Cet article mis à jour a été initialement publié sur Le Cercle Les Echos ici
La récente mise en examen de Carlos Ghosn, PDG de Renault, pour malversations financières et abus de confiance aggravé vient poser une nouvelle fois la question de la responsabilité des dirigeants et de l’exemplarité attendue d’eux. Mais comment définir un leader responsable ?
J’assistais récemment à l’Assemblée générale de la GRLI (Global Responsible Leadership Initiative). Les questions posées lors de cet événement cherchaient à comprendre comment envisager l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants responsables. Une interrogation d’actualité puisque les récents scandales (affaire Lactalis, le PDG de Renault, etc.) ainsi que le contexte Gilets Jaunes au travers duquel différents manifestants de rond-points ont notamment encourager les bricoleurs du dimanche à éviter les magasins tenus par des familles qui se domicilent fiscalement en Suisse nous poussent à définir précisément ce que nous entendons par leadership responsable.
Cette aspiration à une responsabilité accrue des dirigeants fait évidemment suite à ces scandales à répétition et résonne avec une suspicion croissante de l’opinion publique. Si certains pays choisissent de répondre à la question de manière réglementaire, la France semble privilégier la piste du consensus et de la démarche volontaire. L’AFEP et le MEDEF prônant le « Say on Pay » qui consiste à laisser les entreprises s’autoréguler en permettant aux actionnaires de décider, via un vote consultatif, de la rémunération des dirigeants.
Notons dès à présent que la notion de leader responsable ne vise pas seulement le PDG d’une entreprise, mais englobe plus largement l’encadrement, la population des cadres dirigeants. Les membres de mon organisation, nous sollicitent très souvent pour tenter de répondre à cette question tant le concept semble difficile à cerner. Un premier élément de réponse consiste à se poser avant tout 3 questions, qui peuvent constituer un bon socle de la réflexion :
1. Contexte et Acceptabilité
Est-ce que le dirigeant est capable de comprendre l’environnement socio-économique dans lequel son entreprise évolue ? Cela englobe ce qui acceptable ou pas, mais aussi les facteurs non financiers (environnementaux, sociaux, etc.) qui viennent impacter la performance financière. Le dirigeant doit décrypter des situations toujours plus complexes. Par exemple, différentes pratiques fiscales peuvent être tout à fait légales mais devoir se justifier laborieusement dans un contexte d’acceptabilité à leur égard toujours plus déclinant. Un leader responsable, c’est un décideur qui paye des taxes là où il crée de la richesse. Les entreprises du digital mais aussi de plus en plus les marques de grande consommation vont devoir décrypter finement ces contextes pour bien comprendre ce qui va rester, ou pas, acceptable du point de vue de leurs clients et parties prenantes.
2. Capacité des systèmes de management à encourager la responsabilité
L’étude du cas Ghosn est intéressante. Il me rappelle un cas bien connu désormais, et que j’ai pu étudier de près: le cas Lauvergeon chez Areva dans les années 2000. Ces deux cas ont en commun la multiplication de dérives aux impacts financiers importants pour les entreprises. Ces deux cas ont également en commun la concentration du pouvoir avec des garde-fous inefficaces.
Dans quelle mesure le dirigeant évolue-t-il dans un environnement l’incitant à être responsable? Est-ce que son Conseil d’Administration l’interroge ? Est-ce que les systèmes de mesure de la performance du dirigeant tiennent compte de sa capacité à agir de manière responsable ? Est-il promu et récompensé pour sa performance responsable ?
Les systèmes de management façonnent des leaders responsables dans la mesure où les conditions suivantes sont réunies:
- Déjà, les enjeux de compétitivité et de transformation des entreprises sont bien cernés (transformation digitale et disruption de concurrence, enjeux sociaux, adaptation environnementale par exemple…). Mais surtout, des organes de gouvernance disposent de l’expertise et des moyens leur permettant de challenger, vérifier et amender les décisions des dirigeants exécutifs sur ces enjeux stratégiques. Aujourd’hui, malgré les responsabilités sur leurs épaules, nombre de Conseils d’Administrations n’offre ni la diversité d’expertise ni la pertinence opérationnelle pour exécuter cet élément pourtant critique de leur mandat. Un dirigeant responsable doit être encadré par des organes de contrôle offrant une diversité de points de vue permettant de décrypter au mieux la complexité.
- Ensuite, les systèmes de management et notamment les processus de décisions opérationnelles doivent non seulement inscrire une responsabilité nominale des décideurs (qui est comptable de quoi), mais surtout y associer un suivi factuel de vérification des engagements. Des indicateurs de suivi vérifiés régulièrement par une tierce partie permettent de s’assurer que le dirigeant à non seulement exercé sa responsabilité pour prendre des décisions, mais peut aussi se justifier de leur bonne exécution. Lorsque la réalité opérationnelle diverge, ces systèmes permettent non seulement de mettre le dirigeant en face de ses responsabilité, mais également d’offrir un espace de dialogue permettant d’adapter les décisions à une réalité opérationnelle différente de ce qui avait été initialement imaginer. Un dirigeant responsable doit se mouvoir dans un environnement opérationnel offrant un cadre clair de responsabilité mais aussi une agilité dans sa remise en question et son adaptation à des réalités opérationnelles différentes.
- Enfin, la mesure de la performance du dirigeant responsable doit impérativement inclure une dimension de long terme. Il ne suffit pas de récompenser un dirigeant qui fini un chantier dans les délais et le budget alloué. Par exemple, ce même dirigeant doit justifier qu’à la remise des clés du chantier, il n’y a pas de bombe à retardement qui va sauter à la figure du successeur: mauvaise construction qui va s’effondrer dans les prochains mois, mécontentement de parties prenantes qui vont polluer le quotidien des opérationnels chaque matin, pollution invisible à l’œil nu et qui va coûter des millions non provisionnés dans quelques années…
3. Exemplarité et capacité à susciter l’adhésion
Une qualité souvent oubliée, mais primordiale dans le cas d’un dirigeant. Dans quelle mesure incarne-t-il des valeurs de respect et d’exemplarité ?
L’exemple du leader mondial Lactalis et de sa famille dirigeante est saisissant. La filière laitière est saignée par des achats à des prix qui ne permettent pas aux petites exploitations de survivre. Les taux de suicide dans ces exploitations sont en forte croissance sur la dernière décennie. Les acheteurs de Lactalis, sous l’impulsion de leurs dirigeants, imposent des politiques draconiennes. Le partage de la richesse est très mal répartie puisque Lactalis réalise d’énormes bénéfices chaque année. Dans un tel contexte, le jour où Lactalis est confronté à un important scandale de lait infantile contaminé par des bactéries salmonelles que ce passe-t-il du côté de l’amont laitier, victime collatéral de la baisse des achats Lactalis qui doit réduire sa production? Rien. Absolument rien. Aucun soutien. Un unanime sentiment des petits producteurs se résumant à « ils l’ont bien cherché ».
Le leader responsable doit créer l’exemplarité et suscité ainsi l’adhésion. Dans « leader », il y a la notion de « leadership ». Le leader responsable connait bien son métier, son secteur, son industrie. Lorsqu’il sait que la filière est saignée à blanc et que les petits producteurs amonts ferment les unes après les autres, le leader responsable remet en question l’ordre établi. Il questionne des pratiques achats d’un autre temps qui ne sont plus adaptées à son secteur. Il adapte le modèle. Il montre l’exemple. Il suscite ainsi l’adhésion de la filière. Et lorsqu’il a un problème, il est soutenu par ses pairs et sa filière.
Quelques questions finalement simples, mais qui doivent amener les dirigeants à beaucoup d’humilité et à assumer un rôle dans lequel l’exercice du leadership est autant incarné par l’exemplarité personnelle que par la capacité du dirigeant à donner un cap économique cohérent avec les enjeux socio-économiques et environnementaux de notre temps, facteur de performance et d’innovation.
Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.