Utilisation des programmes de certification avec les petits exploitants

Pour cet article, Ksapa a interviewé Christele Delbé, directrice des solutions Ksapa pour les chaînes d’approvisionnement et Hatim Issoufaly, son directeur des programmes d’agronomie et de développement. Il s’agissait en effet de mieux appréhender les programmes de certification vis-à-vis des petits exploitants agricoles.

De fait, les programmes de certification établissent et assurent un suivi de standards volontaires vis-à-vis d’objectifs environnementaux, sociaux ou économiques spécifiques. ON pense par exemple à des certifications qui visent à rendre la production agricole plus durable et plus écologique. On entend ici par « systèmes de certification » les systèmes de certification au sens large, car il existe des différences considérables en fonction du type de certification, de la commodité considérée, etc.

1.         Quelles sont les principales motivations des différentes parties prenantes (producteurs, entreprises et consommateurs) pour certifier un produit – autrement dit, quels en sont les principaux avantages et inconvénients ?

Selon Hatim Issoufaly, le principal intérêt d’une certification est de mobiliser les consommateurs. Les certifications permettent en effet de différencier un produit des autres au sein d’une même catégorie, soit dans la manière dont il a été produit (production écologique/pratiques durables, etc.) ou en fonction de la région géographique dont il provient (riz Basmati d’Inde, par exemple) et du public auquel il s’adresse (en ciblant les consommateurs qui veulent acheter du café équitable, par exemple).

Les principaux avantages de la certification d’un produit sont donc les suivants :

  • Pour les producteurs/agriculteurs – Les systèmes de certification permettent aux agriculteurs d’investir (à la fois en temps et en argent) dans l’amélioration des standards de qualité globale de leurs produits. En d’autres termes, la certification les engage dans un processus continu d’amélioration de leurs pratiques.
  • Pour les entreprises –  Une entreprise peut augmenter sa part de marché en attirant de nouveaux consommateurs autour d’une catégorie distincte de produits qui répondent à leurs attentes. Une fois cette nouvelle part de marché stabilisée,  l’entreprise pourra ainsi sécuriser une partie qualitative de son approvisionnement. La certification permet également aux entreprises de pratiquer des prix plus élevés pour leurs produits, via une prime à la certification.
  • Pour les consommateurs –  la certification accroît la traçabilité (qui les produisent et où) et la visibilité (méthode utilisée) des produits qu’ils achètent.

Concernant la chaîne d’approvisionnement au sens large, la certification peut contribuer à protéger les fournisseurs de la volatilité du marché. Elle agit en effet comme un tampon sur le prix, bien que cela dépende de la marchandise en question. De même, la certification permet d’identifier des produits contrefaits et donc d’obtenir un meilleur contrôle sur le processus de production. Cela accroît la confiance – et donc la fidélité – des consommateurs. Par conséquent, les programmes de certification peuvent être considérés comme une stratégie gagnant-gagnant pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, du producteur au consommateur.

L’un des principaux inconvénients des programmes de certification réside toutefois dans leur coût. Pour plusieurs produits de base – comme le cacao – le surcoût de la certification est payé par l’industrie elle-même. Pour d’autres – comme le café et l’huile de palme – ce coût est en grande partie reporté sur l’agriculteur. Cela constitue une barrière énorme, limitant l’accès aux programmes de certification et leurs avantages pour les agriculteurs les plus vulnérables.

Pour Christèle Delbé, les normes volontaires de développement durable (VSS) offrent un système de certification qui peut aider les petits exploitants à améliorer leurs pratiques. Les VSS sont des normes et standards conçus pour garantir qu’un produit est produit, traité ou transporté de manière durable afin de contribuer à des objectifs environnementaux, sociaux et économiques spécifiques. Leurs avantages varient pour autant considérablement d’un produit de base à l’autre et d’un système de certification à l’autre :

  • Les producteurs peuvent en bénéficier s’ils obtiennent la formation nécessaire pour obtenir la certification afin d’augmenter leur rendement et la qualité de leurs produits. Cela peut à terme se traduire par une augmentation des revenus. Certaines pratiques recommandées peuvent également entraîner une réduction des coûts.
  • Les VSS peuvent également permettre aux acheteurs industriels au niveau national de se différencier sur le marché et d’obtenir une prime plus élevée. Là encore, cela dépend largement du produit considéré. Dans certains cas, la certification est une condition du marché plutôt qu’une garantie de prime.
  • Les consommateurs bénéficient d’une certaine assurance quant à l’impact social et environnemental de leurs achats. Toutefois, la prolifération des normes a pour effet de semer la confusion chez les consommateurs et il est de plus en plus difficile de les différencier.

2.         En quoi les systèmes de certification aident-ils les petits exploitants à améliorer leurs pratiques?

Hatim Issoufaly souligne qu’en général, l’obtention d’une certification implique que l’agriculteur a suivi les bonnes pratiques agricoles (BPA), qui le plus souvent calquent des standards et processus de production reconnus. Dans cette optique, les systèmes de certification peuvent aider les petits exploitants à améliorer leurs pratiques car ils leur permettent d’apprendre – souvent pour la première fois – les bonnes pratiques, les exigences de qualité de l’industrie et les tendances du marché.

Les processus de certification permettent également de compenser le manque de formation et d’accès aux ressources (installations de stockage, outils efficaces…) des petits exploitants. Cependant, certaines certifications – comme les certifications et standards internationales – peuvent présenter des contraintes et sont difficiles à adapter aux contextes locaux des petits exploitants.

Pour Christèle Delbé, les systèmes VSS fournissent un cadre utile pour aider à traiter les pratiques qui ont un effet social ou environnemental négatif. Par exemple, une norme peut interdire l’utilisation de certains produits chimiques qui peuvent encore être autorisés au niveau national ou rendre obligatoire l’utilisation d’EPI dans les champs pour certaines activités.

Ces standards ne peuvent pas à eux seuls suffire à aider les petits exploitants pour modifier leurs pratiques. Pour revenir à l’exemple précédent, ils devront très certainement remplacer le pesticide interdit pour continuer de protéger leurs cultures. Le petit exploitant est-il informé des pratiques ou produits alternatifs ? Cela a-t-il un surcoût ? De même, l’utilisation d’EPI peut être fortement influencée par la capacité d’investir dans cet équipement.

3.         Quels sont les défis actuels qui expliquent la faible adoption des systèmes de certification par les petits exploitants ?

Hatim Issoufaly souligne que, dans une certaine mesure, tout se résume au coût et à la nature complexe du travail administratif impliqué. En particulier lorsque les programmes de certification ne sont pas adaptables au contexte local. L’acheteur devra en effet soutenir activement l’agriculteur tout au long du processus administratif. Aussi la mise en place d’une unité de certification est courante dans les entreprises commercialisant des produits de base dont les étapes de transformation spécifiques augmentent la valeur ajoutée finale (café, cacao, noix…).

En réalité, ces systèmes ne confèrent pas toujours des avantages directs à l’agriculteur, comme une augmentation du rendement ou de la qualité qui puisse être reconnue par les acheteurs. C’est par exemple le cas des normes environnementales. Ils ne peuvent donc pas être suffisamment incitatifs pour les agriculteurs. Une autre raison réside dans la réticence des agriculteurs à formaliser leurs opérations par une démarche légale ou un titre de propriété, notamment pour des raisons fiscales.

Cela dit, lorsqu’un système de certification est conçu conjointement avec des parties prenantes ciblées, il peut s’avérer très bénéfique. A titre d’exemple, Hatim Issoufaly a travaillé avec les producteurs de vanille de La Réunion pour obtenir le label de la Commission européenne « Indication Géographique Protégée » (IGP) sous la dénomination « Vanille de l’Ile de la Réunion ». Cette démarche, impliquant des agriculteurs indépendants, des membres de coopératives et des transformateurs, est le fruit d’un processus administratif de 5 ans visant à :

  • Documenter les pratiques traditionnelles usitées localement, de la production au traitement (curing) des gousses de vanille.
  • Identifier des spécifications techniques et rassembler les preuves que la vanille est cultivée dans une zone délimitée depuis plus d’un siècle sur l’île de la Réunion.
  • Déposer les dossiers à l’Institut français chargé de faciliter les démarches auprès de la Commission européenne (INAO) ainsi que les suivis ultérieurs.
  • Mettre en place un système de contrôle et de suivi interne et externe avec un organisme certificateur agréé.

Toutes ces étapes ont été facilitées et financées par les autorités du district dans le cadre d’une politique de valorisation des produits locaux. Actuellement, moins de 100 opérateurs sont reconnus par l’IGP Vanille de l’île de la Réunion. Ils ont cependant reçu une prime importante de la Commission européenne. Les principaux résultats de cette certification sont une traçabilité et une visibilité accrues des acteurs de la filière locale de la vanille auprès des consommateurs. En effet, la vanille vendue sous le label IGP « Vanille de l’île de la Réunion » ne souffre plus de la concurrence déloyale de la vanille provenant du reste de l’Océan Indien (généralement vendue sous l’appellation générique de « vanille Bourbon »).

Christèle Delbé rebondit à ce titre sur le fait que changer les pratiques pour s’aligner sur le VSS demande un investissement en temps de la part des petits exploitants. Ils s’attendent, eux, à voir un retour sur investissement. Il est compréhensible qu’ils se demandent « ce qu’ils peuvent en retirer ». La plupart des VSS ne leur garantissent cependant pas des primes plus élevées et le petit exploitant peut en fait ne pas en bénéficier financièrement. Selon les conditions du marché, la récolte peut donner lieu à une prime, mais pour certains produits de base, ce n’est souvent pas le cas. Pour certains produits, les acheteurs font des VSS une condition commerciale. Ils ne récompensent pas forcément ceux qui investissent pour aligner leurs pratiques sur la norme choisie.

Un autre défi auquel sont confrontés les petits exploitants est lié à leur capacité à accéder à la formation nécessaire pour atteindre le niveau de certification. La formation offerte par l’entreprise qu’ils fournissent peut être sporadique ou inexistante en raison de l’insuffisance des ressources pour la dispenser à de très nombreux petits exploitants. Les niveaux d’analphabétisation peuvent également constituer un défi.

4.         Comment la technologie peut-elle aider à surmonter ces défis ?

Hatim Issoufaly souligne combien la technologie peut contribuer à surmonter ces défis. Par exemple, avec l’initiative Scale Up, Training, Traceability and Impact (SUTTI), Ksapa déploie des programmes hybrides de formation et de renforcement des capacités à grande échelle. Cela permet aux agriculteurs d’apprendre de nouvelles pratiques pour se conformer aux exigences de certification, en réduisant les charges administratives telles que les contraintes liées à la mesure de leurs parcelles, la collecte de données personnelles, etc.

En effet, tout peut se faire par le biais d’une application low-tech, avec l’aide de l’agent de terrain pour systématiser le processus. Toutes les données sont stockées dans une base de données en ligne, tout en restant facilement accessibles pour les agriculteurs. L’application mobile peut également contribuer à améliorer la traçabilité, un enjeu clef pour certains systèmes de certification. Cette technologie peut également tirer parti d’informations telles que que le profil des agriculteurs et les coordonnées GPS, pour contribuer à atteindre jusqu’à la plus petite unité de production.

Christèle Delbé indique enfin que de nouvelles opportunités apparaissent souvent lorsque la technologie se généralise. C’est par exemple le cas de la technologie mobile. L’accès à un téléphone portable peut par exemple offrir la possibilité d’accéder à des informations météorologiques ou concernant le prix du marché. Les acheteurs peuvent également développer leurs propres applications qui permettent à leurs producteurs d’accéder à des formations pour compléter les sessions en présentiel existantes lorsqu’elles s’avèrent insuffisantes. Les applications mobiles peuvent également être utilisées pour collecter les données de l’exploitation et ainsi mesurer la rentabilité d’une exploitation ou de s’engager dans une démarche de certification.

Ksapa a développé l’initiative SUTTI pour contribuer à l’amélioration générale des conditions de vie des petits exploitants agricoles et ainsi développer des relations de confiance entre fournisseurs locaux et industriels. Ksapa travaille au centre de l’écosystème, en identifiant les acteurs clés de la chaîne de valeur. L’objectif est finalement de mettre en commun les compétences, les attentes et les intérêts des différents acteurs, des agriculteurs aux fabricants locaux, en passant par les marques internationales, les investisseurs, etc. Cette analyse à 360 degrés est fondamentale pour la bonne mise en œuvre des projets SUTTI, et notre équipe œuvre tout à la fois au développement de la stratégie d’approvisionnement, de la certification et du travail sur le terrain via des experts affiliés sur place.

Christèle Delbé
Directrice, Solutions d'approvisionnement responsable chez Ksapa | Autres articles

Christèle est responsable de l'engagement des entreprises en matière de solutions d'approvisionnement responsable, grâce à nos programmes SUTTI, et de conseil en matière de chaîne d'approvisionnement durable. Depuis 20 ans, Christèle a mis en place différentes initiatives permettant de faire progresser les défis sociaux et environnementaux des chaînes agroalimentaires en s’appuyant sur les leviers technologiques.

Christèle a été responsable du développement durable pendant 14 ans chez Orange puis Vodafone. Christèle s’est ainsi s'intéressée particulièrement à la manière de tirer parti des technologies pour innover et fournir des solutions évolutives en matière de droits humains, de carbone, de déchets, d'emballages, de chaînes d'approvisionnement et de consommation responsables. Au cours des 7 dernières années, Christèle s'est rapprochée encore plus des matières premières agricoles et de leurs chaînes d'approvisionnement, et a animé différents partenariats stratégiques et opérationnels multisectoriels avec Bonsucro, Danone, Diageo, GPSNR, ISEAL, PepsiCo, Producers Direct, RSPO, Tetra Pak, Unilever et Vodafone.

Christèle parle anglais, français et espagnol.

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Hatim Issoufaly travaille depuis 15 ans pour le développement des compétences des agriculteurs et des acteurs de la société civile en Asie et en Afrique dans une logique d’impact à large échelle. Il a notamment développé des solutions avec la participation de praticiens sur le terrain visant à mettre en relation de grands groupes industriels et des petits exploitants agricoles vulnérables. L'objectif étant de structurer des chaînes d’approvisionnement résilientes grâce à des modèles agronomiques novateurs pour augmenter le revenu net des agriculteurs tout en améliorant la qualité et la traçabilité de matières premières sensibles.
Hatim est titulaire d’un Master en système agricole comparatif (Agro Paristech) et d’un Master en agriculture tropicale de l’école d’agronomie de Montpellier.

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