COP 27 : 3 Enseignements pour entreprises et investisseurs

La conférence sur le climat de Charm el-Cheikh a produit ce que nous avions anticipé dans notre newsletter précédant l’événement : un mélange de frustration produit par l’urgence climatique, et un sentiment d’événement devenu obsolète dans son format. Les conclusions confirment trois enseignements à tirer pour les entreprises et les investisseurs. Impératif d’accélérer les transformations nécessaires à l’adaptation climatique en s’appuyant sur les quelques entreprises engagées pour embarquer leurs écosystèmes. Exigence de clarté de positionnement auprès des décideurs politiques et de la société civile. Anticipation de turbulences qui vont venir croissantes, à commencer par apprendre à composer avec une désobéissance civile toujours plus affirmée et légitimée.

99% des entreprises ne se sentent toujours pas concernées par l’Accord de Paris

La COP 27 réaffirme un acquis de la COP 21 : Accélérer les transformations pour maintenir une trajectoire sous 1,5°c

La décision principale, dite « chapeau », est baptisée « plan de mise en œuvre de Charm el-Cheikh« . Elle réaffirme les objectifs fixés par l’accord de Paris. À savoir contenir le réchauffement climatique nettement en dessous de 2 °C et poursuivre les efforts pour limiter la hausse de températures à 1,5 °C par rapport aux températures préindustrielles, « reconnaissant que cela réduirait de manière significative les risques et les impacts liés au changement climatique » sur la base des connaissances apportées en la matière par le Giec en 2018.

Réaffirmer ce qui a déjà été conclu 7 ans plus tôt ressemble davantage à du sur place qu’à une avancée. Ou bien à rappeler aux 99% des entreprises de plus de 250 salariés dans le monde ne sont pas engagées sur un effort en matière climatique et qu’il est temps de s’y mettre. En effet, la Science Based Target Initiative estime travailler avec environ 4,000 entreprises. Or il y aurait environ 350,000 entreprises dans le monde de plus de 250 salariés. Donc 99% des entreprises ne sont actuellement pas engagées sur une trajectoire climatique, et bien davantage ne sont certainement pas concrètement engagées dans le calibrage nécessaire permettant aux activités économiques de se décarboner à la hauteur des besoins exprimés par la science permettant de réduire les émissions mondiales nettes de gaz à effet de serre de 43 % entre 2019 et 2030. On peut critiquer ce chiffre simpliste et dire que toutes les PMEs du monde n’ont pas les moyens de poser une candidature « Science Based Targets ». Il n’empêche qu’en regardant de plus près la localisation des grandes entreprises engagées, on voit que seulement environ 1500 entreprises de l’Union Européenne, 500 entreprises basées aux USA et environ 120 entreprises basées en Chine sont engagées sur ce type de démarche. La marge de progrès et de pénétration de ce type de démarche reste gigantesque. A titre d’exemple, la CSRD entend couvrir… 50,000 entreprises au travers de l’Union Européenne.

Enseignement 1 : Impératif d’accélérer les transformations nécessaires à l’adaptation climatique en s’appuyant sur les quelques entreprises engagées pour embarquer leurs écosystèmes

Pour les quelques entreprises et investisseurs, généralement parmi nos clients et partenaires chez Ksapa, qui ont pris des engagements calibrés sur la science en 1,5°C, cela invite concrètement à tirer un premier enseignement : il ne suffit plus de s’engager mais d’explorer sa capacité d’influence à engager son écosystème dans des trajectoires climatiques ambitieuses, rapides et calibrées sur la science. A cet effet, il convient pour les entreprises et investisseurs :

  1. D’appliquer la trajectoire et partager les efforts accomplis pour montrer que les « 4000 » agissent et ne font pas que prendre des engagements
  2. D’organiser des schémas d’accompagnement par filière ou territoire permettant d’accompagner les entreprises sur lesquelles une influence est possible dans une trajectoire bas carbone : clients – via des incitations et offres de services, partenaires territoriaux – via des offres de partages de projets de décarbonation ou d’utilisation de renouvelables territoriaux, fournisseurs – via des incitations et dispositifs d’accompagnements
  3. De mettre en demeure et fixer des objectifs d’exclusion commerciale ? On discute déjà avec certains clients de seuils rendant éligibles l’exclusion commerciale sur de nouveaux engagements à horizon 2025 pour des fournisseurs qui ne seraient pas engagés dans des démarches 1,5°C d’ici là par exemple

100% des gouvernements en charge des négociations climatiques sous la pression du double discours de trop d’acteurs économiques

Trop peu d’avancées dans les négociations climatiques, car les acteurs économiques portent un double discours

La raison d’être des COP, c’est avant tout et surtout d’organiser la négociation entre Etats sur la coordination d’un effort climatique partagé. A cet effet, la COP 27 a produit également un texte qui « demande instamment » aux parties qui n’ont pas encore communiqué de nouvelles NDC (plans climat nationaux) ou de NDC mises à jour de le faire le plus vite possible en amont de la COP 28 de 2023. Elle appelle notamment à ce que les parties revisitent et renforcent leurs objectifs à 2030 afin de s’aligner sur les objectifs de températures contenues dans l’accord de Paris. Pour relever les ambitions des Etats, la prise en compte de certains sujets qui présentent chacun un fort effet de levier pour amplifier la trajectoire climatique des Etats interpelle.

  • L’agriculture n’aura été que survolée durant les négociations. Elle représente 1/3 des gaz à effet de serre, mais seulement 3% des financements activables et fléchés dans les COP sont dédiés à ce secteur. Le gisement de séquestration carbone est gigantesque. Les trajectoires techniques permettant de convertir des milliers d’hectares existent et sont pourtant testés et connus.
  • Biodiversité : À quelques semaines de la COP 15 sur la diversité biologique, la COP 27 souligne l’importance de « protéger, conserver et restaurer la nature et les écosystèmes pour atteindre les objectifs de température de l’accord de Paris, via les forêts et les autres écosystèmes terrestres et marins agissant comme des puits et réservoirs de gaz à effet de serre et en protégeant la biodiversité, tout en assurant des garanties sociales et environnementales ». C’est vague.
  • Énergie. Sur l’énergie, le texte certes « souligne » le « besoin urgent de réductions immédiates, profondes, rapides et soutenues des gaz à effet de serredes parties dans tous les secteurs, notamment via la hausse du recours aux énergies renouvelables, la transition énergétique juste, les partenariats et autres actions coopératives ». Mais le texte reste fondamentalement aussi explicite que ce qui a pu être acté durant la COP 26 : rivé sur la question du charbon en omettant les autres principales sources de gaz à effet de serre d’origine fossile – gaz, pétrole. C’est un peu comme dire qu’avec un vélo à une seule roue, on peut pédaler 100 km : ca ne fonctionne pas. Le plan s’en tient ainsi à un « copié-collé » du pacte de Glasgow tandis que plusieurs délégations appelaient à aller au-delà. En milieu de COP, l’Inde avait notamment proposé d’inscrire dans la décision finale la réduction progressive de l’ensemble des énergies fossiles. Une proposition plus ambitieuse et une manœuvre également pour elle de ne plus mettre uniquement la pression sur les grands émergents fortement dépendants du charbon, mais également sur les pays développés, dépendants davantage du pétrole et du gaz.

Ces sujets ne font pas l’objet d’un consensus au sein des communautés d’entreprises et d’investisseurs car ils ont tous les trois en commun 1. d’imposer d’importants efforts en mobilisation de capital, 2. sur des trajectoires qui prennent plusieurs années à recréer un modèle rentable d’activités, alors que 3. les décideurs aux postes de décisions sont jugées sur leurs résultats de court terme. Donc il est plus simple de tenir un double discours tenant d’une part de la posture « embrassant la cause du développement durable », tout en expliquant en coulisse aux négociateurs et aux Etats que rien n’est possible si les autres n’en font pas davantage les premiers.

Enseignement 2. Clarifier une transition climatique et arrêter le double discours

L’urgence climatique s’inscrit dans notre quotidien chaque jour. Ce double discours qui empêche l’action n’est non seulement pas crédible, mais il est aussi intenable. Les gouvernements sont sommés d’agir sous pression croissante de la société autant que de nouvelles injonctions réglementaires. Ainsi, il est urgent pour les entreprises de :

  1. Projeter un modèle d’affaire adapté à la donne climatique et organiser la transition
  2. Organiser les schémas de financement, éventuellement en discussion avec les actionnaires et partenaires financiers. 2022 a vu la distribution de dividendes records dans nombreux secteurs. Certains secteurs opèrent avec des marges de plus de 25%. Autant de gisements de financements qui peuvent être partiellement allouées à un fond de transition tout en rassurant des partenaires financiers et des actionnaires pouvant conserver des rétributions confortables…
  3. Aligner le discours interne dans les organisations pour s’assurer de la cohérence des messages selon les fonctions et les interlocuteurs

Des organes étatiques décrédibilisés

Une crise climatique qui ne trouve pas en 30 ans les financements « magiques » que la crise pandémique a trouvé en moins de 3 ans

Le Fond Monétaire International arrive facilement à calculer qu’au moins USD 9 TRILLIONS ont été dépensés en urgence dans le monde par les Etats pour gérer la crise du Covid. Depuis 10 ans, les pays développés n’ont pas été capables de trouver USD 100 milliards par an pour aider les pays en développement. Dans ce contexte, la mise en place d’un mécanisme de pertes et préjudices et du réseau de Santiago dont le texte prévoit la mise en place d’arrangements financiers afin d’assister les pays en développement les plus vulnérables est une gageure et un test majeur pour restaurer ou totalement décrédibiliser la parole des Etats développés. Attendu depuis 30 ans par les petits États insulaires notamment, appuyés ensuite par le G77 et la Chine, il pourrait s’élever à quelques centaines millions d’euros, bénéficiant désormais de l’appui de l’Union Européenne et des Etats-Unis… à condition que la Chine contribue.

Avec ce type de débats, les Etats se décrédibilisent. Certes des enjeux géopolitiques donnent une lecture aux positions. Certes, il n’existe pas d’argent « magique ». Certes les COP se succèdent avec toujours plus de coalitions qui disent engager des milliards et des trillions à supporter la cause climatique. Mais les courbes du GIEC ne changent pas. Les prévisions du GIEC s’inscrivent dans le quotidien. L’argent promis ne se décaisse pas à la hauteur des enjeux.

Enseignement 3. Anticipation de turbulences qui vont venir croissantes, à commencer par apprendre à composer avec une désobéissance civile toujours plus affirmée et légitimée

À un an du premier bilan mondial, fixé dans l’accord de Paris à 2023 soit deux ans avant la publication de nouvelles NDC, gageons que la frustration est grande et va alimenter les instructions de procès et autres actions de désobéissance climatique de manière grandissante.

La défiance et les enjeux de désobéissance climatique vont se multiplier et sérieusement questionner nombre de processus démocratiques et administratifs gérant les questions d’aménagement du territoire par exemple. Les entreprises vont devoir apprendre à trouver les modalités de mener des débats constructifs, dans des espaces démocratiques et respectueux, en faisant face à des résistances exponentielles en matière d’acceptabilité climatique de leurs activités. Là encore, la seule réponse résidera encore et toujours plus dans leur capacité à proposer une démarche climatique crédible pour elle-mêmes, tout en exerçant l’influence nécessaire auprès de leur écosystème économique pour faire de même.

Conclusions

Maintenant que les prévisions scientifiques s’inscrivent dans le quotidien et les territoires, que l’explosition du coût de l’énergie justifie d’accélérer les efforts en matière d’efficacité énergétique, de décarbonation et d’accélération de plans de développement de renouvelables, ces COP génèrent des attentes qu’elles ne sont plus en mesure de satisfaire. Charge aux entreprises et investisseurs de tirer et agir sur les 3 enseignements portés dans cet article. Ksapa apporte 25 ans d’expertise et un réseau international permettant de naviguer ces sujets complexes, tout en organisant les itinéraires techniques, schémas d’investissements et organisation de parties prenantes nécessaires pour appréhender, décider et agir à la hauteur et à la vitesse nécessaire.

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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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