Les PRI ont émis de nouvelles recommandations pour encourager les investisseurs à intégrer la diligence raisonnable en matière de droits humains. Dans ce blog, Ksapa présente un plan pluriannuel pour que des investisseurs jouent leur partition.
Lors d’une récente conversation tenue avec l’Institut pour les Droits de l’Homme en Entreprise, Ksapa soulignait les implications de la pandémie de la Covid-19 pour les Droits de l’Homme. Avec une deuxième vague (et peut-être une troisième) à l’horizon, les gouvernements semblent plus que jamais prêt à échanger libertés civiques contre sécurité publique. Physiquement isolés par des mesures de confinement et de distanciation sociale, les défenseurs des Droits de l’Homme sont d’autant plus menacés.
Quel rapport avec les investisseurs, pensez-vous ? 1,3 milliard, en fait. Autant que l’amende record que la banque Westpac a accepté de payer pour avoir enfreint les règles anti-blanchiment en facilitant l’exploitation sexuelle des enfants et d’éventuelles activités terroristes. Ce cas n’est cependant pas spécifique à la Westpac. Bien que notoirement conservateurs vis-à-vis du risque, les investisseurs laissent encore leur gestion de crise plutôt qu’une action proactive de leurs risques leur enseigner les aléas de réputation, financiers et juridiques d’être impliqués dans la violation des Droits de l’Homme. Comprenant que leurs dirigeants peuvent et seront poursuivis, investisseurs, bailleurs de fonds institutionnels et institutions de financement du développement s’alignent de plus en plus avec les cadres de référence internationaux sur les Droits de l’Homme. Les enjeux de droits humains sont clairement matériels pour l’entreprise dans la mesure où ils participent du « S » des politiques « ESG ». A mesure que la Covid-19 alimente les inégalités sociales, cette tendance de fond ne saurait être démentie.
Dans ce contexte, les Principes pour l’investissement responsable des Nations unies ont lancé un programme de travail pluriannuel visant à faire respecter les Droits de l’Homme à travers son écosystème financier. Leurs signataires devront désormais assumer une triple responsabilité en matière de respect des Droits de l’Homme : avoir une politique de Groupe, des processus de diligence raisonnable et des modalités de recours pour d’éventuelles victimes. Pour Ksapa, la configuration sociétale et sectorielle oblige tout investisseurs à élaborer son propre plan, aligné sur les recommandations des PRI. Question de protection des actifs autant que de sens à donner à l’utilisation de ces actifs.
Une impulsion réglementaire favorable aux investisseurs en phase avec leur temps
Les nouvelles recommandations des PRI tendent à dépasser la seule logique de matérialité. Chez Ksapa, nous promouvons cet effort dans la mesure où il devrait encourager les investisseurs à renforcer leur résilience en développant des stratégies ESG plus complètes. Et maintenant ? Les investisseurs doivent désormais s’assurer d’intégrer la gestion de leurs impacts négatifs sur les Droits de l’Homme dans leurs processus de décision – que ce soit dans la construction de leur portefeuille, la sélection de leurs titres ou l’allocation de leurs actifs. En d’autres termes, une gestion efficace des enjeux liés aux Droits de l’Homme semble devenir un aspect incontournable des obligations fiduciaires des propriétaires d’actifs vis-à-vis de leurs bénéficiaires.
À cet égard, l’initiative PRI fait écho avec les Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les Droits de l’Homme et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Depuis plus de dix ans, les efforts de réglementation existants poussent en faveur d’une diligence raisonnable en matière de Droits de l’Homme, mais les investisseurs ont globalement tardé à revoir leurs perspectives strictement financières et leur ratios risque-opportunité. Bien que ce ne soit pas nouveau, les PRI envisagent non seulement de prioriser le risque, mais aussi les impacts négatifs pour les personnes concernées. D’autres efforts réglementaires futurs devraient permettre de renforcer l’appel aux investisseurs à faire preuve de leadership. Il s’agit notamment de la future directive européenne de vigilance obligatoire en matière de Droits de l’Homme tout au long de la chaîne d’approvisionnement et la « version zéro » de l’instrument juridiquement contraignant des Nations Unies qui vise à réglementer les activités des entreprises dans le cadre du droit international des Droits de l’Homme.
Débloquer les obstacles courants des investisseurs
Avec cette convergence des efforts réglementaires s’ajoute une forte mobilisation sectorielle. Tous les signaux semblent être passés au vert pour une mobilisation de fond des investisseurs. Voici donc 3 leviers pour débloquer leurs défis les plus courants dans l’application de leur politique de respect des Droits de l’Homme, le renforcement de leur diligence raisonnable et la création de voies de recours tout au long de leur chaîne de valeur :
- L’accès aux données – Ksapa avait déjà noté que l’un des principaux défis de la directive européenne relative à l’information extra-financière résiderait dans le déploiement de méthodologies homogènes et l’accès des données parlantes et comparables. Il en va de même pour les Droits de l’Homme. Les investisseurs ont en effet besoin de davantage de données pour évaluer leurs résultats en matière de respect Droits de l’Homme et trouver les solutions correspondantes.
- Une vision intégrale – Tout est matériel lorsqu’il s’agit de Droits de l’Homme. Ainsi, la directive européenne sur l’obligation de diligence raisonnable prévue pour 2021 devrait inclure la mise en conformité des entreprises basées dans l’UE comme des entreprises étrangères ayant une présence commerciale significative dans l’UE. Le groupe de travail des Nations unies sur les Droits de l’Homme va un cran plus loin, en recommandant que cette directive couvre toutes les entreprises européennes, quels que soient leur taille, pays d’origine ou secteur d’activité, tant dans leurs relations commerciales directes que dans leurs transactions extraterritoriales.
- Mobiliser toute la chaîne de valeur – Les mêmes principes s’appliquent aux investisseurs. Certains feront sûrement valoir la difficulté de cet exercice au regard de la complexité de leur réseau d’intermédiaires. Sur ce point au moins, l’UE, les Nations unies et les PRI sont clairs : la réglementation couvre non pas seulement les chaînes d’approvisionnement mais bien l’ensemble de la chaîne de valeur. Les politiques et outils au service du respect des Droits de l’Homme s’appliqueront donc à tous, y compris le recours à des fonds de fonds ou à des administrateurs d’indices de référence, par exemple.
Si le fait de cartographier ses fournisseurs de premier rang constitue une étape importante, le véritable enjeu est de documenter toutes les relations d’affaires, où qu’elles se produisent, quel qu’en soit le montant ou statut juridique. Cela nécessite une approche granulaire, ancrée dans l’analyse de données complètes.
La stratégie pluriannuelle de Ksapa de respect des Droits de l’Homme à destination d’investisseurs désireux de s’adapter à ces tendances de fond
Bien conduite, la diligence raisonnable en matière de Droits de l’Homme permet aux investisseurs d’identifier et prévenir d’éventuels risques avant même qu’ils ne se produisent, tout en traitant et atténuant les impacts déjà identifiés. Désormais, les signataires des PRI seront tenus d’être plus proactifs, plutôt que de réagir aux risques lorsqu’ils adviennent. A minima, s’engager de manière proactive dans le domaine des Droits de l’Homme est logique sur le plan des affaires, car il permet de mieux cerner et évaluer les risques, approfondir les processus d’engagement. Alors, comment procéder ? Voici notre approche par étapes.
Définir un profil de risque pour chaque univers d’investissement prioritaire
Les PRI exigeront de ses signataires des processus complets de diligence raisonnable, en commençant par l’identification des résultats négatifs réels et potentiels de toute société d’investissement sur les personnes. Vue la complexité des chaînes de valeur des investisseurs, la prévention et l’atténuation des résultats ainsi identifiés dépendent de leur capacité à structurer et à catégoriser les investissements en fonction de grands profils de risque en matière de Droits de l’Homme. L’équipe de Ksapa constate ainsi que les acteurs financiers s’engagent de plus en plus dans la sélection de leurs investissements, en signalant leurs placements qui présentent de hauts risques. Nous suggérons pour ce faire de se concentrer sur les 3 critères suivants :
- Contexte local – Des investissements similaires peuvent générer un calibrage différent des risques attenants suivants qu’ils soient réalisés dans un pays de l’OCDE ou non. Par exemple, la corruption peut avoir un impact sur l’application des procédures de sécurité et certification, avec des implications claires pour les droits de communautés locales.
- Caractéristiques de l’investissement – Certaines caractéristiques peuvent nécessiter un contrôle préalable plus pointu que pour d’autres types d’investissements ou d’activités financières. Parmi celles-ci, les périodes de détention des actifs, l’importance de la participation, la nature des marchés investis et les options de résiliation détermineront le niveau de contrôle nécessaire.
- Profil des actifs – Les profils de risque dépendent de la nature des actifs. L’investissement responsable dans le capital-risque exige par exemple d’accorder une attention particulière aux enjeux éthiques, de conditions de travail et de confidentialité des données dans le cahier des charges de chaque produit.
Même le processus de diligence raisonnable ESG le plus solide ne couvrira pas nécessairement tous les risques liés aux Droits de l’Homme. Cela dit, le respect des principes de l’UNGP régissant la diligence raisonnable en matière de Droits de l’Homme tend à améliorer les processus ESG existants.
Intégrer les droits humains sur tout le cycle d’investissement
Les PRI soulignent que la gestion des risques liés aux droits humains suppose leur prise en compte tout au long du cycle de vie des investissements – c’est-à-dire avant et après la décision d’investissement. À cette fin, Ksapa indique 3 considérations clefs pour structurer la démarche :
- Diligence préalable à l’acquisition – Cette étape permet de s’assurer que toutes les entreprises du portefeuille intègrent bien la diligence raisonnable en matière de Droits de l’Homme dans leurs systèmes d’opération respectifs. Dans le cas contraire, mettre fin à des investissements du fait d’atteinte aux Droits de l’Homme mal anticipée serait encore plus difficile qu’à la normale… et non sans un impact sonnant et trébuchant.
- Anticiper le risque avant qu’il n’arrive – Il s’agit ici de veiller à ce que toutes les sociétés du portefeuille mettent systématiquement en œuvre des processus de contrôle préalable en matière de Droits de l’Homme afin de se protéger eux-mêmes, leurs investisseurs et les détenteurs de droits concernés. Le but est ainsi d’identifier, prévenir et gérer leurs impacts sur les droits humains avant même qu’ils ne se produisent.
- Des approches intégrées – Les résultats en matière de droits humains peuvent également être clefs en phase de sortie. La mauvaise réputation d’un actif impacte nécessairement sa qualité et ses évaluations, ce qui complique à terme toute stratégie de sortie de l’investissement.
Le dialogue avec les sociétés émettrices doit refléter leurs priorités en matière de Droits de l’Homme, de manière intégrée dans l’ensemble de leurs procédures et tout au long de leur cycle d’investissement. Une telle démarche peut impliquer le renforcement de leurs outils de sélection ESG ou encore de leur documents contractuels et de procédure. Cela tend aussi à exiger de systématiquement ajouter les enjeux de droits humains à l’ordre du jour de toute réunion critique entre investisseurs et entreprises.
Structurer une collecte de données en conséquence
Ayant intégré les résultats en matière de Droits de l’Homme tout au long de leur cycle d’investissement, les organisations pourront plus facilement structurer leurs processus de collecte de données. Cette étape correspond à l’indication des PRI selon laquelle leurs signataires devront monitorer leurs progrès en matière de gestion des risques liés aux droits humains. Pour ce faire, la normalisation des méthodologies de collecte tendent à déterminer la capacité des investisseurs à accéder à des données significatives et comparables en matière de Droits de l’Homme. Voici quelques-uns des principaux obstacles à surmonter :
- Sensibilité – Évoquer les Droits de l’Homme entre émetteurs, investisseurs, partenaires et autres parties prenantes est nécessairement délicat. Il s’agit donc d’anticiper ces enjeux, pour se concentrer sur la manière exacte dont les droits humains peuvent avoir un impact sur les enjeux opérationnels d’un investisseur donné… et les solutions à y apporter.
- Interconnectivité – Avec plus de 100 enjeux répertoriés dans des cadres internationaux, la question des droits humains est à la fois vaste et complexe. De plus, les Droits de l’Homme sont intrinsèquement liés. Une démarche complète de diligence raisonnable permet aux investisseurs de trianguler l’information et ainsi corréler les enjeux ESG de leurs opérations sur le terrain et leurs modèles financiers.
- Automatisation – Le but ultime de la collecte de données est d’informer la prise de décision d’investissement. Nombre d’organisations se tournent donc vers l’intelligence artificielle pour automatiser cette collecte dans des univers de données complexes. Il s’agit ainsi d’identifier leurs risques matériels et, à terme extrapoler davantage encore d’information et ainsi prédire l’occurrence des risques liés aux Droits de l’Homme.
Au regard de la nature sensible des Droits de l’Homme, les investisseurs doivent recouper leurs données, les contributions d’acteurs locaux et leurs propres évaluations qualitatives et informées par leur expérience pratique. En écho direct avec les cadres internationaux, les PRI soulignent combien cette collecte de données et les logiques de dialogue sont essentiels. Ils permettent aux investisseurs d’identifier leurs risques liés aux droits humains au niveau local, pour concevoir et activer des plans de gestion de risques pertinents.
Développer les connaissances des équipes pour traiter des questions de Droits de l’Homme
Les PRI encouragent ensuite leurs signataires à communiquer sur les Droits de l’Homme avec leurs clients, bénéficiaires et parties prenantes – tant en termes de résultats que de plans d’action. Les équipes risquent cependant de considérer ces enjeux comme trop politiques ou déconnectées de leur agenda opérationnel habituel. Voici nos conseils pour aider les investisseurs à renforcer les capacités en matière de droits humains au sein de leurs équipes :
- Développer des systèmes cohérents – Engagement de la Direction Générale. Politiques de groupe. Taxonomies. Toute activité de communication doit participer d’une logique de dialogue unique et cohérente avec les parties prenantes, pour relayer le message de l’intégration complète par les investissements du respect des Droits de l’Homme dans leur prise de décision et à travers leurs activités.
- Identifier son réseau d’ambassadeurs – Une façon de distiller une stratégie cohésive en matière de droits humains est d’identifier des ambassadeurs internes. Bien menée, cette démarche permet de créer un réseau d’experts capables de mobiliser leurs pairs de façon beaucoup plus dynamique que par l’imposition par la direction de diligences raisonnables.
- Rester simple – Les exemples concrets et études de cas aident les équipes à identifier les situations qu’elles ont rencontrées et pourraient devoir gérer à nouveau. Les programmes de montée en compétences incluent donc généralement des jeux de rôle, pour encourager les équipes internes à se mettre (littéralement) à la place des détenteurs de droits.
Protéger ses actifs de violations des droits humains
Comme le montre l’exemple de la Westpac, une approche proactive de la diligence raisonnable est relativement bon marché. Comparée à la gestion des impacts sur les Opex et Capex d’une allégation de violation des Droits de l’Homme, elle est aussi assez facile à intégrer. Chez Ksapa, nous encourageons donc les investisseurs à évaluer l’exposition aux risques liés aux Droits de l’Homme de leurs propres activités et celles des entreprises de leur portefeuille.
Un bon test de l’alignement de leurs plans de responsabilité avec les indications des PRI serait pour les investisseurs d’évaluer leur politique de respect des droits humains à l’aune des risques gérés ou identifiés grâce aux diligences raisonnables de leurs sociétés émettrices. Par exemple, un investissement qui dépendrait de l’acquisition de terrains doit impérativement être documenté, grâce notamment à des consultations publiques, titres de propriété, affectations municipales de terres conformes à leur utilisation avérée ou plans de déplacement de population conformes aux normes internationales en vigueur. La moindre lacune remet en question le processus de diligence raisonnable. De plus, elle contient probablement en germe des atteintes aux Droits de l’Homme.
À l’heure de la Covid-19, il est d’autant plus impératif pour les investisseurs d’exiger de leurs émetteurs qu’ils intègrent les risques liés aux droits humains dans leurs plans opérationnels. Un certain nombre de nos clients sont par exemple conscients que les mesures de confinement frappent les travailleurs migrants de plein fouet. Pour l’heure, les détenteurs de droits les plus vulnérables sont les premiers à souffrir de la crise actuelle. Cela pourrait cependant venir à hanter les investisseurs. À plus long terme, l’adhésion des institutions et parties prenantes locales sera en effet déterminante – et, avec elle, l’acceptabilité des investissements.
Conclusion | Et maintenant ? Mobiliser sa chaîne de valeur
Comme les Principes directeurs des Nations unies avant eux, les PRI stipulent clairement que les Droits de l’Homme ne sont pas la responsabilité du seul investisseur, mais bien celle d’un écosystème d’acteurs. Ceci dit, les investisseurs sont les mieux placés pour influencer l’ensemble de leur chaîne de valeur et encourager d’autres détenteurs d’obligations à pallier leurs propres risques en matière de droits humains.
A mesure que les gouvernements élaboreront leurs plans de relance en réponse à la crise de la Covid-19, ils seront vraisemblablement enclins à trouver un équilibre entre le besoin immédiat d’attirer des investisseurs et leurs exigences de plans de résilience à long terme de la part des investisseurs et entreprises. En période de grande incertitude, les plans de respect des Droits de l’Homme contribuent à développer des environnements commerciaux plus prévisibles, en nourrissant des relations de confiance entre les parties prenantes. L’équipe de Ksapa est bien sûr prête à vous aider à atteindre cet objectif, grâce à des approches adaptées à vos métiers, votre portefeuille et culture d’entreprise.
Forte d’une expérience internationale auprès de structures publiques, privées et associatives, Margaux Dillon intervient chez Ksapa en tant que consultante en développement durable et responsabilité des organisations.
Elle avait auparavant travaillé pour les cabinets Deloitte et Quantis, assuré la promotion institutionnelle de l’infrastructure de recherche sur les écosystèmes ENVRI+ pour le compte de l’INRA, et contribué au reporting extra-financier du groupe Total.
Margaux est de nationalité franco-américaine et est titulaire d’un Master en histoire, communication, entreprises et affaires internationales ainsi que de deux certifications en développement durable de l’IEMA et Centrale-Supélec. Elle parle anglais, français et espagnol.