5 points clés du 12ème Forum des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme

Fin novembre, Ksapa a rejoint un grand nombre de ses pairs à l’occasion du 12ème Forum des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme, à Genève. Alors que tous les regards sont tournés vers la COP 28, Ksapa revient sur les informations à retenir de cette 12ème édition, les 5 questions transversales qui seront au cœur des problématiques des entreprises en 2024. Bien entendu, cet article de blog n’est qu’un petit aperçu de ces trois jours de débats et met l’accent sur les sujets d’avenir en matière de droits humains.

1. Rendre les normes internationales plus opérationnelles

  • 2023 marque le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). Ce document demeure la référence, utilisée par les entreprises pour identifier les catégories de droits humains à analyser. De grandes entreprises qui connaissent mieux les normes internationales relatives aux droits humains, à savoir les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Toutefois, ces mêmes entreprises ont besoin d’être conseillées pour intégrer des défis sociaux et environnementaux interdépendants et les normes et standards plus récents (par exemple, l’Accord de Paris, la future directive de l’UE sur la durabilité – CS3D, ou les lignes directrices de l’OIT pour une transition juste). Par ailleurs, de nombreuses PME n’ont pas connaissance de la méthodologie utilisée par les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.
  • La Déclaration universelle des droits de l’homme reste un fondement solide pour les entreprises et leurs parties prenantes dans un contexte mondial de « polycrises ». Les conflits et l’instabilité économique augmentent les risques liés aux urgences environnementales et vice versa. D’où la nécessité de conseiller les entreprises quant à leurs pratiques dans les pays en guerre et les régions touchées par les conflits.
  • Ces normes doivent également être adaptées aux nouveaux défis tels que l’utilisation croissante des technologies et de l’IA par les acteurs privés. Les entreprises doivent quant à elles anticiper le développement de l’IA et la numérisation qui créent de nouveaux domaines de diligence raisonnable.
  • Les entreprises sollicitent la mise en œuvre concrète des principes, des normes et des mesures de diligence raisonnable en matière de droits humains pour embarquer au-delà des personnes partageant les mêmes idées et accélérer l’atténuation réelle de risques déjà identifiés depuis des années.

2. Aborder les questions relatives aux droits humains et à l’environnement conjointement

  • Les experts reconnaissent le lien entre le respect des droits humains et les défis environnementaux. Ce lien a été abordé lors d’une table ronde intitulée « Realizing the right to a clean, healthy and sustainable environment: progress and opportunities for human rights due diligence and the environment in practice ». D’ailleurs, une consultation publique est actuellement en cours sur le document suivant Human Rights Due Diligence and the Environment: Draft Guide for Business by the United Nations Development Programme.
  • La transition juste fut un thème important du Forum en tant que défi majeur pour les décennies à venir. A savoir, veiller à ce que personne (en particulier les travailleurs) ne soit laissé de côté tout en assurant la transition vers des énergies plus vertes. Pour cela, il faudra également veiller, tel que pointé par une des panélistes, à ce que la transition juste ne soit pas un nouveau terme qui ne résout pas les problématiques déjà identifiées dans des secteurs clés tel que l’extraction. Il faudra également assurer le respect des droits humains et des garanties sociales des travailleurs tout en permettant la transition énergétique.
  • Les entreprises ont intérêt à développer de la transversalité entre leurs fonctions clés pour « briser les silos ». Pour ces dernières, il s’agit d’identifier et de traiter les questions relatives aux droits humains et à l’environnement de manière intégrée, et de combiner leurs objectifs. Par ailleurs, les entreprises doivent intégrer toutes les questions environnementales (eau, biodiversité, pollution plastique, etc.) et pas seulement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et le changement climatique.

3. Écouter la voix des défenseurs des droits humains et des communautés

  • Le 12e Forum des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme a rassemblé près de 4 000 participants, en ligne et en présentiel. Parmi eux, seuls 2 % ont été identifiés comme issus des peuples autochtones. C’est peu par rapport aux 32% de participants issus du secteur privé. Souvent, les défenseurs des droits humains ou les communautés ont pris la parole au sujet de l’accès à la justice et aux recours. Logique : ce sont les personnes les plus touchées par les activités des entreprises. Cependant, cela met en évidence le manque de participation des communautés et des défenseurs des droits humains à toutes les autres étapes du processus de diligence raisonnable. Un panéliste a d’ailleurs souligné que les communautés sont rarement sollicitées sur la politique des entreprises en matière d’engagement communautaire ou sur les politiques relatives aux défenseurs des droits humains.
  • Le déficit d’écoute des communautés est encore plus flagrant dans le contexte plus large de l’atténuation du changement climatique. L’un des membres du panel sur les « Practical Approaches to Rights-Based Climate Action for Business Enterprises », s’exprimant au nom des pays insulaires du Pacifique, a ainsi conclu en exhortant les pays du Nord à consommer moins, « car cela est déjà en train de changer le monde tel que nous le connaissons ».
  • Les entreprises doivent aussi adapter leurs processus de diligence raisonnable aux contextes géographiques et culturels. En témoigne l’exemple de la région MENA où les entreprises (en particulier des PME) exercent dans des zones touchées par des conflits.

4. Se préparer aux réglementations, attendues mais déroutantes pour les entreprises

  • La prolifération des réglementations européennes en matière de droits humains et d’environnement, en particulier la future directive européenne sur la durabilité des entreprises (CS3D) et les législations sur l’esclavage moderne, suscite des débats dans différents pays. Dans quelle mesure le champ d’application doit-il inclure les entreprises qui ont un impact négatif sur les droits humains ? La CS3D aura-t-elle des obligations extraterritoriales pour les entreprises américaines ? (la réponse est oui, pour certaines). Quels sont les pays qui disposent de recours juridiques efficaces pour créer une loi efficace ?, etc.
  • Le Forum a également démontré qu’il faut prendre du recul pour comprendre l’impact global de la future CS3D, principal instrument de lutte contre les violations des droits humains et les effets négatifs des entreprises sur l’environnement. Que penser d’une loi élaborée par les pays de l’UE, alors que la plupart des impacts se produisent dans le Sud ? Prend-elle en compte l’impact sur les PME qui sont aux deux extrémités de la chaîne de valeur ? Ces questions ouvrent la voie à un traité des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, toujours en cours de négociation.
  • La multiplication des lois, certaines portant sur les obligations de diligence raisonnable, d’autres sur les obligations de reporting, soulève la question des obligations de reporting des pays tiers qui font affaire avec des entreprises de l’UE. Les attentes croissantes de la finance en matière de normes a aussi été un sujet brûlant lors du Forum. Cette pression financière ajoute une couche supplémentaire d’obligations qui doivent être traduites dans la gestion opérationnelle des entreprises

5. Le mot de l’année : le partenariat

Co-création, co-conception, co-propriété, co-construction des processus de diligence raisonnable : la nécessité d’un plus grand nombre de partenariats a presque été évoquée dans toutes les tables rondes.  Voici quatre angles opérationnels à destination des entreprises :

  • Approche territoriale. Lorsqu’une entreprise travaille avec des communautés, elle doit explorer des approches territoriales qui tiennent compte des spécificités du contexte local. Les communautés affectées et les populations autochtones sont en première ligne de l’impact des activités des entreprises sur l’environnement. Ces dernières doivent comprendre le territoire et s’engager davantage auprès d’elles.
  • Approche fondée sur la chaine de valeur. Lorsqu’elle travaille sur le devoir de diligence en matière de droits humains, une entreprise doit examiner la chaîne de valeur et réfléchir au rôle et à la responsabilité des parties prenantes pour coordonner leurs actions.
  • Approche sectorielle. Lorsqu’une entreprise travaille avec des PME en tant qu’acheteur, elle a intérêt à adopter une approche sectorielle. Par exemple, aborder la question du salaire décent dans l’industrie textile n’est pas la même chose que dans le secteur agricole. Toutefois, les entreprises peuvent adopter un type spécifique de remédiation par secteur ou par catégorie d’achat. 
  • Des règles du jeu équitables et harmonisées. La question de la réglementation nationale porte sur l’harmonisation d’un ensemble de normes, de règles et de lois afin d’éviter les dissonances et de veiller à ce que tout le monde joue selon les mêmes règles. Le chemin législatif est encore long et compliqué mais c’est sans doute un horizon indispensable.

Conclusion

Le 12ème Forum des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme a démontré la nécessité d’adapter les normes et les outils aux différents acteurs. Alors que les multinationales sont plus matures dans leurs processus de diligence raisonnable en matière de droits humains, les PME, qui représentent la majorité des entreprises dans le monde, pourraient souffrir du poids d’un nombre croissant d’obligations. Quoi qu’il en soit, face à la prolifération des standards et des normes, la simplification est la solution pour impliquer les entreprises de toutes tailles et permettre un réel changement – la coopération devrait ouvrir la voie.

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Séphora est une consultante senior qui contribue aux activités de conseil et de plaidoyer de Ksapa. Elle travaille principalement sur les droits humains, le changement climatique et les questions de durabilité, ainsi que sur l'analyse et le suivi de la réglementation européenne et internationale.

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