Transition juste: une dynamique de parties prenantes

On a connu les Pyrénées sous 7 mètres de neige. Sans assez de neige pour alimenter les activités de ski, les autorités décident d’en importer par hélicoptère. Un cas concret mettant entreprises, autorités et investisseurs en face de leurs responsabilités pour une transition juste

Penser et projeter les activités à plus long terme

1. La facilité de prendre des décisions économiques de court terme dans l’urgence

Une petite station des Pyrénées se retrouve au beau milieu des vacances scolaires, temps fort de l’activité touristique d’hiver dans la région, sans neige. Malgré les étonnements, le conseil départemental de la Haute-Garonne, en charge de la gestion de Luchon-Superbagnères, décide d’héliporter de la neige. Un choix de court terme qui se justifie totalement compte tenu des éléments entre les mains de décideurs économiques qui ne projettent pas leur activité au-delà du mois de mars:

  • Héliporter la neige nécessaire au fonctionnement minimal de la station et notamment de ses cours de ski ne coûte que 5000 à 6000 euros. Évidemment, ce prix ne reflète pas du tout le coût carbone porté par l’opération.
  • Les décideurs justifient la décision par un retour sur investissement environ 10 fois supérieur, permettant notamment de maintenir directement une cinquantaine d’emplois et les retombées touristiques indirectes sur le territoire, notamment via l’hôtellerie et la restauration

Il est facile de critiquer l’opération. Mais sa justification économique est portée par un raisonnement de bon sens: privilégier l’emploi (et la paix social) à court terme, plutôt que la prise en compte de projections de plus long terme.

2. L’importance de prendre des décisions économiques de plus long terme

Ce cas concret est intéressant à explorer sous différents angles, propres aux questions liées aux politiques climats et aux transitions justes qui vont s’opérer bon an mal an dans les prochaines années:

  • Acceptabilité des pratiques. Envoyer des hélicoptères pour sauver des vies dans la montagne, c’est acceptable. Même pour aider des inconscients qui font risquer la vie des propres sauveteurs. Le coût écologique est secondaire. Par contre, la question climatique devient tellement prégnante que l’héliport de neige n’est plus acceptable
  • Attractivité des activités, voire employabilité. Différentes études montrent déjà combien les 18-35 ans sont de moins en moins attirés par la montagne. Gageons qu’avec une conscience climatique grandissante, ce n’est pas l’héliport de neige qui va changer la tendance dans les prochaines années. Pour le territoire, c’est un déclin à anticiper car ces 18-35 ans sont les familles de demain qui préféreront passer leurs vacances ailleurs – avec ou sans neige…
  • Avenir pour les activités économiques, les emplois et le territoire dans un monde en plein changement climatique. Autorités, entreprises et investisseurs ont tout intérêt à se projeter dans une logique de transition juste pour projeter les activités économiques, les emplois et la valorisation des investissements (immobiliers par exemple) dans ce qui continuera à créer de la richesse, des emplois et de la valeur sur le territoire dans les prochaines années. Ce travail de l’OCDE y participe.

Ainsi, on le voit, l’exemple de la station de ski est riche d’enseignements pour encourager autorités, entreprises et investisseurs à faire le lien entre climat et transition juste.

Climat et transition juste: du bon sens économique

1. Comment la transition juste offre une voie constructive pour aborder les questions climatiques

« Réfléchir autour de la transition juste permet de passer d’une logique de dilution collective des responsabilités climatiques à une dynamique de responsabilisation collective des parties prenantes territoriales« 

La question climatique est généralement complexe à traiter. Par essence, elle dépasse chacun. La dilution intrinsèque des responsabilités facilite le report sur les autres parties prenantes pour ne pas faire grand’chose soi-même.

La transition juste peut se définir comme la manière dont on peut opérer collectivement des bascules adaptées à la nouvelle donne climatique contextuelle, de manière la plus inclusive que possible. Pourquoi une réflexion inclusive d’ailleurs?

  • Déjà, parce que la question climatique demande un effort collectif. Un effort collectif exige l’inclusion. Un effort individuel qui ne réussit pas à s’inscrire dans une logique collective est utile mais pas suffisant sur la question climatique
  • Ensuite, parce que le choc climatique est tel – il suffit de voir les écarts constatés entre une trajectoire 1,5 ou 2 degrés du GIEC – que sans approche inclusive, la transition climatique s’inscrit dans des dynamiques conflictuelles majeurs, qui sont contre productives. Le mouvement Gilets Jaunes a montré à la fois les deux: une résistance collective face à une taxe carbone jugée non équitable dans son application, générant un environnement conflictuel durable faisant table rase de la taxe carbone… or donner un prix au carbone contribue justement à accompagner la transition climatique…

Ainsi, grâce à la réflexion autour de la transition juste, on passe d’une logique de dilution collective des responsabilités climatiques à une dynamique de responsabilisation collective des parties prenantes territoriales. C’est autrement plus constructif. Ainsi:

  • Les autorités se sont montrées à ce jour incapables de s’engager sérieusement dans une démarche climatique à la hauteur des enjeux. Ces mêmes autorités s’impliquent différemment dans la question de l’emploi et de l’évolution de l’employabilité sur les territoires. Question de paix sociale, de taxes et de système électoral pour offrir un avenir concret aux électeurs et aux habitants du territoire
  • Les entreprises ne voient globalement pas le coût carbone, ni celui des externalités environnementales générées par leurs activités, à quelques exceptions près de leaders ou de marchés régulés de niche. La question de la vitalité économique territoriale est toute autre. L’entreprise a besoin de trouver des employés, des sous-traitants, des consommateurs, des infrastructures. Cela s’inscrit dans une dynamique territoriale résiliente et capable d’adapter et faire évoluer les activités économiques aux changements climatiques
  • Les investisseurs font des prévisions de valorisation de leurs actifs – par exemple immobiliers, mais aussi économiques dans les biens et services. Si la question climatique transforme en profondeur la valorisation des actifs et la qualité du portefeuille, c’est bien évidemment une donne à prendre en compte. Hors l’activité humaine et économique a bien une incidence sur la valorisation de nombreux actifs. Dans le cas de l’immobilier par exemple, une localisation produit un effet d’offre et de demande qui apprécie ou pas la valeur du bien. Si le territoire décline, que l’emploi disparaît sous effet climatique, les actifs se dévalorisent. Si par contre une dynamique territoriale de transition juste s’opère, les actifs sont plus résilients pour s’adapter à une réalité humaine et économique différente

La transition juste: une dynamique constructive de parties prenantes

Ainsi, autorités, entreprises et investisseurs peuvent trouver autour de la notion de transition juste un terrain constructif pour faire avancer leurs propres intérêts autant que la question climatique.

  • Pour les autorités en charge de l’aménagement territorial, non seulement les prévisions macroéconomiques du GIEC s’affinent significativement pour donner les grandes orientations, mais il existe également de nombreuses études et données libres ou payantes, disponibles pour explorer les centaines de typologies d’impacts climatiques identifiés – dont les modélisations s’affinent et sont encore largement perfectibles. Pour autant, c’est largement suffisant pour projeter le territoire à 2030, voire 2050 et anticiper les transitions économiques indispensables pour adapter et transformer l’activité humaine
  • Pour les entreprises, la question climatique doit devenir centrale. Il s’agit non seulement d’inscrire les métiers dans une trajectoire compatible avec un scénario 1,5 degré de l’Accord de Paris (ce qui suppose une réduction rapide et drastique de la dépendence carbone et de ses dérivées), mais il s’agit également d’anticiper les évolutions territoriales pour se diversifier, voire se transformer. Il en va de la compétitivité voire pérennité des activités autant que de l’attractivité de la marque employeur.
  • Pour les investisseurs, ces questions de transition juste permettent de mieux comprendre les risques systémiques portés sur les actifs, mieux prendre en compte les intérêts des clients dans la gestion d’actifs, tout en contribuant plus activement aux enjeux sociétaux et économiques de nos sociétés

Conclusion : Pensons transition juste pour créer des activités économiques plus résilientes et plus inclusives

Ainsi, bonne nouvelle. Si la question climatique n’a pas été prise en compte à la hauteur des enjeux à ce jour, la question de transition juste offre un terreau plus favorable à cet effet. Il existe de nombreuses solutions à cet effet.

Ainsi, une réponse pertinente des stations de ski et de leurs parties prenantes chargées du territoire et des activités économiques, c’est bien d’identifier le chemin de l’adaptation et de la transformation permettant de projeter l’activité et l’emploi dans la prochaine décennie, sous contrainte climatique. Des centaines de millions ont été injectés pour créer de l’activité économique sur de la neige et des pentes. Il faut, de manière urgente, réorienter l’injection d’investissements pour créer des activités plus résilientes et plus inclusives.

Farid Baddache auteur de ce blog sur les thématique de résilience, d'impact et d'inclusion
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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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