Transition énergétique et passoires thermiques

Transition climatique et passoires thermiques

La transition climatique passe nécessairement par un traitement prioritaire de la question des passoires thermiques. Ksapa examine ici les enjeux de cette épineuse question et propose une solution. Pour la seule France, améliorer les performances énergétiques de ces actifs pourrait après tout atteindre les 113 milliards d’euros sur la prochaine décennie

Le cap en matière de transition climatique a été fixé par la Commission Européenne : 55% de réduction d’émissions des GES (Gaz à Effet de Serre) d’ici 2030. Les entreprises adhèrent en masse aux mouvements tels que la Science-Based Targets initiative ou la Race to Zero. Les Banques Centrales se réunissent sous la bannière du Network for Greening the Financial System. Les investisseurs s’organisent pour favoriser l’évolution de leurs portefeuilles dans des initiatives tels que la Net-Zero Asset Owner Alliance de l’UNEP-FI.

Toutefois, l’organisation de la transition énergétique au-delà de ces engagements et objectifs, certes salutaires, ne peut se déployer en se focalisant uniquement sur les actifs et activités exemplaires en matière climatique. 30% des émissions de GES proviennent du secteur de l’immobilier et de la construction selon l’UN-PRI et l’impact potentiel en France de l’amélioration des performances énergétiques de ces actifs est estimé à 113 milliards d’euros sur la prochaine décennie. 

De l’urgence de traiter des passoires thermiques

A ce titre, la transition climatique passe immanquablement par le traitement des « passoires thermiques », dont l’urgence de traitement est identifiée depuis des années mais avec des difficultés de mise en œuvre prononcées. Ces passoires thermiques représenteraient 17% des logements environ – chiffre à confirmer avec le nouveau DPE prenant effet en juillet 2021.

Ainsi, un rapport du directeur général délégué de la Caisse des Dépôts, Olivier Sichel, sur les passoires thermiques, a été remis en mars 2021 au gouvernement en vue de l’adoption de la loi « Climat et Résilience ». Il propose différentes mesures ayant pour but d’accélérer et de massifier les rénovations énergétiques globales des passoires thermiques. Notamment, il préconise :

  • la création d’un statut d’acteur global d’accompagnement qui se chargerait d’établir un diagnostic et plusieurs propositions de rénovation aux ménages concernés,
  • l’octroi d’aides publiques modulées selon un double critère de revenus et d’ambition énergétique
  • la réanimation du “prêt avance mutation” pour favoriser les rénovations des logements occupés par les plus de 60 ans.

Du côté des grandes entreprises, les engagements de neutralité carbone à horizon plus ou moins longs se multiplient – fort bonne nouvelle qui reste toutefois à mettre en œuvre dans les meilleurs délais. Il n’est généralement soufflé mot du traitement des bâtiments tertiaires ou industriels pouvant se qualifier pour la terminologie de passoires thermiques…  

Mais revenons à la question des logements : le problème des passoires thermiques porte évidemment un double enjeu environnemental et social.

L’impact socio-environnemental des passoires thermiques

D’une part, ces logements sont les plus exposés à une hausse du prix du carbone – récemment brièvement passé au-dessus des 40€ la TEQ (Tonne équivalent carbone) après des années de stagnation en-dessous du seuil des 10€ sur le marché règlementé européen. Ce mouvement renchérit le coût de l’énergie pour les ménages concernés et amenuisera à terme la valorisation des actifs immobiliers concernés. 

D’autre part, ils sont détenus ou occupés en majorité par des populations peu aisées, voire en sévères difficultés (37% des logements passoires thermiques sont occupés par des foyers vivant sous le seuil de pauvreté), dont les capacités d’investissement sont obérées, à fortiori dans le contexte de la crise économique post-Covid. Le mouvement des Gilets Jaunes, né d’une protestation quant à l’introduction de la taxe carbone, l’avait rappelé : précarité énergétique et difficultés économiques vont de pair. Il ne peut y avoir de transition énergétique sans la prise en compte de la dimension sociale et de la nécessaire équité dans la prise en compte de ces disparités. 

Comment dès lors organiser ou favoriser la rénovation de ces passoires thermiques en tenant compte du manque de moyens privés pouvant lui être affectés ?

Proposition de solutions concrètes de financement

Une (petite) partie de la réponse est apportée par le projet de loi Climat et Résilience en proposant l’interdiction à échéance 2028 de louer des logements non-performants énergétiquement. Décourageant pour les propriétaires indélicats, certes…  Mais d’une ambition largement insuffisante – et surtout trop tardive. 

La piste de solution que nous proposons en complément des pistes et mesures citées plus haut, s’appuie entre autres sur le contexte monétaire – taux négatifs et liquidités abondantes – qui constitue une occasion unique pour organiser un dispositif incitant à la rénovation accélérée de ces actifs, traitant cet enjeu stratégique à un coût finalement abordable, tout en permettant des créations d’emplois pérennes.

Nous suggérons en effet qu’en plus des avances et subventions à la rénovation énergétique des passoires thermiques (Diagnostic de Performance Energétique F et G), un prêt à taux 0 ou réduit, distribué par les établissements bancaires mais alimenté par un fonds sous tutelle étatique, soit proposé aux ménages engageant ces investissements, pour le solde des travaux non financés par subventions.

Schéma de solution pour financer la rénovation des passoires thermiques

Octroi de prêts préférentiels pour faciliter la rénovation des passoires thermiques

  • L’objet des prêts intègrerait des travaux ou équipements liés à l’amélioration de l’efficacité énergétique et/ou des dispositifs de production d’énergies propres pour auto-consommation. Il pourrait être étendu aux travaux relevant de l’adaptation aux risques liés aux dérèglements climatiques dans certaines zones, au-delà de la limitation des émissions de GES des logements concernés, permettant à terme de limiter les impacts financiers pour la collectivité des événements climatiques extrêmes ou des risques chroniques dues à ces dérèglements.
  • Ces prêts n’impliqueraient aucun remboursement jusqu’à la cession des actifs et concerneraient tous les particuliers propriétaires de « passoires thermiques ».
  • Un nouvel instrument de garantie serait créé, à taux d’inscription hypothécaire réduit, ce qui devrait être rendu possible par la digitalisation du registre national des hypothèques : une « hypothèque verte » en quelque sorte venant en complément des usuels moyens de garantie comme les hypothèques de premier ou deuxième rang et les PPD (privilèges de prêteurs de deniers).
  • Le risque porté par ces prêts serait maitrisé dans la mesure où la rénovation énergétique viendra renforcer la valorisation de ces actifs, effaçant également la décote des actifs passoires en valorisant leur performance énergétique, différence appelée à être de plus en plus significative.
  • Le fond étatique constitué ad hoc aurait ainsi un risque de défaut mesuré et pourrait être financé par l’émission d’un Green bond, que la signature de l’Etat rendrait particulièrement attractif avec des obligations à 10 ans à taux négatif en mars 2021, dans un marché des obligations durables anticipé en croissance à 600 milliards d’euros en 2021 et en cohérence avec l’évolution règlementaire européenne de taxonomie verte et nouveaux standards d’obligations vertes. Ce fonds pourrait être opéré en deuxième rideau des établissements bancaires par des acteurs étatiques ou des institutions d’assurance-garantie comme Crédit Logement ou CEGC.

Avantages de ces solutions dans une logique de relance inclusive

  • Les implications en matière d’emplois seraient significatives, en cohérence avec les ambitions affichées en matière de formation aux métiers d’avenir (notamment liés à la transition écologique) visés dans le plan de relance post-Covid de 2020, et porteuses de qualifications prometteuses pour les personnes concernées, la complétion de ces parcours de formation pouvant donner accès à un agrément type RGE.
  • Le plan de formation d’ampleur devant être associé au lancement de ce dispositif porterait principalement sur trois métiers : le diagnostic-conseil en matière de transition énergétique, l’installation des équipements et la réalisation des travaux, et la maintenance de ces équipements (essentielle pour que les améliorations apportées soient pérennes).

Conclusion | Opérationnaliser une transition juste et durable

Ainsi, ce dispositif permettrait de promouvoir et d’opérationnaliser une logique de transition juste, favorisant l’accélération de la transition énergétique tout en limitant l’exposition des plus modestes aux conséquences et risques liés aux dérèglements climatiques, qu’ils soient physiques ou de transition – tout en apportant des perspectives d’emplois qualifiés implantées sur les territoires.

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Après 20 ans d'expérience dans l'investissement et l'asset management, notamment immobilier, Raphaël Hara travaille sur les liens entre finance et durabilité, notamment au travers du développement et de la mise en œuvre de projets d'impact investing.

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