Cet article mis à jour a été initialement publié sur Le Cercle Les Echos ici
DPEF, Devoir de Vigilance, section RSE des documents de référence, CDP, TCFD, SDG Compass, IIRC… les entreprises sont priées de faire du reporting RSE de manière crédible et pertinente. Au risque sinon de faire face à des plaintes, par exemple pour « pour pratique commerciale trompeuse ». Au risque surtout sinon de ne pas impliquer leurs parties prenantes dans une réflexion indispensable sur leur capacité à s’adapter et s’intégrer dans un monde sous contrainte environnementale et sociale toujours plus forte.
La plainte pour « pratique commerciale trompeuse » par Sherpa, Peuples solidaires et Indecosa-CGT était une démarche intéressante début 2012. Elle venait rappeler l’affaire Nike/Kamsky 10 ans plus tôt en Californie. Ces exemples viennnent régulièrement rappeler combien les rapports RSE sont analysés, scrutés et jugés par des lecteurs toujours plus experts.
Les rapports RSE : un outil marketing ?
L’association de consommateurs Indecosa-CGT, qui avait porté plainte contre les deux multinationales estimaient que « ces entreprises ne considèrent la RSE que comme un outil marketing de compétitivité ». Il s’agirait donc de montrer son plus beau profil aux experts intéressés par la lecture des rapports de développement durable.
J’ai travaillé sur une centaine de rapports de développement durable depuis une bonne quinzaine d’années, en France, en Europe, aux États-Unis, au Brésil ou en Asie. J’ai toujours été positivement étonné par la professionnalisation de l’exercice, et la capacité de nombreuses entreprises à faire l’effort de fournir de l’information toujours plus fiable et transparente. Toutefois, en discussion avec nombre de parties prenantes, experts et étudiants, j’ai toujours eu affaire à de nombreux commentaires sceptiques sur la pertinence de ces rapports, chargés de bonnes volontés et d’informations positives et occultant trop souvent des sujets essentiels.
J’en suis arrivé à une conclusion simple : était-ce mieux « avant » ? Je me souviens des rapports de citoyenneté de quelques entreprises dans les années 1990. La loi NRE, et plus récemment le Grenelle II, mais également les très nombreuses initiatives internationales comme la Global Reporting Initiative, le GHG Protocol ou des lois comme Sarbanes-Oxley ou Dodd-Frank aux États-Unis ont considérablement normalisé et standardisé la qualité de l’information fournie dans ces rapports. Le formidable développement des médias sociaux permet également aujourd’hui de croiser de plus en plus facilement l’information fournie par une entreprise avec le point de vue de communautés d’experts ou de parties prenantes pertinentes : il devient difficile de disséminer des allégations susceptibles d’être facilement contredites en deux clics sur le web…
La qualité des rapports RSE aujourd’hui, c’est, finalement ; l’histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein :
– Verre à moitié plein : la triple pression réglementaire, l’émulation créée par la dynamique de parties prenantes questionnant les rapports et le formidable développement des médias sociaux permettent d’accéder aujourd’hui à de l’information extra financière de bien meilleure qualité que ce qui existait il y a 10 ou 15 ans.
– Verre à moitié vide : toutefois, les plaintes déposées (et sans jugement sur le fond) rappellent combien la vigilance doit rester de mise ; à quel point nous parlons avec la RSE d’une discipline jeune : l’information extra financière rendue publique peut s’améliorer pour continuer à gagner en pertinence et crédibilité
Entreprises : 10 questions à se poser pour nourrir une démarche de reporting RSE qui soit crédible et pertinente.
Ainsi, pour rédiger un rapport RSE créant de la confiance et servant de vecteur de dialogue, voici plusieurs questions à se poser :
1) Un rapport RSE est un outil de dialogue. En somme, ce qui en fait fondamentalement la différence avec un spot publicitaire, c’est qu’un bon rapport RSE doit présenter une démarche de manière humble, révélant que l’entreprise a une maturité suffisante pour comprendre les principaux défis sociaux, sociétaux et environnementaux auxquels elle doit faire face, sans pour autant tenter de faire croire qu’elle a la parfaite maîtrise des solutions. Le rapport RSE est un outil permettant de partager une démarche pour l’offrir à la critique constructive de communautés d’experts.
2) Identification de sujets prioritaires. Au-delà d’une longue collection d’initiatives allant dans tous les sens, le rapport RSE doit présenter les sujets que l’entreprise entend traiter en priorité du fait de sa capacité d’influence sur ces risques et opportunités majeurs. Cette démarche est souvent appelée « matérialité », et devient extrêmement généralisée. Le rapport doit fournir de l’information permettant de comprendre le processus consultatif multipartite qui a permis d’établir les enjeux prioritaires, de manière notamment à éviter tout processus trop consanguin et n’utilisant pas le levier d’intelligence collective offerte par une consultation multipartite.
3) Une vision tournée vers l’avenir croisée avec de l’information passée. Un bon rapport RSE doit permettre de comprendre une vision proactive et ambitieuse, résolument tournée vers le futur, appuyée par des objectifs RSE projetant l’entreprise vers 2025 voire 2030. La fourniture d’un reporting permettant d’analyser les performances sur l’année passée (et antérieurement) doit permettre de crédibiliser la réalisation de la vision future : est-ce que l’entreprise est sur une bonne trajectoire d’amélioration ? Qu’a-t-elle pu apprendre des initiatives passées, lui permettant ainsi d’affiner son atteinte d’objectifs futurs ?
4) Le reporting fournit-il de l’information détaillée concernant aussi bien les politiques que leur mise en pratique, le retour d’expérience et correctifs apportés ? Il est par exemple utile de savoir qu’il y a, par exemple, un code de conduite, ou bien une politique anticorruption. C’est aussi essentiel de comprendre comment ces processus sont mis en application, les difficultés opérationnelles rencontrées, les incidents et les correctifs mis en place pour réduire des risques ou améliorer la diffusion et l’adoption des pratiques dans l’organisation.
5) Le reporting fournit-il des données couvrant un périmètre d’ensemble, ou se concentre-t-il sur de l’information anecdotique ? C’est toujours intéressant de découvrir une étude de cas, ou bien un projet pilote. Il est alors essentiel de comprendre en quoi une étude de cas est illustrative d’une démarche d’ensemble, ou bien correspond simplement à une initiative locale et pilote. Le cas échéant, il est essentiel de comprendre pour autant les démarches envisagées permettant de généraliser un projet pilote dans une organisation.
6) Est-ce que l’information fournie par l’entreprise est présentée de manière à faciliter la comparaison avec d’autres entreprises ? La Global Reporting Initiative, l’IRRC, mais également les indicateurs proposés par le Grenelle II offrent des référentiels utiles pour fournir de l’information comparable.
7) Le reporting comprend-il des bonnes nouvelles aussi bien que des mauvaises nouvelles ? C’est un point toujours difficile, mais essentiel pour crédibiliser une démarche de reporting. Personne dans le milieu de la RSE ne s’attend franchement à trouver des entreprises maîtrisant parfaitement des sujets complexes. Bien au contraire, si le rapport RSE doit jouer son rôle d’outil de dialogue, il est de la responsabilité de l’entreprise de partager des difficultés et d’encourager les experts lecteurs à apporter des idées, des critiques constructives permettant d’aider l’entreprise à progresser sur des sujets souvent réellement épineux.
8) Le reporting RSE proposé communique-t-il avec les éléments publiquement disponibles de l’entreprise traitant de la stratégie d’ensemble et du reporting financier ? C’est toujours étonnant d’avoir un rapport RSE évoquant, à titre d’exemple, combien l’effort en matière de R&D pour des technologies propres est essentiel ; et lorsqu’on étudie l’information fournie par la même entreprise en matière de R&D, on ne trouve pas une ligne sur les énergies renouvelables… Si le développement durable est bien une thématique stratégique pour l’entreprise, alors le rapport dédié doit présenter une information cohérente avec ce que les autres unités fonctionnelles (ressources humaines, finance, R&D…) ont à partager. Sinon, il y a une dissonance qui élève des soupçons…
9) Le rapport RSE utilise-t-il les fonctionnalités offertes par Internet (accès granulaire à l’information, médias sociaux…) ? Le concept du rapport PDF qui est un copié/collé du contenu web du rapport développement durable est complètement dépassé et subsiste encore de manière impressionante en 2018… Une bonne démarche de rapport RSE doit utiliser les fonctionnalités du web pour concentrer sur un PDF de l’information essentielle, relativement permanente et stratégique (métier, enjeux prioritaires, vision et objectifs, indicateurs clefs de performance…), tandis que l’interface web doit permettre d’accéder à de l’information complémentaire pour celui désireux d’approfondir un sujet (téléchargement d’informations complémentaires, sites web thématiques…), engager le dialogue via un blog, croiser le regard (non censuré, mais éventuellement modéré) porté par des parties prenantes, s’intégrer et vivre de concert avec des médias sociaux comme Twitter, Facebook ou Linkedin
10) Le regard croisé non censuré de parties prenantes sur les sujets. Donner la parole, même si elle est très critique, à des acteurs qui ont leur propre vision sur les sujets abordés par le rapport RSE, c’est s’approcher de la vérité et de sa complexité multifacette, c’est ouvrir le dialogue, c’est impulser le type de dynamique collective nécessaire pour trouver les solutions pertinentes. Je reste par exemple encore trop souvent étonné par l’absence d’une voix syndicale sur les questions sociales.
C’est en travaillant activement sur ces principes que les entreprises peuvent éviter tout risque d’accusation de pratiques trompeuses. Outil de dialogue, le rapport de développement durable est crédibilisé par sa capacité à démontrer un besoin d’intelligence collective, permettant de traiter des sujets complexes, portés par une démarche humble et constructive impulsée par l’entreprise avec les réseaux d’experts et de personnes concernées (ou leurs représentants).
Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.