Entreprises : Comprendre le concept de complicité dans les droits humains

Les droits humains doivent être protégés, respectés et mis en œuvre par différents acteurs, communément appelés « détenteurs d’obligations ». En pratique, ces détenteurs d’obligations ont différents niveaux de responsabilité et d’influence. Au cœur de la vision des Entreprises et des Droits humains, les entreprises ont la responsabilité de respecter les droits humains. Cependant, dans leurs activités, elles opèrent souvent dans un environnement où elles n’ont qu’une influence limitée sur le respect des droits humains. Cet article clarifie la notion de détenteur d’obligations en matière de droits humains, expose la multiplicité des situations dans lesquelles les entreprises peuvent être tenues responsables pour complicité et propose des stratégies pour éviter de porter atteinte aux droits humains lorsqu’elles opèrent dans des environnements où leur influence est limitée.

Qu’est-ce qu’un détenteur d’obligations dans le domaine des droits humains ?

Dans le contexte des droits humains, un détenteur d’obligations désigne une personne, une organisation ou une entité qui a la responsabilité ou l’obligation de respecter, de protéger et de mettre en œuvre les droits humains d’autrui. Ce concept est essentiel à la compréhension et à la mise en œuvre des principes et des obligations en matière de droits humains.

Il existe différents types de détenteurs d’obligations, notamment:

  1. Les États : Les gouvernements et les autorités étatiques sont les premiers responsables de la défense et de la protection des droits humains des personnes relevant de leur juridiction. Cette responsabilité est définie dans les accords internationaux sur les droits humains et dans les lois nationales. Les États sont tenus de respecter, de protéger et de mettre en œuvre les droits humains pour toutes les personnes, indépendamment de leur nationalité, de leur appartenance ethnique, de leur sexe, de leur religion ou de toute autre caractéristique.
  2. Les acteurs non étatiques: Cette catégorie comprend les organisations non gouvernementales (ONG), les entreprises, les entités privées et les individus qui peuvent avoir la responsabilité de respecter et de protéger les droits humains dans certaines circonstances. Par exemple, les entreprises sont de plus en plus reconnues comme ayant la responsabilité de respecter les droits humains, en particulier vis-à-vis de leurs employés, des consommateurs et des communautés affectées par leurs activités.
  3. Les acteurs internationaux: Les organisations et organismes internationaux, ainsi que leurs États membres, peuvent également avoir des responsabilités en matière de droits humains. Les organisations internationales ont souvent l’obligation de respecter les droits humains dans leurs activités et dans les actions qu’elles entreprennent collectivement ou individuellement.

Les détenteurs d’obligations doivent veiller à ce que les droits inscrits dans les conventions internationales sur les droits humains et les lois nationales soient respectés, protégés et mis en œuvre. Il s’agit notamment de prendre des mesures proactives pour prévenir les violations des droits humains, de remédier aux violations qui se produisent et d’offrir des voies de recours aux personnes dont les droits ont été bafoués. Le concept de détenteur d’obligations permet d’établir la responsabilité et de promouvoir la protection et l’avancement des droits humains aux niveaux national et international.

Qu’est-ce qui peut être considéré comme une complicité de violation des droits humains par un détenteur d’obligations ?

La complicité des détenteurs d’obligations dans la violation des droits humains fait référence à des situations où des individus, des organisations ou des entités qui ont le devoir de protéger et de faire respecter les droits humains sont directement ou indirectement impliqués dans des actions qui violent les droits humains ou les soutiennent. Cette complicité peut prendre diverses formes et se produire à différents niveaux. En voici quelques exemples :

  1. Participation directe : Les détenteurs d’obligations peuvent être complices de violations des droits humains en participant directement à des actions qui portent atteinte aux droits humains. Il peut s’agir d’agents des forces de l’ordre, de fonctionnaires ou d’autres personnes qui mènent des actions portant directement atteinte aux droits des individus, telles que la torture, les exécutions extrajudiciaires ou les détentions illégales.
  2. Absence d’action : Ne pas prendre les mesures appropriées pour prévenir ou faire cesser les violations des droits humains lorsque les responsables ont la capacité de le faire peut constituer une complicité. Il peut s’agir de responsables de l’application de la loi qui ignorent ou ferment les yeux sur des abus ou qui n’interviennent pas dans des situations où les droits humains sont violés.
  3. Soutien ou approbation : Soutenir, encourager ou approuver des individus ou des groupes qui commettent des violations des droits humains est une autre forme de complicité. Il peut s’agir d’un soutien financier ou matériel, voire d’un soutien idéologique ou politique à des actions qui portent atteinte aux droits humains.
  4. Dissimulation des violations : Les détenteurs d’obligations peuvent également être complices s’ils s’efforcent de dissimuler ou de couvrir des violations des droits humains, faisant ainsi obstacle à la justice et à l’obligation de rendre des comptes. Il peut s’agir de falsifier des documents, d’intimider des témoins ou d’entraver les enquêtes sur les violations des droits humains.
  5. L’inaction : Si les détenteurs d’obligations ont connaissance de violations des droits humains et ne prennent pas les mesures nécessaires pour y remédier, ils peuvent être considérés comme complices. Il peut s’agir d’une absence d’enquête, d’une incapacité à tenir les auteurs pour responsables ou de réponses inadéquates pour remédier au préjudice causé.
  6. Complicité politique ou législative: Le fait de créer ou d’approuver des lois, des politiques ou des réglementations qui portent directement atteinte aux droits humains, ou de ne pas modifier ou abroger ces lois lorsque leur impact sur les droits humains est évident, peut être considéré comme de la complicité. Par exemple, le comportement double des entreprises qui font officiellement pression en faveur de l’action climatique, tout en s’engageant simultanément avec les régulateurs pour minimiser la réglementation climatique, peut être de plus en plus considéré comme de la complicité au vu des implications en termes de droits humains des impacts liés au climat sur les personnes.
  7. Absence de protection adéquate : Les détenteurs d’obligations, en particulier les États, ont l’obligation de protéger les individus contre les violations des droits humains commises par des tiers. S’ils ne prennent pas de mesures raisonnables pour prévenir et traiter les abus commis par des acteurs non étatiques (tels que des particuliers, des entreprises ou des groupes armés), ils peuvent se rendre complices des violations des droits humains qui en résultent. L’inverse peut également se produire. Tout en respectant les lois locales, les acteurs non étatiques peuvent se rendre complices de l’absence de protection de leurs employés et d’autres détenteurs de droits.

Quels sont les risques liés à la complicité des entreprises ? 

Sous l’angle de la responsabilité, la complicité est un concept clé pour tous les détenteurs d’obligations. Pour les entreprises, le risque de complicité est plus courant que les violations directes des droits humains par les entreprises. Les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de 2011 établissent une distinction entre le risque non juridique et le risque juridique.

Le risque non-juridique

Il s’agit des situations dans lesquelles une entreprise est perçue comme « complice » des actions d’une autre partie : l’entreprise est perçue comme bénéficiant des violations des droits humains. C’est le cas, par exemple, lorsqu’une entreprise réduit ses coûts en raison de pratiques d’esclavage moderne dans sa chaîne d’approvisionnement. Cette acception de complicité est intimement lié à l’éthique et à la moralité des actions. Les principales conséquences sont la condamnation par l’opinion publique et le désinvestissement des investisseurs, qui entraînent tous deux des dommages financiers et réputationnels importants et à long terme.

Le risque juridique

  1. Au niveau national, la plupart des législations condamnent la complicité pour des crimes définis et rendent par conséquent l’auteur pénalement responsable. Des actions civiles peuvent également être intentées contre une entreprise pour sa contribution à un préjudice, même si celui-ci n’est souvent pas défini en termes de droits humains.
  2. Au niveau international, la jurisprudence en matière de droit pénal définit l’aide ou de la complicité en les termes suivants : « il faut apporter en connaissance de cause une assistance pratique ou un encouragement qui a un effet notoire sur la commission d’un délit ». Cela signifie que le détenteur de l’obligation doit être conscient qu’il facilite le délit ou crime.

En résumé, les entreprises s’exposent à une condamnation juridique pour complicité, tant au niveau national qu’international, mais aussi, plus généralement, de la part de la société civile.

Il est essentiel d’adresser la complicité des détenteurs d’obligations dans les violations des droits humains pour garantir l’obligation de rendre des comptes, faire respecter l’État de droit et promouvoir une culture du respect et de la protection des droits humains. Il faut pour cela promouvoir la transparence, les mécanismes de responsabilisation, l’éducation aux droits humains et des cadres juridiques efficaces pour dissuader et sanctionner les comportements complices.

Comment les détenteurs d’obligations peuvent-ils garantir le respect des droits humains et éviter les risques de complicité ?

5 stratégies pour respecter les droits humains et éviter la complicité

  1. Éducation et sensibilisation: Les détenteurs d’obligations doivent donner la priorité à l’éducation et à la sensibilisation aux droits humains, en veillant à ce que tous les individus dans leur sphère d’influence comprennent les principes et dispositions fondamentaux. Cela passe par des programmes de formation complets, des ateliers et des séminaires qui approfondissent les normes internationales en matière de droits humains et les lois nationales pertinentes pour leur rôle. En favorisant une compréhension approfondie des droits humains, les responsables se donnent les moyens, ainsi qu’à leurs équipes, de prendre des décisions éclairées qui respectent et défendent ces droits.
  2. Mise en place de politiques et procédures claires: Les détenteurs d’obligations doivent élaborer et mettre en œuvre des politiques et des procédures sans équivoque qui soulignent explicitement leur engagement en faveur des droits humains. Ces politiques doivent intégrer les principes de non-discrimination, d’égalité, de dignité et de respect de tous les individus, quel que soit leur milieu d’origine. En outre, elles doivent définir des mécanismes permettant de signaler d’éventuelles violations des droits humains, afin que les employés se sentent en sécurité et encouragés à faire part de leurs préoccupations sans craindre de représailles. La clarté de ces politiques permet d’éviter les malentendus et d’établir un cadre solide pour un comportement éthique. Il n’y a pas de meilleur moyen d’améliorer les politiques et procédures existantes en utilisant des cas réels dans des jeux de rôle et des exercices de simulation de crise impliquant le personnel en position de comprendre, d’appliquer ou de bénéficier de ces politiques et procédures dans leurs activités de routine.
  3. Formation régulière et renforcement des capacités: Les programmes de formation continue et de renforcement des capacités sont des éléments essentiels d’une stratégie visant à prévenir la complicité dans les violations des droits humains. Les détenteurs d’obligations devraient organiser régulièrement des ateliers axés sur des études de cas réels, des scénarios et des discussions interactives, permettant aux employés de reconnaître les risques potentiels en matière de droits humains dans leurs contextes opérationnels. Ces sessions devraient mettre l’accent sur l’obligation des responsables d’intervenir et de signaler rapidement les violations. En améliorant les compétences et les connaissances de leur personnel, les détenteurs d’obligations peuvent cultiver une approche proactive de la protection des droits humains.
  4. Intégration des droits humains dans les processus décisionnels: Il est essentiel d’intégrer les considérations relatives aux droits humains dans les processus de prise de décision. Les responsables doivent évaluer les implications de leurs actions, politiques et projets en matière de droits humains dès le départ. Cette approche proactive permet d’identifier et de traiter tout effet négatif potentiel sur les droits humains avant qu’il ne se produise. Elle garantit que les droits humains ne soient pas compromis dans la poursuite des objectifs ou des intérêts de l’organisation. L’intégration de cette approche dans le processus décisionnel instaure une culture du respect des droits humainsau sein de l’organisation.
  5. Transparence, responsabilité et collaboration: L’instauration d’une culture de la transparence et de la responsabilité est essentielle pour prévenir la complicité dans les violations des droits humains. Les responsables doivent créer des canaux de communication ouverts permettant aux employés d’exprimer librement leurs préoccupations et de signaler les violations. Des mécanismes de contrôle indépendants doivent être mis en place pour tenir les individus responsables de toute complicité. En outre, les responsables doivent collaborer activement avec les organisations de défense des droits humains, la société civile et les autres parties prenantes. Cette collaboration favorise la compréhension mutuelle, le partage des connaissances et les efforts collectifs pour protéger et promouvoir efficacement les droits humains.

Comment les détenteurs d’obligations peuvent-ils utiliser des leviers efficaces malgré une influence limitée ?

5 stratégies pour utiliser des leviers efficaces afin d’améliorer les pratiques des autres détenteurs d’obligations malgré une influence limitée

Ces mesures contribuent collectivement à créer un environnement de travail où les droits humains sont respectés et défendus, minimisant ainsi le risque de complicité dans les violations des droits humains. Néanmoins, elles peuvent ne pas suffire lorsque les entreprises n’ont qu’une influence limitée sur l’élaboration de meilleures pratiques, principalement sous le contrôle d’autres responsables. Or, l’absence d’action peut être synonyme de complicité. Encourager les autres détenteurs d’obligations à respecter les droits humains et les inciter à le faire est donc un aspect complémentaire essentiel de la promotion d’une société fondée sur les droits humains. Les détenteurs d’obligations peuvent employer diverses stratégies pour influencer et inspirer un changement positif à cet égard. Voici cinq stratégies à cet égard :

  1. Plaidoyer et engagement public : Les détenteurs d’obligations doivent s’engager dans des actions de sensibilisation aux droits humains et encourager les autres détenteurs d’obligations à respecter et à faire respecter ces droits. Il peut s’agir de campagnes publiques, d’ateliers et de séminaires visant à sensibiliser non seulement leurs propres parties prenantes, mais aussi le grand public et les autres détenteurs d’obligations à l’importance des droits humains. En présentant les avantages d’une approche fondée sur les droits et en partageant des exemples de réussite, les détenteurs d’obligations peuvent inciter d’autres personnes à suivre leur exemple.
  2. Partenariats et collaborations: La collaboration entre les détenteurs d’obligations est un outil puissant pour faire progresser les droits humains. Les détenteurs d’obligations peuvent former des partenariats avec d’autres organismes gouvernementaux, des organisations non gouvernementales, la société civile et des entités internationales afin d’œuvrer collectivement à la promotion et à la protection des droits humains. Les initiatives conjointes, le partage des ressources et la mise en commun de l’expertise peuvent déboucher sur des stratégies et des résultats plus efficaces en matière de défense des droits humains.
  3. Mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits humains : Les détenteurs d’obligations peuvent s’appuyer sur les mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits humains pour encourager la conformité et le respect des droits humains. La participation à ces mécanismes, tels que les organes des Nations unies chargés des droits de l’homme ou les tribunaux régionaux, peut contribuer à renforcer l’adhésion aux normes internationales en matière de droits humains. Les détenteurs d’obligations peuvent participer à des examens périodiques, soumettre des rapports et adopter des recommandations, mettant ainsi en évidence leur engagement en faveur des droits humains et encourageant la responsabilisation.
  4. Mécanismes de suivi et de contrôle : Les détenteurs d’obligations doivent mettre en place des mécanismes de contrôle indépendants et transparents pour évaluer le respect des normes en matière de droits humains. Ces mécanismes peuvent être des médiateurs, des commissions des droits humains ou des organes de contrôle interne chargés d’enquêter sur les violations des droits hu et d’y remédier. Des rapports réguliers et une diffusion transparente des résultats peuvent exercer une pression sur les autres détenteurs d’obligations pour qu’ils améliorent leur bilan en matière de droits de l’homme.
  5. Mesures d’incitations et reconnaissance: Les détenteurs d’obligations peuvent mettre en place des systèmes d’incitation et de reconnaissance pour encourager le respect des normes en matière de droits humains. Reconnaître et récompenser les détenteurs d’obligation qui font preuve d’une adhésion exemplaire aux droits humains peut inciter d’autres personnes à faire de même. Cette reconnaissance peut prendre la forme de récompenses, d’éloges publics ou d’un accès à des ressources supplémentaires, mettant en évidence les avantages de la priorité accordée aux droits humains.

En résumé, les détenteurs d’obligations peuvent promouvoir les droits humains en s’engageant dans des efforts de sensibilisation, en formant des partenariats, en utilisant des mécanismes internationaux, en établissant des mécanismes de contrôle et en créant des incitations au respect des droits humains. En travaillant en collaboration et en soulignant constamment l’importance des droits humains, les détenteurs d’obligations peuvent inspirer une culture de respect des droits humains et susciter des changements positifs au sein de leurs communautés, et au-delà.

Conclusion

Les entreprises, souvent en collaboration avec d’autres détenteurs d’obligations, ont la responsabilité de respecter les droits humains. Dans des contextes complexes ou dans des situations où l’entreprise est, d’une manière ou d’une autre, un acteur minoritaire, l’absence d’action peut équivaloir à une complicité tacite. Cet article décrit un certain nombre de mesures internes que chaque entreprise peut prendre. En outre, les efforts visant à éduquer et à influencer les autres détenteurs d’obligations afin qu’ils modifient leurs pratiques sont essentiels. Ils s’inscrivent souvent dans la durée et démontrent la cohérence globale d’une approche en matière de respect des droits humains. En cas de litige et d’identification d’une violation effective, ces actions sont la preuve de la bonne volonté des acteurs économiques à assurer le respect des droits humains dans leurs activités opérationnelles quotidiennes.

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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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Séphora est une consultante senior qui contribue aux activités de conseil et de plaidoyer de Ksapa. Elle travaille principalement sur les droits humains, le changement climatique et les questions de durabilité, ainsi que sur l'analyse et le suivi de la réglementation européenne et internationale.

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