Dîner KSAPA : ODD et agriculture - Solutions durables

Dîner KSAPA : ODD et petits exploitants agricoles – Solutions durables

Ksapa anime une série de dîners permettant à différents groupes de décideurs et de praticiens issus du secteur des entreprises (technologie, agroalimentaire, biens de consommation et industries extractives) et du secteur à but non lucratif d’échanger autour de solutions concrètes permettant de faire face aux enjeux critiques de résilience des chaînes d’approvisionnement agricoles. Un de ces événements s’est déroulé au Native à Londres (cuisine éthique et durable !). Retour sur quelques enseignements tirés de ces échanges autour des défis, idées et solutions qui ont un impact sur la réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD) à travers les chaînes de valeur agricoles mondiales des petits exploitants tout en sécurisant l’accès à ces matières de manière fiable et à un coût maîtrisé pour les acheteurs.

Un constat sans équivoque largement partagé : Il faut en faire davantage…

Les petits exploitants sont une composante essentielle des chaînes d’approvisionnement mondiales en produits agricoles. Ils jouent un rôle essentiel dans l’approvisionnement en matières premières à l’extrémité des chaînes de valeur mondiales complexes. De toute évidence, les efforts et les programmes déployés pour répondre à leurs besoins sont insuffisants. La pauvreté, la sécurité alimentaire, la santé et la nutrition, la prise en compte insuffisante de la dimension de genre, le vieillissement de la population agricole et le manque d’intérêt des jeunes pour l’agriculture mettent à mal la résilience des chaînes de valeur des petits exploitants. Le contexte inflationiste et les effets du changement climatique ne viennent qu’exacerber ces tendances lourdes.

Les acheteurs professionnels sont de plus en plus préoccupés par leur capacité à accéder à la qualité et au volume à des prix compétitifs. Les impacts climatiques, l’inflation et la hausse des prix de l’énergie exacerbent encore les activités d’approvisionnement en produits agricoles de base – ce qui a rendu le sujet du dîner encore plus crucial pour tous les invités autour de la table.

Les programmes déployés par les entreprises, les organisations bilatérales, les ONG ou les initiatives de collaboration ciblant les ODD au niveau des petits exploitants sont au final trop rares, surtout si l’on tient compte de la diversité et du nombre de parties prenantes des petits exploitants en jeu. Surtout, elles ne sont pas à l’échelle nécessaire, et n’alignement pas suffisamment les intérêts plus ou moins divergents des différents maillons des chaînes d’approvisionnements. A titre d’exemple, la recherche de qualité et de prix maîtrisé de l’acheteur industriel n’est pas forcément compatible avec l’urgence du quotidien du petit exploitant qui veut réduire son risque de dépendance à des cours mondiaux qu’il ne maîtrise pas.

Pourquoi ne fait-on pas assez pour améliorer la vie et la résilience des petits exploitants ?  Quatre défis consensuels explorés pendant le dîner…

1. Les investissements à long terme indispensables sont dépriorisés face à des pressions de court terme

Tout dans les environnements agricoles prend du temps. Instaurer la confiance avec les villageois prend du temps. Assurer l’adoption de différentes pratiques agricoles prend du temps. Mesurer l’impact des programmes qui améliorent les revenus, la santé, l’équilibre entre les genres et les pratiques respectueuses de l’environnement prend du temps. Il faut s’investir dans le long terme.

Les entreprises sont a contrario particulièrement sous pression pour obtenir des résultats à court terme. Au cours des dernières décennies, elles ont souvent préféré des programmes générant des résultats plus faciles et plus rapides. L’engagement des consommateurs est perçue comme étant plus gratifiante. L’engagement des petits exploitants demande du temps et des efforts et est trop souvent relégué au second plan lorsque des opportunités de travailler avec des partenaires commerciaux moins fragmentés, perçus comme plus proches des opérations commerciales ou permettant des gains plus rapides, ont été identifiées. Cela permet de faire progresser des sujets de consommation durable par exemple. Mais nombre de sujets de long terme reposent principalement au niveau des exploitations agricoles – ils ne progressent pas suffisamment.

Les initiatives de collaboration sectorielle sont également soumises à la pression de leurs membres. Ici, l’accent a été mis sur les « quick win » qui permettent à nombre d’initiatives collaboratives de démontrer leur pertinence. Par exemple, en se concentrant sur l’engagement direct des fournisseurs (alignement sur les principes entre acheteurs, audits et engagement des fournisseurs, déploiement de technologies améliorant la traçabilité, programmes améliorant les performances des fournisseurs), ces initiatives font progresser la compréhension entre acheteurs et fournisseurs de premier rang. Reste là encore que trop peu de fournisseurs répercutent les efforts dans leur propre chaîne d’approvisionnement et les petits exploitants restent ainsi peu embarqués dans ces programmes, en espérant que les fournisseurs amélioreraient leurs pratiques et les transmettraient ensuite aux petits exploitants.

Ainsi, les échanges ont montré combien les grandes entreprises ne peuvent réaliser leurs « engagements » qu’en investissant massivement sur les petits exploitants. Par exemple, que l’on parle de « Net Zero dans le Scope 3 » ou de « Devoir de vigilance et maîtrise de risques dans la chaîne d’approvisionnement », les gisements de problèmes et de progrès les plus importants se situent au niveau des petits exploitants. Manque d’accès à la formation. Manque d’équipement. C’est à ce niveau que les grandes entreprises peuvent se conformer et mieux appréhender la qualité, le prix et le volume des matières premières qu’ils doivent finalement obtenir pour leur propre entreprise. Là encore, ce n’est pas à ce niveau là que l’essentiel des investissements se sont opérés jusqu’à présent.

2. Le défi de la fragmentation et du manque d’alignement des intérêts le long de la chaîne de valeur

Les petits exploitants sont hors de vue des acheteurs professionnels. Et même les grands acheteurs mondiaux sont généralement de petits acteurs locaux qui n’ont qu’une influence limitée sur l’amélioration des performances en matière d’ODD dans leurs chaînes de valeur. Les initiatives de collaboration ont souvent contribué à aligner les acheteurs sur les questions les plus importantes, en incluant parfois les fournisseurs. Mais l’inclusion des petits exploitants eux-mêmes dans ces initiatives dirigées par les entreprises ou par la collaboration fait généralement défaut.

Les programmes existants manquent trop souvent d’une composante de performance d’impact, d’une dimension d’extensibilité et de stratégies de financement à long terme. Sans mesure de l’impact, il est difficile d’apporter les correctifs permettant de vérifier si et comment les investissements génèrent les progrès espérés.

Le point de vue des petits exploitants est généralement absent de la conception et du déploiement des programmes. Trop de programmes se concentrent principalement – ou exclusivement – sur l’amélioration des pratiques d’un produit de base qui intéresse les acheteurs industriels. Les petits exploitants s’intéressent avant tout aux revenus qu’ils peuvent générer de leur exploitation. Ce n’est pas forcément la même équation. La diversification et les autres leviers sont donc primordiaux du point de vue du fermier, alors que la loyauté envers un acheteur ou une culture est souvent secondaire. Cette tendance peut se manifester dans le déploiement de programmes Net Zero qui peuvent être conceptuels et abstraits pour les agriculteurs qui souhaitent avant tout accéder à de l’argent, de la nourriture ou quelque chose qu’ils peuvent monétiser maintenant. On peut embarquer des fermiers dans du « Net Zero » qu’en bout de chaîne, une fois que le fermier tire d’autres bénéfices concrets à participer à ce type de programme.

Ainsi, il est apparu très clairement lors de nos échanges que la priorité devrait être donnée aux programmes concrets du « dernier kilomètre« , capables de prendre en compte la perspective des petits exploitants dans les programmes de développement durable.

3. Insuffissance d’accès à des données sur le profil des petits exploitants

Les définitions générales des petits exploitants sont beaucoup trop vagues et les acteurs de la chaîne de valeur n’ont qu’une trop faible visibilité de ce que sont réellement les petits exploitants. Parler d’un agriculteur situé dans un marché émergent et vivant d’une parcelle de moins de 2 hectares est beaucoup trop générique pour concevoir des programmes pertinents sans engagement direct.

L’engagement direct à l’échelle est compliqué, et les entreprises ne savent pas vraiment comment le gérer pour accéder, recruter, embarquer dans la durée des communautés villageoises.

Il y a un manque évident de données permettant de bien comprendre les petits exploitants dans leur diversité, y compris le profil du ménage, les habitudes et les besoins, les revenus et les dépenses.

Dès lors, il ressort clairement des discussions qu’un meilleur accès aux données sur le profil des petits exploitants, tout en respectant leur vie privée, est essentiel pour améliorer les programmes existants et mieux répondre à leurs besoins réels en matière de renforcement des capacités, de moyens de subsistance, de diversification et d’accès aux services financiers, entre autres.

4. Les faibles niveaux d’éducation de nombreux petits exploitants dans les économies émergentes rendent les programmes plus compliqués à mettre en oeuvre

– Les petits exploitants des économies émergentes n’ont structurellement peu accès à l’enseignement primaire, secondaire et professionnel. Cela a des implications concrètes lors de la conception et du déploiement de programmes à leurs niveaux, et notamment les schémas pédagogiques à déployer pour les écouter et les embarquer dans des démarches visant à faire évoluer leurs pratiques.

Les petits exploitants sont toutefois généralement très friands d’accéder au renforcement des capacités, ce qui indique qu’ils sont conscients qu’ils manquent également de connaissances techniques et/ou de bons équipements. Un degré insuffisant d’éducation en biologie, agronomie, finance peut cependant rendre au moins une partie de cette population vulnérable à acheter des services ou à adopter de mauvaises pratiques sans avoir les clés pour développer un avis critique personnel à ce sujet. Cette vulnérabilité impose des normes éthiques élevées aux programmes qui souhaitent embarquer les petits exploitants dans des itinéraires techniques et leur donner accès à des services supplémentaires présentant un intérêt très clair pour eux.

La confidentialité et l’utilisation commerciale des données des petits exploitants peuvent constituer un véritable défi. Il faut du temps pour établir des relations de confiance avec les petits exploitants. Il faut du temps et des efforts pour collecter des données auprès des petits exploitants. S’ils se sentent trahis par des solutions qui vendent leurs données pour promouvoir des solutions commerciales dont ils n’ont pas besoin, voire renforcer leur propre exposition à de l’endettement, ou qu’ils ne peuvent pas se permettre de mettre en place, cela peut avoir un impact catastrophique sur leur engagement. La confidentialité des données est de toute façon de plus en plus une exigence légale, surtout lorsqu’elles sont collectées auprès de personnes qui peuvent être considérées comme « vulnérables » compte tenu de leur faible niveau d’éducation.

D. Prochaines étapes

Rejoignez le KSAPA au Regenerative Agriculture and Food Systems Summit à Amsterdam les 6 et 7 septembre 2022 pour poursuivre la conversation et/ou participez à notre dîner d’automne à Londres le 12 octobre 2022 (envoyez un mot à Christèle Delbé si vous souhaitez nous rejoindre !).

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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

Christele Delbe - Ksapa
Christèle Delbé
Directrice, Solutions d'approvisionnement responsable chez Ksapa | Autres articles

Christèle est responsable de l'engagement des entreprises en matière de solutions d'approvisionnement responsable, grâce à nos programmes SUTTI, et de conseil en matière de chaîne d'approvisionnement durable. Depuis 20 ans, Christèle a mis en place différentes initiatives permettant de faire progresser les défis sociaux et environnementaux des chaînes agroalimentaires en s’appuyant sur les leviers technologiques.

Christèle a été responsable du développement durable pendant 14 ans chez Orange puis Vodafone. Christèle s’est ainsi s'intéressée particulièrement à la manière de tirer parti des technologies pour innover et fournir des solutions évolutives en matière de droits humains, de carbone, de déchets, d'emballages, de chaînes d'approvisionnement et de consommation responsables. Au cours des 7 dernières années, Christèle s'est rapprochée encore plus des matières premières agricoles et de leurs chaînes d'approvisionnement, et a animé différents partenariats stratégiques et opérationnels multisectoriels avec Bonsucro, Danone, Diageo, GPSNR, ISEAL, PepsiCo, Producers Direct, RSPO, Tetra Pak, Unilever et Vodafone.

Christèle parle anglais, français et espagnol.

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