Intégrer la question du genre dans la mise en place de grandes infrastructures

La question du genre est récemment devenue centrale dans les attentes des bailleurs et agences de développement. Celle-ci se fait notamment dans le prolongement de réflexions sur les droits humains. L’analyse de projets de développement autour des questions de genre permet de renforcer la prise en compte des femmes dans la conception et l’insertion territoriale d’un projet assistant le développement local.

Dans ce cadre, Ksapa a publié un briefing paper partageant son travail et son approche méthodologique assurant la solide intégration du genre dans le cadre de développement d’infrastructures. Cet article partage un retour d’expérience dans le cadre d’un projet de construction d’un barrage en Afrique. Les projets concrets permettent en effet à chaque fois de tirer plusieurs enseignements. Ils apportent des réponses concrètes à la question suivante : comment faire avancer la question des femmes dans la mise en place de grandes infrastructures ? 

1. « Intégration du genre » : qu’est-ce que ça veut dire ?

Définition du genre

Par « genre », selon la définition fournie par ONU Femmes, on entend la construction socioculturelle des rôles masculins et féminins et des rapports entre les hommes et les femmes. Alors que « sexe » fait référence aux caractéristiques biologiques, être né(e) homme ou femme, le genre décrit des fonctions sociales assimilées et inculquées culturellement.

Universellement accepté par les États membres des Nations Unies, le mandat en faveur du genre et de l’autonomisation des femmes prend en compte l’ensemble des questions de coexistence pacifique, du développement et des droits fondamentaux. Les mandats en faveur du genre découlent de la Charte des Nations Unies, qui réaffirme sans équivoque l’égalité des droits pour les hommes et les femmes. D’autres chartes internationales incluent un mandat similaire, notamment la Charte Africaine des droits de l’Homme et des Peuples de 1981 qui rappelle dans son article 18 que « l’Etat a le devoir de veiller à l’élimination de toute discrimination contre la femme et d’assurer la protection des droits de la femme et de l’enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales ».

La prise en compte du genre dans des perspectives de développement

Dans ce cadre, les conclusions concertées de 1997 de l’ECOSOC définissent l’intégration d’une perspective de genre de la manière suivante : « Intégrer une démarche d’équité entre les sexes, c’est évaluer les incidences pour les femmes et pour les hommes de toute action envisagée, notamment dans la législation, les politiques ou les programmes, dans tous les secteurs et à tous les niveaux. Il s’agit d’une stratégie visant à incorporer les préoccupations et les expériences des femmes aussi bien que celles des hommes dans l’élaboration, la mise en œuvre, la surveillance et l’évaluation des politiques et des programmes dans tous les domaines – politique, économique et social – de manière que les femmes et les hommes bénéficient d’avantages égaux et que l’inégalité ne puisse se perpétuer. Le but ultime est d’atteindre l’égalité entre les sexes ».

L’égalité des sexes en tant que telle constitue l’objectif de développement global à long terme. L’intégration d’une perspective de genre se compose, quant à elle, d’un ensemble d’approches spécifiques et stratégiques ainsi que de processus techniques et institutionnels visant à la réalisation de cet objectif. Elle incorpore l’égalité des sexes au sein des organisations nationales publiques et privées, au cœur des politiques centrales et locales, dans les programmes sectoriels et les services. À long terme, cette approche vise à transformer les institutions sociales, les lois, les normes culturelles et les pratiques communautaires discriminatoires, comme la limitation du droit des femmes à la propriété ou leur accès restreint aux espaces publics.

2. Un cadre normatif en cours de développement

Des attentes spécifiques dans un cadre peu normé

La question du genre est récemment devenue centrale dans les attentes des bailleurs et agences de développement. Les clauses socio-environnementales conditionnant le financement intègre le besoin de porter une attention spécifique à la question du genre : le projet a-t-il un impact sur les rapports entre les hommes et les femmes? Si oui, comment ? Comment le projet peut-il être sources d’opportunités pour les rapports entre les hommes et les femmes sur le territoire ?

Mais l’enjeu autour du genre reste à ce jour peu couvert pas les cadres de référence internationaux. Les standards de performance de la Société Financière Internationale (SFI) n’inclut pas la prise en compte du genre par exemple. Ceci peut entre-autres s’expliquer par la complexité du sujet, avec des situations souvent très différentes selon les localisations, chacune avec ses propres enjeux.

Les premières pistes pour atténuer les différences

La Banque Mondiale a néanmoins initié un premier travail sur cette question, en introduisant  un cadre conceptuel qui vise à s’attaquer à quatre objectifs essentiels pour la promotion de l’égalité des sexes et pour surmonter les écarts d’opportunités entre les hommes et les femmes sur tous les territoires et tous les projets :

  • Améliorer les écarts de patrimoine humain. Réduire les écarts en matière de santé, d’éducation et de protection sociale entre les hommes et les femmes.
  • Supprimer les obstacles à la création d’emplois plus nombreux et de meilleure qualité. Accroître la participation des femmes à la population active, améliorer les possibilités de revenus et l’accès aux principaux biens de production.
  • Supprimer les obstacles à la propriété et au contrôle des actifs par les femmes. Améliorer l’accès des femmes à la terre, au logement et à la technologie.
  • Renforcer l’expression et la prise en compte des intérêts des femmes et engager les hommes et les garçons. Inclure les femmes dans la prise de décision sur la prestation de services ; réduire la violence de genre et son impact dans les situations de conflit.

Les organisations internationales partagent de manière récurrente les bonnes pratiques. Celles-ci permet d’avoir des exemples dans différents secteurs, permettant d’identifier des réflexions spécifiques aux enjeux autour du projet.

Avec ces éléments en tête, Ksapa a eu l’opportunité de développer un plan d’action genre dans le cadre de la construction d’un barrage dans un pays émergent, entraînant un déplacement de certaines populations, affectant à la fois leurs habitations ainsi que leurs terrains agricoles.

3. Le genre, critère de vulnérabilité

Malgré un cadre institutionnel robuste, le fait d’être une femme dans de nombreux territoires reste un handicap. Les femmes sont d’autant plus pénalisées dans les territoires isolés, où le droit coutumier prédomine au détriment du droit national. Elles ne bénéficient pas des retombées publiques.

De manière générale et notamment dans la région où Ksapa a travaillé, la population féminine demeure la plus démunie. Elle vit des difficultés particulières reconnues par les organisations internationales et les organismes nationaux. En effet, les femmes de plus de 16 ans de par leur rôle traditionnel dans la société, leurs responsabilités au sein de leur ménage, leur manque d’accès sécurisé à la terre, leur forte représentation dans les activités informelles, etc. présentent des vulnérabilités spécifiques qui pourraient les rendre moins capables de résister ou de s’adapter aux impacts de la réinstallation prévue par le projet. On note d’ailleurs que les femmes affectées par le projet avec enfants à charge sont celles dont le ménage est sans filet social.

4. L’accès à la terre, plus difficile pour les femmes que pour les hommes

Une illustration simple dans l’inégalité par l’usage du droit coutumier est l’accès à la terre, l’accès à la propriété. Là où le droit national statue sur l’accès égal à la terre et pour les hommes et pour les femmes, le droit coutumier implique que dans le cadre d’un déplacement de populations ou d’un héritage, ce ne sont pas les femmes (mères, épouses, sœurs, filles) mais les hommes (pères, maris, frères, fils) qui devraient prioritairement bénéficier de ces nouveaux titres.

Comment adresser cet enjeu dans le cadre de réinstallation de populations avec des activités vivrières ? Voici quelques exemples illustatifs d’actions mises en place face aux enjeux d’accès à la terre :

  • Bien organiser la mission de recensement. S’assurant de savoir qui détient les droits de propriété et qui est en charge de l’activité agricole. Souvent, la femme est en charge de l’activité maraîchère par exemple ;
  • Organiser des consultations spécifiques pour les femmes et pour les hommes. Ceci permet généralement aux deux groupes de discuter librement autour de leurs préoccupations de la future réinstallation ;
  • S’assurer que les hommes et les femmes impactés par ce projet détiennent des pièces d’identité et autres documents légaux. S’ils n’en ont pas, proposer un accompagnement spécifique (aide socio-juridique) ;
  • Bien organiser le déménagement. Il doit éviter aux femmes et aux enfants d’être trop impactés (calendrier scolaire, aide au déménagement…).

5. Les femmes, un atout de développement territorial

Les parties prenantes concernées par le projet ont parfois du mal à accepter que des actions aient une focale spécifique aux femmes. Elles considèrent qu’il faudrait identifier de manière plus générale toutes les populations vulnérables jeunes, seniors, personnes atteintes d’un handicap…).

Face à ces résistances, il faut mettre démontrer l’impact possible. Le fait de porter une attention toute particulière aux femmes peut apporter des bénéfices systémiques. Et ce ruissellement territorial va bien au-delà des femmes.

Dans le cadre du projet de barrage, le renforcement des filières agricoles a été prévu au travers d’un plan de montée en compétences intégrant un plan spécifique pour les femmes. Dans des territoires où les femmes sont fortement dépendantes du revenu de leurs maris, elles ont ainsi pu développer une activité propre, ce qui a permis d’avoir une diversification des revenus au sein d’un même ménage, entraînant des impacts positifs sur de nombreux sujets : accès à l’éducation, accès à la santé…

Conclusion

Evidemment, les exemples présentés ici sont ceux identifiés dans le cadre de la construction d’un barrage dans une région principalement agricole, loin de grandes agglomérations. Les enjeux ne seront pas les mêmes selon le projet et la localisation.

Mais l’objectif reste le même. Et on constate à chaque fois que sans effort spécifique visant à prendre en compte les besoins des femmes, on peut rater des sujets critiques. Cette prise en compte peut faire toute la différence sur les territoires et la manière dont une manne publique peut s’assurer d’avoir des retombées positives tenant compte de… 50% de la population locale !

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Sona est une consultante au sein de l'équipe de conseil de Ksapa.
Diplômée en développement international à Sciences Po Paris, elle a travaillé sur des modèles durables au sein de diverses industries. Précédemment basée à Kuala Lumpur, Sona a abordé les questions sociales et sociétales pour Total et le groupe Galeries Lafayette et a analysé la mise en œuvre du marché du carbone chinois depuis Pékin. Son expérience sur différents marchés l'a aidée à utiliser une approche globale dans la construction d'une performance durable.

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