Règlementations Anti-Deforestation et Petits Fermiers

Dans le cadre du Green Deal européen, un accord a finalement été annoncé entre le Conseil de l’Europe et le Parlement de l’UE sur la mise en place d’une règlementation anti-déforestation, visant à éliminer l’importation ou la transformation de produits issus de la déforestation. Cet accord était fort attendu, à la suite de la soumission d’un projet de règlementation par la Commission en Octobre 2021 et de la proposition du Parlement d’une version révisée, plus ambitieuse, en septembre 2022.

Si la version définitive de la règlementation n’est pas encore publiée, dont l’entrée en vigueur est prévue en 2023 pour une applicabilité effective prévue 18 mois (pour les grandes entreprises) à 24 mois (pour les PME) plus tard, il est déjà temps de se mettre en ordre de marche, au regard de l’impact très significatif sur l’importation des matières premières concernées :  huile de palme, viande de bœuf, soja, café, cacao, bois et caoutchouc, ainsi que leurs produits dérivés. Cette liste est d’ailleurs appelée à être revue et au besoin étendue périodiquement par la Commission.

Les institutions financières sont finalement exclues de ce périmètre – mais en réalité elles y demeurent soumises indirectement, n’ayant pas vocation à financer des activités non conformes aux règlementations, et encore moins si les financements sont assis sur des garanties prises sur des produits risquant d’être refoulés ou saisis aux frontières. En revanche, de nombreuses entreprises industrielles et traders de matières premières vont être confrontés à des changements d’ampleur dans leurs modes d’approvisionnement.

Concrètement, deux éléments sont principalement attendus pour assurer la conformité à la règlementation anti-déforestation :

  • La traçabilité : pour pouvoir importer, vendre ou exporter des produits dans l’Union Européenne, il faudra fournir, sur une interface centralisée à développer par la Commission Européenne, la liste des parcelles sur lesquelles auront été produites les matières premières importées, avec les informations suivantes :
  1. Descriptif et typologie produit, dont ses dénominations commerciale et scientifique
  2. Quantité en masse, volume ou nombre d’unités
  3. Pays de production
  4. Coordonnées GPS (Polygones) des parcelles de production
  5. Date ou période de production
  6. Date de la transaction
  7. Noms et coordonnées d’une personne référente dans la production comme l’acquisition
  8. Information sur l’absence de déforestation associée (depuis 2020)
  9. Information sur la conformité avec les règlementations du pays de production
  • Diligence raisonnable : trois niveaux de risques seront établis selon les pays et les matières premières, en référence à une liste mise à jour régulièrement par la Commission. En fonction du niveau de risque, une diligence raisonnable dans les chaînes d’approvisionnement sera nécessaire, d’une robustesse adaptée au niveau de risque. Il est vraisemblable qu’un croisement systématique entre les données GPS et l’analyse des risques avérés de déforestation, et une présélection stricte des fournisseurs, sera nécessaire sur les zones les plus à risque.

Les principaux problèmes résident dans la mise en œuvre et l’équité sociale de telles mesures :

  • Cette règlementation s’appliquera tout aussi bien aux secteurs du bœuf et du soja brésilien, principal centre de gravité de la déforestation et constitués principalement d’exploitations agricoles de plusieurs centaines voire milliers d’hectares, qu’au secteur du caoutchouc naturel, dont plus de 85% de la production mondiale est réalisée sur des fermes de moins de 2 Ha. D’une part, l’enregistrement d’informations sur la ferme (quantités, coordonnées), dans des contextes où le foncier n’est ni sécurisé ni définitif, constitue un réel défi, en particulier lorsque l’on parle de centaines de milliers de petits agriculteurs vulnérables, dont le niveau d’éducation est souvent très faible. D’autre part, un certain nombre des chaînes de valeur visées s’articulent sur plusieurs niveaux, plusieurs échelons d’intermédiation depuis le producteur initial jusqu’à l’industriel exportateur. Dès lors, la correspondance entre une conformité administrative et la réalité des flux physiques de matières premières sera difficile à vérifier, notamment au premier échelon de ces chaînes agricoles : la production au niveau des fermes est le premier niveau de vente de ces matières premières
  • Ces contraintes administratives risquent très concrètement de faire peser une charge opérationnelle supplémentaire sur les épaules des acteurs les plus fragiles de ces filières, qui n’ont pas de surcroît les moyens d’investir dans les technologies susceptibles de collecter les informations nécessaires. La question de la prise en charge du coût de cet effort de « compliance » est également fort problématique, car elle ne pourra pas reposer sur les épaules des petits fermiers, mais d’un autre côté la dilution des responsabilités constatée rendra sa prise en charge effective complexe à mettre en œuvre (ceci est déjà la cas dans certaines certifications comme RSPO qui exclut de fait les petits producteurs). Dans ce cadre, un effet néfaste induit, contre lequel les dispositifs de coopération entre Etats ne pourront suffire, est la marginalisation des petits producteurs des circuits durables et lucratifs, a priori plus rémunérateurs et responsables environnementalement. Cela aurait pour conséquence de créer des marchés de production agricoles à 2 vitesses, l’un conforme aux exigences européennes ou aux marchés durables, l’autre qui sera « pour le reste du monde » sans aucun impact sur la réduction de la déforestation et mettant en risque social, économique et environnemental les petits producteurs.
  • Elles posent également des questions en matière de respect de la privauté des données, ne serait-ce que par cohérence avec la règlementation européenne RGPD : la distinction entre activités privées et sphère familiale n’a rien d’évident et la fourniture des « Business Details » de chacune des fermes concernées nécessitera des garde-fous structurels pour éviter une récupération et une réutilisation des données ainsi collectées, qui intègreront nécessairement une dimension personnelle, pour des fins économiques ou politiques

Dès lors, au regard des avancées que permettront l’émergence de règlementations anti-déforestation, il apparaît clé pour une mise en place équitable de ces règlementations de concevoir et mettre en œuvre des dispositifs permettant l’inclusion des petits fermiers et le changement des pratiques à leur bénéfice.

Pour embarquer sur de grandes échelles de telles populations, il faut penser les programmes comme apportant de multiples bénéfices, supérieurs à celle de la stricte conformité. L’obligation qui est faite d’assurer une transparence à tous les échelons des chaînes d’approvisionnement est aussi l’opportunité de les intégrer dans une démarche plus ambitieuse.

Comment SUTTI, la solution de Ksapa permet de répondre aux nouvelles contraintes d’importation dans l’UE ?

Ksapa, entreprise à mission, a développé l’initiative SUTTI, dont l’objectif est d’inclure les petits producteurs dans les chaînes de valeur des grands groupes industriels via la formation et l’adoption de pratiques générant des impacts sociaux, économiques et environnementaux sur l’ensemble de la chaîne de production.

A ce titre, Ksapa a développé depuis 3 ans et mis en œuvre sur le terrain, au sein de son initiative SUTTI, sa propre suite applicative low tech, couplant dissémination de contenus et collecte de données, afin d’avoir un impact géographique significatif répondant aux enjeux actuels. Cette application, en plus de former les petits agriculteurs vulnérables (formation en présentiel complétée par une application e-learning adaptée), permet de collecter toute une série de données nécessaires au bon accompagnement des fermiers permettant d’apprécier d’abord l’adoption des pratiques, puis les impacts que ces formations provoquent sur la vie des fermiers (revenus, diversification, résilience, condition de travail..), et de suivre leurs transactions de vente.

Ainsi SUTTI permet :

  • De connaitre et comprendre le fermier, ses contraintes, sa manière de produire, la qualité et la quantité de ce qu’il vend et où il le vend.
  • D’apprécier l’impact de l’adoption de nouvelle pratiques agricoles sur le niveau de vie et la résilience des fermiers Didentifier lorigine des produits des la premier étape de la chaîne de valeur, Le niveau le plus fragmenté  

C’est donc l’enjeu de la traçabilité qui est couvert avec l’intention première de former les agriculteurs.

Par ailleurs, à chaque étape de la mise en œuvre du projet depuis son design jusqu’à son suivi opérationnel, des données seront collectées dans le respect de la politique RGPD de l’EU :

  • Au moment de son recrutement le fermier fournira les données sur sa famille et sa ferme, dont les lescoordonnées GPS permettant le croisement avec les risques de déforestation
  • Au moment de sa formation, le fermier décrira ses habitudes culturales (nature des intrants, coûts et profits)
  • Chaque mois, ses performances[1] seront suivies au travers de l’adoption de nouvelles pratiques.
  • Au moment de la vente, producteurs et vendeurs confirmeront ensemble les quantités achetées en indiquant le prix correspondant.
  • Enfin, l’agrégation de toutes ces données permettra d’avoir une vision dynamique et en temps réel des bassins d’approvisionnement pour différents types de commodités.

Il est cependant aisé de collecter des données sans vérifier leur « réalité de terrain », c’est pourquoi l’initiative SUTTI implique, dès l’origine du projet, l’ensemble des acteurs du projet afin d’établir un état des lieux impartial de la filière facilitant la sélection d’objectifs communs. Cette égalité du niveau d’information et de compréhension permet d’instaurer une confiance entre les partenaires de la coalition de projet. Cette dernière, indispensable entre producteurs et acheteurs, améliore la qualité de la collecte d’information qui reflètent alors « un peu mieux » la réalité du terrain car elles ont pour seul et unique but de rendre compte des impacts connus et partagés par tous. Or la qualité et la régularité de collecte des données seront clé pour le bon respect de la règlementation, dans l’analyse et l’appréciation des risques comme dans la conformité de suivi des transactions au sein des parcelles concernées, devant faire l’objet d’un enregistrement des coordonnées GPS pour croiser avec les risques de déforestation.

Les données font, par ailleurs, au moment de la transaction l’objet de doubles vérifications grâce aux validations communes de l’acheteurs et du vendeurs. En effet, même si les formations techniques sont complétées par des formations administratives et financières (comment calculer un rendement, un profit ou une quantité d’engrais) ces vérifications apparaissent nécessaires du fait des différents niveaux de compréhension d’une seule et même question.

Bien que ce dispositif de collecte apparaisse comme une lourdeur supplémentaire pour les agriculteurs, il s’inscrit dans une démarche d’accompagnement des fermiers sur le long termes qui va leur permettre de mieux comprendre et suivre leur travail au quotidien, de partager leurs doutes avec des experts et, in fine, de faire des économies. Il permettra également d’accéder aux marchés ayant fermé leur accès aux matières premières liées à la déforestation.

Les bénéfices pour l’agriculteurs dépassent donc largement le temps passé à fournir ces données. Dans une étude d’impact menée en septembre 2022 sur l’un de nos programmes SUTTI en Indonésie, plus de 90% des fermiers sondés affirmaient par exemple, quelques mois après le début de ce programme pluri-annuel, avoir constaté une augmentation de rendement (en moyenne de 12%) grâce à l’adoption des nouvelles pratiques agricoles[2] préconisées.

Pour un coût compétitif par fermier, industriels et importateurs ont donc une solution clefs en main qui facilite la comparaison des données de terrain fiables avec des images satellites, pour ainsi se conformer aux nouvelles exigences imposée par l’UE tout en générant un impact positif significatif sur la vie des principaux producteurs de denrées alimentaires et agricoles.


[1] Volumes récoltés et vendus, coûts de production, quantité et qualité des intrants,…

[2] Filière caoutchouc naturel en Indonésie, étude réalisées sur 244 fermiers dans la région de Jambi.


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Après 20 ans d'expérience dans l'investissement et l'asset management, notamment immobilier, Raphaël Hara travaille sur les liens entre finance et durabilité, notamment au travers du développement et de la mise en œuvre de projets d'impact investing.

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Hatim Issoufaly travaille depuis 15 ans pour le développement des compétences des agriculteurs et des acteurs de la société civile en Asie et en Afrique dans une logique d’impact à large échelle. Il a notamment développé des solutions avec la participation de praticiens sur le terrain visant à mettre en relation de grands groupes industriels et des petits exploitants agricoles vulnérables. L'objectif étant de structurer des chaînes d’approvisionnement résilientes grâce à des modèles agronomiques novateurs pour augmenter le revenu net des agriculteurs tout en améliorant la qualité et la traçabilité de matières premières sensibles.
Hatim est titulaire d’un Master en système agricole comparatif (Agro Paristech) et d’un Master en agriculture tropicale de l’école d’agronomie de Montpellier.

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