricole comparatif (Agro Paristech) et d’un Master en agriculture tropicale de l’école d’agronomie de Montpellier.

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