Responsabilité politique des entreprises : un levier climat clé

Responsabilité politique des entreprises : un levier climat clé

La COP26 s’est conclue en nous laissant collectivement avancer dans un monde condamné à se réchauffer sur une trajectoire de 3+ degrés. C’est un désastre massif pour l’humanité comme pour la biodiversité. Rappelons du coup un fait simple : sans humanité, aucune entreprise ne peut prospérer. L’échec climatique est donc tout aussi un échec pour les entreprises. Dès lors, il est temps pour les entreprises de mieux aligner leurs déclarations d’intention avec l’influence politique effective qu’elles ont.

La COP26 s’est clôturé en gardant le « code rouge » comme une réalité

Il se trouve que j’ai suivi de près les COP depuis la COP5 de Bonn (1999). En effet, j’ai eu la chance d’assister à plusieurs COP. Je me souviens très bien du niveau des discussions qui se tenaient à la fin du siècle précédent. Des progrès indéniables ont été réalisés entre la COP21 (sans nul doute la plus fructueuse de ce processus de COP) et la COP26. La COP26 a eu lieu à un moment où nos sociétés ont grandement besoin d’un élan international et collectif pour aller de l’avant ensemble… et offrir à nos jeunes un avenir vivable sur une planète habitée par 8 à 10 milliards de personnes. Une planète avec un environnement où les risques climatiques seraint efficacement contrôlés. Et ce, malgré la crise actuelle de la COVID-19 ou les tensions géopolitiques croissantes.

La COP 26 s’est donc terminée sans surprise avec un monde toujours sur une trajectoire de 3 degrés et plus. Ce à quoi nous faisons face en comptant les degrés Celsius un par un n’est pas – loin de là – un décompte du détail. Le GIEC démontre l’écart abyssal dans les impacts à attendre dans nos vies entre une trajectoire de réchauffement climatique de 1,5 °C et 2 °C. Un simple demi-degré fait une grande différence. Le cri désespéré du premier ministre de la Barbade, « 2 degrés de réchauffement est une peine de mort », nous a rappelé que la question du climat doit aussi être vue dans la perspective des droits humains également. Mais cette question climatique est trop importante pour que trop peu de gens se réunissent pendant seulement quelques jours de temps à autre, donc forcément, ce processus quoi qu’utile est franchement dépassé.

Pour l’instant, la vérité est aussi simple qu’horrible à entendre. Après la 26ème COP, les gaz à effet de serre continueront de croître. Sans aucune raison de croire que quelque chose d’autre se produira pour l’instant. Même en supposant que chaque engagement des gouvernements et des entreprises soit appliqué, les gaz à effet de serre devraient augmenter de +14% d’ici 2030. D’après la science c’est nettement davantage que l’inverse qui doit se produire tout de suite : Nous devons réduire les émissions de 45% entre maintenant et 2030 pour rester sur la bonne voie avec une trajectoire inférieure à 2 degrés. On n’y est pas du tout. Des demi degrés qui ont des conséquences majeures se jouent sur des écarts de pourcentages entre ce qui devrait se réduire et ce qui est en train d’augmenter qui restent tout simplement abyssales pour que la moindre erreur soit permise.

Les secteurs des affaires et des finances n’ont pas démontré leur crédibilité dans l’ensemble des COPs

À la COP15 de Copenhague, nous avons souffert d’un engagement médiocre et insuffisant de la communauté des affaires et des investisseurs. Sujet technique, à l’époque peu porté par les directions générales. Trop peu d’entreprises étaient capables de se positionner pour encourager les négociateurs à faire du climat un sujet sérieux du point de vue des affaires. Je le sais et je l’ai vécu en ayant moi-même contribué à organiser des coalitions d’entreprises avec mes collègues de BSR de l’époque. Pour la COP21, le niveau d’engagement des chefs de file du monde des affaires était propice pour encourager les négociateurs à conclure un accord. Une masse critique d’entreprises et d’investisseurs – certes marginaux à l’échelle de l’économie mondiale mais réellement influents individuellement et collectivement – montrait aux négociateurs que la cause climatique était importante. Les PDG et investisseurs d’entreprises du Fortune 500 se succédaient pour prendre le sujet et le porter à leur niveau comme une dimension stratégique pour leurs entreprises.

Que pensez alors de la COP 26? La crédibilité des entreprises et des finances est clairement à questionner. Le flot d’annonces faites pendant la COP26 ne devrait pas nous faire oublier l’essentiel. Trop d’engagements antérieurs n’ont pas été appliqués dans l’ensemble. Par exemple, le CDP vient de publier un rapport indiquant que seulement 1 % des fonds sont conformes à l’accord de Paris… en 2021 ! Pourquoi de nouveaux engagements seraient davantage appliqués ? En quoi ces engagements ont démontré un quelconque impact sur la trajectoire climatique sur les 5 dernières années ? En quoi l’application de ces engagements changerait quelque chose à l’échelle des besoins ?

Action pour le climat et responsabilité politique des entreprises

Les gouvernements valorisent la croissance, la création d’emplois et la création de richesse. Les gouvernements sont donc sous l’influence des entreprises et des finances. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, c’est juste un fait. La responsabilité politique des entreprises peut être définie comme la mise en cohérence entre les déclarations d’intention et l’influence politique réelle. Ces sujets ne sont aujourd’hui pas mis en cohérence au sein des entreprises. Par exemple, lorsqu’une entreprise s’engage à cesser d’investir dans un secteur à forte intensité de carbone là elle n’effectue déjà aucun investissement, on a des paroles qui ne changent rien à la réalité des gaz à effet de serre. De son côté, lorsqu’un gouvernement s’engage à interdire l’exploration pétrolière et gazière dans un pays qui n’a rien à explorer, on a là encore des paroles qui ne changent rien à la réalité des gaz à effet de serre. Lorsque des entreprises et des gouvernements s’engagent à investir pour le climat et que des années plus tard on ne trouve toujours pas trace de ces investissements dans l’économie réelle, ca ne change rien là encore à la réalité des gaz à effet de serre. Il y a eu beaucoup d’engagements de ce genre à la COP. Il est donc normal de voir les COP et les engagements se succéder jusqu’à la 26eme édition, tout en constatant que les gaz à effet de serre continuent à augmenter en parallèle.

En fait, tant qu’il n’y a pas de cohérence politique des entreprises en matière d’action climatique, les gouvernements et les entreprises sont condamnés à observer le changement climatique avancer tout en ayant à faire face de manière croissante au mécontentement et aux situations conflictuelles avec les parties prenantes… et la jeunesse. Aujourd’hui, et tout particulièrement depuis la COP 21, les engagements de quelques entreprises « leaders » ne servent plus à rien. Pire: ils décrédibilisent les entreprises. Ce qu’il faut, ce sont des solutions permettant d’engager et d’inclure le plus d’entreprises possibles. Ceci ne passe par du Net Zero individuel, mais par des solutions concrètes assurant l’harmonisation des pratiques le long de filières, l’activation des investissements pour faire concrètement opérer les transformations rapides. On a alors besoin de régulation organisant ce qui est autorisé ou pas dans un environnement climatiquement contraint, de formation professionnelle dans un monde où tous les métiers doivent se mettre en synchronisation sur ces questions, de certifications et autres normalisations pour articuler les actions des acteurs économiques de manière cohérente le long des filières. Enfin, puisque les trillions soit disant disponibles peinent à irriguer l’économie réelle, il faut évidemment explorer des schémas concrets afin de flécher et faire travailler le capital au service de la décarbonation.

A cet effet, la responsabilité politique des entreprises commande d’explorer deux leviers complémentaires mais indispensables pour mettre en cohérence les déclarations avec l’influence politique sur les questions climatiques :

  1. L’harmonisation interne au sein des organisations opérationnelles elles-mêmes pour veiller à ce que chaque fonction/unité opérationnelle soit alignée sur un même intérêt climatique, faisant des progrès climatiques une priorité. Cela peut impliquer de restructurer sérieusement les organisations pour s’assurer que chaque modalité est également impactée par le climat par exemple, ou bien de revoir les bonus et leviers de motivation pour lever les résistances de ceux qui ont à perdre dans l’action climatique de leur entreprise. S’assurer que tout le monde « rame » dans la même direction est devenu indispensable pour porter les transformations exigées par la question climatique
  2. L’alignement externe des associations d’entreprises en faveur de la réglementation (parlant ici notamment des associations d’entreprises représentant des industries entières à DC, Bruxelles, Pékin et d’autres endroits critiques similaires façonnant la réglementation au nom des producteurs critiques d’émissions de GES pour toute la planète), le renforcement des capacités, la certification, des incitations fiscales permettant de modifier les règles du marché et de façonner l’alignement le long des chaînes de valeur

Conclusion : Pas d’action climatique, pas d’entreprise

Si les gouvernements, les entreprises et les investisseurs ne sont pas en mesure de se montrer plus crédibles et de réduire considérablement les émissions maintenant, nous allons assister de façon exponentielle à la désobéissance climatique. La primauté du droit va être considérablement ébranlée au nom du climat. Ce n’est pas bon pour les affaires. Ce n’est pas bon pour les gouvernements non plus. Les actions pour le climat ce sont avant tout des actions pour les affaires. Gageons que pour la COP 27, chacun arrêtera de se cacher derrière son petit doigt pour porter une action collective au lieu de conserver des acquis individuels dont la science nous démontre qu’ils n’ont aucune pérennité.

Farid Baddache auteur de ce blog sur les thématique de résilience, d'impact et d'inclusion
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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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