Une relance inclusive en réponse à la récession liée au Covid-19

Vous avez été 150+ décideurs à vous joindre à ce récent webinaire Ksapa, organisé pour proposer des solutions permettant aux entreprises et investisseurs de contribuer à une relance inclusive. Voici donc quelques pistes clefs pour tirer les leçons de crises passées et envisager des solutions innovantes pour relever les défis spécifiques à la récession actuelle.. La rediffusion de ce wébinaire est accessible ici.

Dans des contextes socialement explosifs de par le monde, 100 millions pourraient verser dans l’extrême pauvreté à cause du Covid-19

Le cours de l’action d’Amazon est passé de 1 850 à 2 600 dollars depuis janvier 2020. Les géants de la technologie ont non seulement récupéré la valeur que leur avait fait perdre le Covid-19, certains ont vu la pandémie durablement accélérer la demande pour leurs produits et services. Dans le même temps, la Banque Mondiale estime que jusqu’à 100 millions de personnes dans le monde pourraient verser dans la pauvreté extrême en 2020, du seul fait de la pandémie. Alors que nous traversons une deuxième vague du Covid-19, le pire scénario de l’OCDE semble se confirmer : il prévoie une chute de 7,6 % de la production économique mondiale en 2020. Le taux de chômage dans les pays de l’OCDE pourrait doubler par rapport aux seuils d’avant la pandémie et l’espoir est mince d’observer une reprise de l’emploi significative en 2021.

En juillet 2020 déjà, Ksapa soulignait qu’une relance inclusive reposerait sur une vision et un leadership communs. Pour examiner ces défis à l’aune de la récession actuelle, Ksapa a de nouveau organisé un wébinaire, cette fois en présence de Susan Winterberg (Harvard Belfer Center for Science and International Affairs), Romina Boarini (Centre de l’OCDE pour le bien-être, l’inclusion, la durabilité et l’égalité des chances) et Žiga Žarnić (Chef de l’Unité d’évaluation des pays membres de l’OCDE). L’objectif était d’examiner les points communs et contrastes de la crise actuelle par rapport à celle de 2008, afin d’en intégrer les enseignements dans nos propositions de solutions pour une relance inclusive.

Contrastes et similitudes avec les récessions passées

Les efforts déployés pour rétablir une croissance économique durable après la crise financière de 2008 ont été inégaux. Publié 6 ans après la crise, un rapport de l’OCDE suggérait que la reprise était timide, les économies émergentes étant confrontées à un ralentissement généralisé alors que les pays plus développés ne ressentaient que les effets d’une croissance plus faible. En effet, les revenus des 10 % les plus pauvres n’avaient augmenté de 1,6 % entre 2010 et 2014, contre un taux de croissance de 5,2 % pour les plus riches. En guise d’illustration de la disparité des revenus correspondante, les 10 % les plus aisés ont récupéré leurs salaires d’avant la crise dès 2014, alors que les plus vulnérables ont perdu 14 % de leurs revenus par rapport à ce qu’ils étaient avant le scandale des surprimes.

En proie à la crise des surprimes en 2008, le gouvernement des Etats-Unis a procédé au renflouement des banques dans l’intérêt d’une reprise économique à court terme. Des inégalités préexistantes se sont enracinées dans le processus, que la pandémie de Covid-19 vient mettre en lumière – cette fois, avec un ressentiment décuplé. L’inquiétude règne autour d’un plan de relance qui miserait sur une économie du ruissellement centrée sur la minorité des plus riches, alors que la pandémie de Covid-19 affecte les plus vulnérables de manière si disproportionnée.

1. L’ampleur sans précédent de la crise mondiale de Covid-19

L’une des principales caractéristiques de la crise actuelle est son ampleur. Elle est le fruit d’une crise socio-économique doublée d’une pandémie mondiale, le tout dans un contexte d’urgence climatique.

Dans une économie mondialisée, nos écosystèmes de plus en plus interconnectés ont accumulé une forme d’arriérés par rapport aux crises passées, avec leur lot d’inégalités pratiquement non résolues. Bien qu’il soit difficile d’affronter différentes crises qui se nourrissent si clairement les unes des autres, céder au court-termisme dans les mesures de relance nous ferait collectivement passer à côté de la volatilité sociétale ambiante et plus généralement, de l’urgence climatique de la décennie à venir.

L’OCDE peine en effet à évaluer pleinement le coût de la crise sanitaire. Alors que la communauté internationale tire les leçons de la première vague du Covid-19, des études soulignent l’importance centrale du bien-être et ses impacts sur la santé. Des spécialistes ont comparé la détresse psychologique liée au confinement ou au rétablissement lent du Covid-19 à un syndrome post-traumatique. Parallèlement, les hôpitaux débordés et les disruptions de l’approvisionnement mondial ont perturbé la prise en charge de personnes atteintes de maladies chroniques. Selon toute vraisemblance, ils n’ont pas non plus pu obtenir normalement leurs médicaments, ce qui a pu les amener à développer des symptômes plus graves, les rendant d’autant plus vulnérables au Covid-19. Les mesures de confinement ont drastiquement modifié notre façon de travailler et de prendre soin de nos familles. Cela a favorisé une recrudescence des violences conjugales d’autant plus fréquentes, graves et dangereuses qu’elles étaient – littéralement – sans issue. Pour exemple, le nombre d’appels à la police liés à des violence conjugales a ainsi triplé dans la ville de Jingzhou (Chine) au titre du seul mois de Février.

Autre sujet d’inquiétude, la récession ou même la crainte d’un retour au confinement pourraient voir se démultiplier les atteintes aux Droits de l’Homme de par le monde. Aux Émirats Arabes Unis, les lois ont été assouplies afin que les entreprises puissent rompre les contrats de travailleurs étrangers, réduire les salaires ou faire pression sur leurs employés pour qu’ils acceptent des congés sans solde. Des milliers de travailleurs indiens se voient ainsi forcés de choisir entre travailler sans salaire et se faire rapatrier… si tant est qu’ils trouvent des moyens de transport. Avec les quelques 100 millions de personnes que le coronavirus pourrait pousser dans l’extrême pauvreté, les ménages jouent leur survie : le recours au travail des enfants risque donc d’augmenter. Des études établissent la corrélation entre une augmentation d’un point de pourcentage de la pauvreté et une croissance d’au moins 0,7 point de pourcentage du travail des enfants.

Ce ne sont là que quelques-uns des enjeux liés au Covid-19. Pour être efficaces, les politiques de relance doivent donc dépasser la seule logique de croissance économique et création d’emplois, en se concentrant plutôt sur des indicateurs de bien-être indexés sur le revenu, la qualité des emplois, le logement et la santé. De même, lorsque les plans de relance se fixent des objectifs environnementaux, il est essentiel de mettre l’accent sur le bien-être de la population afin de renforcer leur acceptabilité sociale et politique.

2. L’accélération de la transformation socio-économique

Les grandes crises s’accompagnent de grands changements. Dans les années 1950, Schumpeter parlait de destruction créatrice, soit un processus continu de mutation industrielle visant à réinventer sans cesse la structure économique de l’intérieur. De récession en dépression, l’innovation technologique est un levier central dans la reprise, la démultiplication des innovations et la prospérité qui s’ensuit.

L’innovation se décline en différentes formes et notamment en matière de processus, d’organisation, de produits, de sources de matières premières et de marchés. S’agissant de la récession actuelle, le bouleversement généralisé et l’aspiration au changement favorisent une innovation exponentielle. Par exemple, la révolution numérique avait été prophétisée depuis plus d’une décennie, mais les organisations peinaient à planifier et activer efficacement leur transformation digitale. Aujourd’hui, les craintes liées à la contagion au Covid-19 et les mesures de confinement poussent les ménages et les travailleurs à se mettre en ligne. La situation est donc tout à fait différente, tant du point de vue des investissements que des entreprises. Les mesures de distanciation sociale ont stimulé les interactions numériques à tel point qu’une étude estime que 92 % des entreprises interrogées avaient transféré leurs plateformes de dialogue avec les parties prenantes sur les canaux numériques, accélérant par la même leur transition digitale. D’autre part, les entreprises de services numériques profitent directement de la crise, tant sur le plan du cours – record –de leurs actions que de leur domination du marché.

3. L’élite du secteur privé elle-même remet en question les avantages de la mondialisation

Une autre tendance nouvelle se dessine, qui remet en question en bloc les avantages de la mondialisation. Ce qui est si unique avec la crise actuelle, c’est que ces préoccupations émanent de l’élite elle-même. Selon le Baromètre de confiance Edelman 2020, 56 % des personnes interrogées considèrent que le capitalisme tel qu’il existe aujourd’hui dans le monde fait plus de mal que de bien. Là encore, les inégalités ont érodé la confiance, au point que 57 % de la population considère que les gouvernements ne servent que les intérêts particuliers, par opposition à une population plus riche, éduquée et connectée, qui fait davantage confiance aux pouvoirs en place. Parallèlement, moins de 30 % ferraient confiance aux entreprises pour combler les lacunes, notamment en matière de salaires décents ou de formation des travailleurs. Selon une enquête mondiale auprès des Milléniaux, 51 % considéraient les entreprises comme une force positive en décembre 2019, contre 76 % il y a 3 ans. En mai 2020, ce chiffre est tombé à 41 %. Cette tendance devrait se renforcer avec l’essor de la génération Z qui, bien que jouissant d’un plus grand revenu disponible, tend à avoir un rapport beaucoup plus pragmatique à la puissance – publique comme privée.

3 leviers pour une relance inclusive

L’équipe de Ksapa défend le principe d’une sortie de crise par la coopération. L’incertitude généralisée que génère la deuxième vague de la pandémie semble freiner l’émergence d’une telle vision. Pourtant, ce sont les décideurs capables de jeter dès maintenant les bases d’une relance inclusive qui sortiront gagnants de la crise. Alors que la communauté internationale attend de voir comment les dés seront jetés, 3 leviers clés émergent qui soutiendraient une reprise inclusive en réponse à la récession du Covid-19.

1. Trouver le juste équilibre entre gestion conventionnelle des crises et investissement à long terme

Aujourd’hui plus que jamais, les entreprises doivent trouver un équilibre entre une gestion classique de la crise et les investissements à long terme. Les mesures de confinement ont provoqué une telle baisse de la consommation et des commandes que des mesures conventionnelles d’efficacité opérationnelle seraient insuffisantes. Les récessions passées ont convaincu les entreprises que les licenciements étaient inévitables, plutôt que d’accepter des baisses temporaires de productivité pour faire face à leurs défis financiers et de compétitivité. La pandémie du Covid-19 étant appelée à durer, elle génère une incertitude prolongée et sans précédent en termes de continuité de l’approvisionnement, de nouvelles méthodes de travail et de création de valeur. En conséquence, les approches du passé ne sauraient prévaloir. Selon des chiffres d’avant la crise, les travailleurs au chômage sont en effet deux fois plus exposés aux risques de maladie, dépendance et dépression. Licencier aujourd’hui reviendrait à mettre en péril l’acceptabilité sociale de ses opérations – et ce, au pire moment possible.

Les choix de nos dirigeants en période de ralentissement économique déterminent les performances en période de reprise. Il est tentant pour les entreprises de parer au plus urgent, en opérant des coupes franches dans le personnel, ou en coulant des fournisseurs par l’annulation de commandes… bien qu’ils soient stratégiques. Les chercheurs de Harvard ont en revanche montré comment les entreprises capables de se concentrer sur les améliorations opérationnelles ont surpassé la concurrence et renoué avec la croissance. Leur raisonnement repose sur le constat que les licenciements sont coûteux pour l’entreprise, outre le fait qu’ils nuisent durablement aux minorités à faibles revenus déjà vulnérables. Par exemple, les employés maintenus dans leur emploi tendent à être si traumatisés par les campagnes de licenciement que leur performance peut chuter de 20 %. Cela crée des risques à court terme en matière de qualité et de sécurité et freine en fin de compte la capacité de l’entreprise à se redresser, dans la mesure où elle aura perdu ses meilleurs talents et tardera à obtenir de nouveaux brevets ou livrer ses produits dans les délais.

2. Investir dans un plan d’urgence pour s’adapter à l’incertitude et limiter les perturbations de l’activité

Susan Winterberg, chercheuse au Harvard Belfer Center, s’est jointe à Ksapa pour souligner l’importance de préparer des plans d’urgence au plus tôt, pour l’avenir immédiat et la décennie à venir. Des alternatives en matière de réduction d’heures, de congés et de rémunération au rendement se sont par exemple avérées efficaces face à la crise des surprimes de 2008, en particulier parmi les entreprises les plus sévèrement touchées par la récession et dont les niveaux d’endettement étaient les plus élevés.

Les entreprises devront prendre conscience que de plus en plus de leurs parties prenantes attendent d’elles qu’elles investissent dans des transitions durables, tant au sein de l’entreprise que pour la société en général. À court terme, cela implique la mise en place d’environnements de travail inclusifs pour les employés, grâce à des plans de continuité des activités suffisamment souples pour s’adapter à l’incertitude, tout en minimisant les perturbations de l’activité. Cela suppose aussi de développer des environnements de travail sûrs et de favoriser l’équilibre entre vie professionnelle et privée pour les employés. Il s’agirait également de préserver les salaires et l’emploi grâce à des réaménagements des horaires de travail, en œuvrant de concert avec les interventions publiques.

Dans l’optique de transitions organisationnelles à plus long terme, les entreprises pourraient élaborer des programmes proactifs, allant du renforcement des capacités de leur personnel à la recherche et au développement et la transformation numérique, pour ne citer que quelques options. Pour répondre à l’appétit généralisé pour le changement et l’activisme sociétal des entreprises, on pourra à terme envisager des initiatives de rapatriement plutôt que d’’externaliser la production, le développement d’infrastructures dans des territoires clés afin de stimuler l’autonomie de ses actifs ou encore de redoubler les efforts de développement des compétences dans l’entreprise de programmes hyper-localisés, aux prises directes avec ses territoires d’opération.

3. De la coopération, et toujours plus de coopération

Ksapa affirme son engagement en faveur de la co-construction multisectorielle. Vue l’ampleur des enjeux, il s’agit de redoubler d’efforts pour aligner décideurs publics et privés, multinationales et petites ou moyennes entreprises, investisseurs et syndicats ou organisations de la société civile. Les initiatives de collaboration offrent en effet un moyen de créer des écosystèmes et chaînes de valeur plus inclusifs malgré le ralentissement économique et soutenir ainsi les clients et communautés vulnérables à l’heure où ils en ont le plus grand besoin – dans l’immédiat et pour préparer l’avenir.

L’OCDE a réitéré son appel à une coopération plus globale, pour assurer la continuité de l’approvisionnement des entreprises et la fourniture de services essentiels (eau, nourriture, énergie, etc.). Cela permettrait aussi d’aider les clients et fournisseurs vulnérables, notamment en rationalisant les paiements ou en différant les remboursements des crédits, entre autres mécanismes financiers de même nature. C’est pourquoi un soutien financier collectif de plus de 38 milliards d’euros a été débloqué par la coalition B4IG pour aider les communautés et gouvernements à gérer la crise partout où opèrent ses organisations membres. Ces dons financiers et en nature sont de nature à pallier la crise sanitaire immédiate, en finançant des centres de soins, hôpitaux ou instituts de recherche pour trouver un vaccin, en distribuant par exemple des fournitures médicales d’urgence et d’autres produits essentiels de santé. Ils peuvent enfin avoir un impact socio-économique plus large en distribuant de la nourriture, des biens et services essentiels aux plus vulnérables.

Conclusion | Prioriser les enjeux systémiques

Les crises sont des vecteurs de fragmentation et remettent en question la notion même de communauté d’intérêts. Ksapa aide donc les entreprises à se recentrer sur leurs valeurs, notamment au moyen d’une déclaration d’intention qui formalise une nouvelle proposition de valeur, les attentes en matière d’engagement des employés, l’engagement à soutenir leur chaîne de valeur élargie et les mesures visant à relever le défi plus large du développement durable. Ksapa propose aussi des services de conseil et d’investissement à impact pour que les entreprises et investisseurs se concentrent sur leurs enjeux les systémiques et déploient leurs ressources globales pour une relance inclusive qui soit ambitieuse, à l’échelle et à fort impact.

Cela nécessite à terme un apport d’expertise méthodologique pour aider les entreprises (et les décideurs en général) à engager une réflexion de fond sur leur engagement en faveur du changement durable, les personnes qu’elles chargeront d’y veiller et leurs mesures de suivi et communication des progrès réalisés.

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Ksapa est une plateforme internationale de référence créée pour faire avancer les questions des Droits de l’Homme, du climat et de la circularité au sein de la communauté des entreprises et des investisseurs. Plus de 150 décideurs et praticiens internationaux se sont joints à nous pour aborder ensemble des questions aussi sensibles et complexes que la croissance inclusive dans le contexte de la récession actuelle, dont Airbus, Arla Foods, ATP Investment, Axa, Bonsucro, Baker Hugues, Bouygues, Coca-Cola, Crystol Energy, Danone, Diageo, EDF, Electrolux, Enel, Firmenich, Framatome, Ingenico, JDR Cable Systems, Kadye Global, Johnson Matthey, Limagrain, McKinsey & Company, Michelin, Multiplex, Nestlé, Neste, Orange, Philip Morris, Positive Fashion, RB, Rio Tinto, Roche, Sarasin UFG La Française, Schlumberger, Schneider Electric, SNCF, STMicroelectronics, Société Générale, Stora Enso, TCO Sverige, The Walt Disney Company, Total, Upfield, Vestas, Vinci and WSP. Ils ont été rejoints par des consultants, universitaires, organisations multilatérales et associations, telles que l’Association des auditeurs de la conformité sociale, Bonsucro, l’Université de la défense indonésienne, l’Institut danois des droits de l’homme et des affaires, la Cour suprême fédérale d’Éthiopie, GoodCorporation, le Groupe KEDGE, Novethic, la Notre Dame Law School, NYU Business School, OCDE, les Open Society Foundations, les Principes de l’investissement responsable des Nations Unies, Proparco, PUR Projet, RespectUs, Tribal Policy Research, les défenseurs des Droits de l’Homme des Nations unies, le groupe de travail des Nations unies sur les Droits de l’Homme et Sustainalytics.

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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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