La Climate Week NYC 2024 a débuté avec de bonnes intentions. Il est grand temps de placer les gens au cœur de la transition climatique, en veillant à ce qu’elle soit juste et équitable. Le Nord global doit assumer sa responsabilité en fournissant les financements climatiques attendus depuis longtemps pour protéger les communautés vulnérables dans les zones à risque climatique. Les citoyens exigent massivement des actions climatiques plus fortes, avec 80 % d’entre eux dans le monde soutenant des mesures urgentes. Nous devons également être honnêtes quant aux limites de la technologie pour résoudre la crise climatique. De plus, il est essentiel d’engager des discussions difficiles sur les combustibles fossiles, y compris la résolution des enjeux géopolitiques entourant les dernières réserves de pétrole et la pression exercée sur les entreprises de combustibles fossiles pour qu’elles adoptent des modèles économiques durables. Mais à New York, il s’agit avant tout de développer son propre business, de se mettre en avant. Tout cela est très égocentrique. L’action climatique se déroule désormais ailleurs, et voici pourquoi.
Recherches, poursuites judiciaires et étapes marquantes de l’industrie
Signaux du marché encourageant une adoption rapide de solutions durables
La Climate Week NYC de cette année a vu plusieurs annonces majeures et initiatives visant à accélérer l’action climatique mondiale. L’un des points forts a été une nouvelle recherche menée par le professeur Tim Lenton de l’Université d’Exeter en collaboration avec Climate Group. Cette recherche s’est concentrée sur le concept de « points de basculement en cascade » et la manière dont les gouvernements peuvent initier des points de basculement positifs pour réduire les prix et les émissions de carbone. En réorientant les investissements des combustibles fossiles vers des technologies propres grâce à des mandats politiques, cette approche vise à déclencher un effet domino, encourageant l’adoption rapide de solutions durables à l’échelle mondiale.
Dans une autre avancée significative, le procureur général de Californie, Rob Bonta, accompagné de l’acteur Lou Diamond Phillips, a annoncé une poursuite très médiatisée contre ExxonMobil. Bonta a accusé la société d’avoir mené une « campagne de tromperie de plusieurs décennies » qui a contribué à la crise mondiale de la pollution plastique. Cette poursuite s’inscrit dans une tendance croissante des litiges climatiques qui visent à tenir les grandes entreprises responsables de leur impact environnemental.
Quarante des principales banques vertes des États-Unis, qui ont investi collectivement plus de 10 milliards de dollars dans des projets d’énergie propre l’année dernière, ont annoncé un nouveau partenariat. Cette initiative vise à coordonner les efforts pour stimuler une vague historique d’investissements dans les énergies propres à travers le pays. En collaborant, ces banques vertes espèrent étendre les solutions climatiques à toutes les régions des États-Unis, soutenant ainsi la transition énergétique propre du pays.
La Taskforce sur l’inégalité et les informations financières à caractère social (TISFD) a été lancée pour traiter des questions sociales dans le monde des affaires et de la finance. Elle vise à créer un cadre mondial, à relier les questions sociales et à fournir des orientations sur les risques liés aux personnes. Elle travaillera avec diverses parties prenantes pour s’assurer d’un large soutien.
Soyons clairs : cela illustre une combinaison efficace de méthodes incitatives et coercitives pour encourager le secteur privé à s’attaquer à la crise climatique avec l’urgence qu’elle exige en 2024.
Nouvelles certifications, cadres et encore plus de rapports
U.S. Steel et Responsible Steel ont marqué l’événement avec une certification sans précédent. L’installation Big River d’U.S. Steel en Arkansas est devenue le premier producteur mondial d’acier certifié ResponsibleSteel, marquant ainsi une étape importante dans la décarbonation de l’industrie sidérurgique. Cette certification établit un exemple crucial pour le secteur sidérurgique, qui est un contributeur majeur aux émissions mondiales de carbone.
De plus, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Observatoire international des émissions de méthane (IMEO) et le Fonds de défense environnementale américain (EDF) ont présenté un nouveau cadre pour suivre les réductions d’émissions dans le secteur pétrolier et gazier. Ce cadre fournit des lignes directrices détaillées pour surveiller les progrès vers les objectifs de réduction des émissions et du torchage fixés par les entreprises pétrolières et gazières dans le monde entier, en s’appuyant sur la Charte de la décarbonisation du pétrole et du gaz introduite lors de la COP28.
Le Climate Group et Ramboll ont également publié un rapport sur les industries de l’acier et du béton, révélant que près de 50 % des entreprises interrogées sont prêtes à payer une prime pour des matériaux à faibles émissions. Cela signale une demande croissante de matériaux de construction décarbonés, qui sont essentiels pour réduire l’empreinte carbone des projets d’infrastructure dans le monde entier.
C’est une autre série de discussions d’un grand intérêt si l’on considère le rôle des matériaux de construction, parmi d’autres industries, avec des enjeux très clairs concernant le changement climatique. De telles initiatives sont importantes pour envoyer un signal fort au marché et encourager la transition vers des matériaux à faible teneur en carbone. Il y a eu beaucoup de discussions similaires au travers de différents secteurs économiques plus ou moins matériels du point de vue de leur contribution au changement climatique.
Solutions climatiques innovantes et mises à jour réglementaires gouvernementales
Une nouvelle vague d’engagements, d’annonces et de lettres ouvertes
L’innovation a été un thème clé lors de la Climate Week NYC, avec plusieurs entreprises et organisations lançant des projets révolutionnaires. Asahi, une grande entreprise mondiale de boissons, a lancé son premier projet d’innovation durable. Cette initiative vise à stimuler l’innovation en vue d’atteindre des émissions nettes nulles et de favoriser une croissance commerciale durable. Le projet souligne l’engagement croissant des entreprises à intégrer la durabilité dans leurs opérations principales.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a également publié un rapport examinant les implications de la mise en œuvre de l’ensemble des engagements énergétiques pris lors de la COP28. Le rapport, intitulé De l’évaluation à l’action : comment mettre en œuvre les objectifs énergétiques de la COP28, avertit des risques d’une mise en œuvre partielle. Il souligne l’importance de traduire les objectifs climatiques internationaux en politiques énergétiques nationales afin d’assurer des progrès significatifs vers la limitation du réchauffement climatique à 1,5°C.
L’Alliance mondiale des énergies renouvelables, représentant le secteur des énergies renouvelables, a publié une lettre ouverte exhortant les dirigeants mondiaux à fixer des objectifs renouvelables ambitieux et concrets dans leurs contributions déterminées au niveau national (NDC) à venir. Ces révisions, prévues en février dans le cadre de l’Accord de Paris, sont cruciales pour garantir que les objectifs climatiques mondiaux soient atteints. L’appel à l’action de l’Alliance reflète la nécessité urgente pour les gouvernements d’intensifier leurs engagements en matière d’adoption des énergies renouvelables. Dans une autre annonce majeure, le Climate Group a lancé une nouvelle initiative axée sur l’électricité sans carbone 24h/24 et 7j/7. Cette initiative, soutenue par plusieurs partenaires fondateurs de la Coalition 24/7 sans carbone, vise à réduire les émissions en incitant les entreprises à utiliser de l’électricité sans carbone en continu, provenant de sources locales. L’initiative représente une étape audacieuse vers la décarbonisation de la consommation d’électricité, un élément clé de la transition énergétique mondiale.
Combien de Climate Weeks ont toutefois déjà généré autant d’annonces ? Il aurait été intéressant de suivre les engagements, annonces et lettres ouvertes similaires des Climate Weeks précédentes pour voir comment elles se sont traduites en actions concrètes pour atténuer les risques climatiques pour nos populations et notre planète.
Gêne : la Climate Week NYC se déroule en fait aux États-Unis…
Malheureusement, les États-Unis ne sont pas à l’avant-garde de l’action climatique. Depuis la signature des accords de Kyoto, il y a près de 30 ans, la diplomatie américaine s’est systématiquement efforcée de ralentir les progrès climatiques. Rappelons qu’à l’époque des accords de Kyoto, qui n’ont pas été signés par les États-Unis, c’était Al Gore, et non Trump, qui était vice-président et n’était pas en mesure de s’accorder avec le Congrès. Et cela continue. À un moment où l’action climatique doit être professionnalisée et réglementée, les États-Unis prônent fondamentalement le leadership dans la déréglementation et la critique de l’action climatique.
Sur le plan réglementaire, la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis a fait les gros titres en dissolvant sa Task Force Climat et ESG, lancée en 2021 pour traiter des divulgations trompeuses liées aux questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Cette décision intervient dans un contexte de réaction plus large contre les initiatives ESG, en particulier de la part de groupes conservateurs. L’expertise développée par le groupe de travail sera officiellement répartie au sein de la division d’application de la SEC, mais l’avenir des réglementations liées à l’ESG reste incertain, en particulier avec la possibilité d’un gouvernement contrôlé par les républicains qui pourrait contester les politiques climatiques actuelles.
Parallèlement, l’incertitude entourant les prochaines élections américaines a assombri les progrès en matière de financement climatique mondial aux Nations Unies. L’Assemblée générale des Nations Unies, qui s’est tenue juste avant la Climate Week, a été considérée comme la dernière grande réunion de toutes les nations avant la COP29, qui aura lieu juste après les élections américaines. De nombreux pays hésitent à prendre des engagements concrets en matière de financement climatique tant que le résultat de l’élection n’est pas connu, car la politique américaine jouera un rôle crucial dans l’avenir des négociations climatiques mondiales.
Innovations en matière de climat et d’énergie : Technologie et marchés du carbone
La technologie investit-elle correctement dans des solutions climatiques pertinentes ?
Les géants de la technologie comme Google et Microsoft continuent de jouer un rôle important dans le financement du secteur climatique. Google a annoncé qu’il achèterait 50 000 tonnes métriques de crédits de suppression de carbone auprès d’une startup brésilienne d’ici 2030. Cette startup, qui restaure des terres agricoles dégradées et replante des espèces indigènes de la forêt amazonienne, collabore également avec Microsoft, qui a signé l’année dernière un accord pour acheter 1,5 million de crédits. Les deux entreprises sont des membres fondateurs de la Coalition Symbiosis, qui vise à contracter jusqu’à 20 millions de tonnes de crédits de suppression de carbone d’ici 2030. Ces efforts mettent en lumière l’importance croissante des solutions basées sur la nature dans la lutte contre le changement climatique.
Chez Ksapa, nous travaillons sur des solutions liées au climat. Face à de tels programmes, quelques questions clés, comme celles soulevées lors de la Climate Week NYC 2024, reviennent : qu’en est-il des populations locales ? Cette question a été posée lors d’une conférence, mais aucune réponse n’a été donnée. Les programmes de solutions basées sur la nature ne peuvent réussir sans placer les populations locales au centre. Loin d’un simple exercice sur Excel consistant à calculer des hectares et des crédits carbone, la robustesse et la pertinence de chaque programme de ce type reposent sur leur capacité à apporter de la valeur tangible adressant les besoins des populations locales : revenu décent et emplois, absence de concurrence pour les terres destinées aux besoins locaux, diversification des économies locales, parmi d’autres considérations.
Le nucléaire, une dépense raisonnée?
La demande croissante d’énergie propre, en particulier de la part de l’industrie technologique, suscite également un regain d’intérêt pour l’énergie nucléaire. L’une des annonces les plus surprenantes de la Climate Week a été la réouverture prévue de l’installation nucléaire de Three Mile Island en Pennsylvanie, site du pire accident de réacteur de l’histoire des États-Unis. Microsoft a accepté d’acheter autant d’électricité que possible de cette centrale pour les 20 prochaines années. Alors que des entreprises comme Microsoft et Amazon renforcent leurs capacités en intelligence artificielle, elles se tournent de plus en plus vers l’énergie nucléaire pour répondre à leurs besoins énergétiques 24 heures sur 24, les sources renouvelables comme le vent et le solaire ne suffisant peut-être pas à fournir l’énergie constante requise par le traitement de l’IA. Déjà, avant de se concentrer sur la production d’énergie, ces entreprises peuvent d’abord étudier la possibilité et la manière de concevoir une IA plus sobre qui nécessite moins d’énergie. Par exemple, grâce à des approches quantiques.
J’ai moi-même travaillé dans l’industrie nucléaire pendant une période très limitée de ma vie. Mais cela m’a suffi, ainsi que ma participation à de nombreux programmes stratégiques et opérationnels dans le secteur, pour affirmer clairement : il n’existe pas de solution unique pour faire avancer la lutte contre le climat. À cet égard, le nucléaire peut avoir un rôle à jouer, tout comme de nombreuses autres solutions. Cependant, le nucléaire fait face à des défis majeurs, notamment : le coût, à un moment où la rareté des budgets signifie que l’argent consacré à quelques centrales nucléaires pourrait au contraire être utilisé pour financer un ensemble d’opportunités beaucoup plus diversifiées à la place avec les mêmes fonds ; l’adaptation, alors que les centrales ne sont généralement pas adaptées aux sécheresses, aux conditions météorologiques extrêmes et, par conséquent, ne sont pas adaptées au changement climatique ; et surtout l’échelle, à un moment où les considérations géopolitiques et de sécurité poussent la plupart des pays à explorer d’autres solutions que le nucléaire dans leur mix énergétique. Le nucléaire reste une solution de niche pour quelques privilégiés, posant pour autant en parallèle des problèmes liés à ses externalités au plus grand nombre, et en aucun cas une solution évolutive capable d’apporter une contribution significative à l’urgence climatique.
Conclusions : L’action se passe ailleurs, et non plus à New York
La Climate Week NYC 2024, au-delà de son flot d’annonces, s’est une fois de plus concentrée sur des discussions autour de concepts, de taxonomies et de langage, à un moment où l’événement lui-même devrait encourager l’action. Par exemple, le discours public sur l’ESG a également évolué, certains experts appelant à une réévaluation du concept. Un article de la Harvard Business Review a soutenu que l’ESG en tant que concept unifié est devenu trop large et vague, entraînant des réactions négatives contre ce que certains critiques qualifient d’investissement « woke ». L’article suggère que les dirigeants d’entreprises adoptent une approche en deux volets : d’abord, identifier et traiter les questions environnementales et sociales les plus pertinentes pour leurs performances financières ; ensuite, investir dans des solutions qui atténuent les impacts les plus négatifs de l’entreprise sur la société. D’accord – Est-ce vraiment en 2024, avec l’urgence climatique en toile de fond, le bon moment pour renommer les choses et affiner la taxonomie ? Ou plutôt pour arrêter de faire des annonces et commencer à travailler plus activement sur la réduction des émissions de GES à l’échelle ?
La Climate Week NYC 2024 a bien sûr été marquée par une série d’annonces importantes, allant de recherches révolutionnaires sur les points de basculement à des projets d’innovation en matière de durabilité d’entreprise et à des mises à jour réglementaires. Mais alors que le monde est confronté au défi urgent de s’attaquer au changement climatique, ces initiatives doivent se traduire par des programmes concrets démontrant comment les diverses approches adoptées par les gouvernements, les entreprises et les institutions financières ont prouvé leur capacité à faire progresser un avenir plus durable, avec des données concrètes à l’appui des trajectoires de limitation à 1,5 degré.
Heureusement, c’est là que nous concentrons notre temps et nos efforts chez Ksapa. Contactez-nous pour en savoir plus. Rejoignez le mouvement pour l’action climatique.
Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.