Sapin 2 et Devoir de Vigilance : 6 principes pour mettre en place un mécanisme de plaintes pertinent

Sapin 2 et Devoir de Vigilance : 6 principes pour mettre en place un mécanisme de plaintes pertinent

Cet article a été initialement publié sur E-RSE, la plateforme de l’engagement RSE et développement durable.

Les nouvelles lois mises en place en matière de lutte contre la corruption, Sapin 2 et devoir de vigilance sur les chaînes d’approvisionnement, invitent les entreprises à se doter de mécanismes de plainte. Une manière de permettre à tout un chacun de signaler des problèmes et les adresser tout en améliorant le système mis en place pour réduire les risques identifiés. 

« Un sujet a priori aride, et pourtant aussi fascinant que décisif pour piloter la réduction des risques et la crédibilité d’une démarche éthique & compliance »

Les mécanismes de plainte dans les dispositifs d’éthique et de compliance : un outil d’amélioration continue et de crédibilité

Les entreprises éligibles à Sapin 2 et au devoir de vigilance sur les chaînes d’approvisionnement doivent démontrer leur conformité réglementaires – cartographie de risques et mise en place de moyens permettant de réduire l’occurrence des risques. La liste des sujets est large : corruption, atteintes aux droits fondamentaux et aux droits humains, environnement. Le périmètre d’application, pour les entreprises éligibles, est complexe couvrant : l’entreprise et ses filiales, mais aussi sa chaîne d’approvisionnement.

Outre les questions de conformité, les entreprises ont souvent également déployé des chartes, principes et valeurs, qu’elles ont déployé auprès de leurs salariés et partenaires commerciaux. Ces engagements sont souvent signés et intégrés dans les contrats. Ils peuvent étendre les domaines éthiques sur lesquels les décisions et pratiques dans l’entreprise et dans sa chaîne d’approvisionnement peuvent être questionnées. La jurisprudence, par exemple dans le cadre du procès Erika, a montré déjà comment des engagements éthiques allant au-delà de la conformité réglementaire pouvait être opposable à l’entreprise en cas de manquement.

En réponse, le dispositif de mécanisme de plainte permet de vérifier l’application des engagements et de la conformité des pratiques au quotidien avec les exigences réglementaires. Un employé par exemple peut signaler une pratique qu’il estime douteuse via un canal sécurisé, pour donner lieu à une enquête interne. Ce dispositif est un outil d’amélioration continue et de crédibilité :

  • Amélioration continue : les cas reportés permettent de vérifier la pertinence de la cartographie de risques, voire de l’enrichir selon la réalité des cas reportés au travers des activités opérationnelle. Le traitement des cas permet aussi de tester la pertinence des moyens déployés initialement pour réduire des risques, et les améliorer : politiques, formations, communications interne par exemple
  • Crédibilité : les salariés et parties prenantes concernées par l’application des lois Sapin 2, du devoir de vigilance et des chartes déployés peuvent actionner un mécanisme et voir des cas étudiés en cas de manquement. Loin d’une simple démarche de posture communicante, ces mécanismes permettent de rassurer chacun et renforcer son adhésion dans le collectif, avec le sentiment que des valeurs et un professionnalisme s’exerce au quotidien autour de lui

Les mécanismes de plainte : une réalité protéiforme

Pour autant, compte tenu de la diversité des sujets et des périmètres d’application, il n’y a pas de remède miracle permettant de se reposer sur un seul mécanisme couvrant l’ensemble des besoins. Aujourd’hui les entreprises se reposent principalement sur trois types de familles de mécanismes de plainte :

  • Des canaux formels : ligne téléphonique pour collecter des plaintes de clients, espace Intranet dédié permettant aux salariés de reporter des difficultés, des officiers de liaison patrouillant auprès de populations riveraines de sites et disponibles pour collecter des plaintes…
  • Des canaux plus informels : des discussions informels, des médias sociaux comme par exemple un compte Twitter anonyme utilisé par un lancer d’alerte
  • Des informations fournies par des parties tierces à la direction d’entreprise : activités d’organisations syndicales, rapports d’ONG, articles dans des journaux…

Le point commun de l’ensemble de ces dispositifs, c’est qu’ils sont autant de capteurs collectant des dysfonctionnements potentiels entre des principes et des attentes réglementaires et des écarts avec des pratiques observées sur le terrain. Toutefois, ce n’est pas parce que des dysfonctionnements sont reportés qu’ils sont forcément vrais. Le processus d’enquête est forcément sensible, tant pour protéger celui qui utilise un canal pour reporter un dysfonctionnement que pour mener une enquête sereine et tirer des enseignements pertinents.

Enfin, de nombreux acteurs se plaignent du faible taux d’utilisation des mécanismes qu’ils ont déployé. Cela amène à des questions essentielles quant à la pertinence des canaux en place. Le mécanisme de plainte est peu utilisé car il y a finalement peu de problèmes ? Parce que les personnes qui pourraient utiliser le système ne le connaissent pas ? N’ont pas confiance ? Ne savent pas identifier des pratiques anormales et donc ne voit pas le besoin de reporter des dysfonctionnements ?

Des mécanismes de plainte à adapter selon les objets, les populations ciblées et les contextes pour en améliorer la pertinence et l’utilité

Quoi de commun entre des questions de corruption dans des décisions d’achat, des problèmes de harcèlement sexuel entre des employés d’un sous-traitant et des riverains, un utilisateur qui se sent discriminé par l’algorithme intégré dans un service fourni par l’entreprise ? Pas grand-chose. A chaque fois, on doit mettre en place un mécanisme de plainte pertinent pour collecter des dysfonctionnements s’opérant dans des réalités différentes :

  • L’objet est à chaque fois différent : des pratiques dans des fonctions achats dans l’entreprise, des pratiques observées par des riverains et opérées dans le cadre des activités d’un sous-traitant, ou un client utilisant un service
  • Les populations concernées par un dysfonctionnement sont différentes et n’ont pas les mêmes attentes et relations vis-à-vis de l’entreprise : un salarié, une riveraine d’un site industriel, un client utilisant les services de l’entreprise
  • Les contextes ne sont pas forcément les mêmes. Par exemple on peut imaginer une fonction achat opérant depuis Hong-Kong avec des sous-traitants Chinois, un sous-traitant travaillant sur un chantier au Sénégal, un adolescent quelque part en France.

Le mécanisme de plainte à déployer doit être protéiforme et répondre à cette diversité d’objets, de populations et de contextes. On peut toutefois identifier 6 principes autour desquels améliorer, étape par étape, la pertinence des mécanismes déjà déployés :

  1. Accessibilité des mécanismes. Parfois, des mécanismes ne sont tout simplement pas accessibles pour que les personnes concernées puissent les utiliser. Par exemple, l’entreprise communique auprès de fournisseurs présents sur un site pour qu’il utilise un site Intranet pour reporter des dysfonctionnements. Pour de multiples raisons – les employés du sous-traitant changent très souvent par exemple sur le site : ils n’ont pas accès à l’Intranet et ne peuvent pas activer le mécanisme lorsqu’ils en ont besoin !
  2. Transparence sur les processus de traitement. L’utilisateur doit être informé et formé sur ces droits de manière à savoir quand repérer, à son niveau, des dysfonctionnements. Il doit savoir comment activer le mécanisme, quelle confidentialité espérer et comment son information sera traitée. Par exemple, s’il veut dénoncer une pratique opérée par son supérieur hiérarchique, il doit être rassuré quant à la manière dont sa requête va être traitée pour ne pas se mettre en danger vis-à-vis de son emploi et de ses perspectives de carrière dans l’organisation. La communication interne joue un rôle essentiel pour rassurer, informer et encourager l’utilisation
  3. Légitimité et confiance dans les acteurs collectant l’information. J’ai travaillé sur des cas de pollution industrielle en Inde. Les sites concernaient se reposaient sur la clinique locale, qui recevait les personnes malades, pour identifier les cas qui pouvaient être associés à des pollutions de leur responsabilité. Dans le contexte indien, la défiance des communautés locales vis-à-vis du personnel de santé est très forte, pour de nombreuses raisons historiques et contextuelles. Suivant la population considérée et le contexte dans lequel collecter l’information, il y a là une erreur de jugement dans laquelle les riverains n’estiment pas que le personnel de santé soit globalement légitime et inspirant confiance pour reporter des dysfonctionnements. Dans un tel contexte, il faut explorer d’autres espaces, par exemple les écoles dont le personnel inspire globalement davantage confiance pour les mêmes populations…
  4. Traitement équitable des utilisateurs du mécanisme. Il faut étudier précisément les populations ciblées par un mécanisme de plainte, selon les sujets sur lesquels collecter de l’information. Par exemple, des populations féminines pourront éprouver des difficultés à reporter des cas de harcèlement sexuel si elles doivent se reposer principalement sur des populations masculines auprès desquelles reporter les cas. On le voit avec de nombreux cas de femmes qui se plaignent de la manière dont le personnel de police en France peut traiter des cas de viol également, à minimiser et reporter la responsabilité sur les victimes !
  5. Protection du lanceur d’alerte. On n’insiste jamais assez sur ce point : une personne qui dénonce un dysfonctionnement prend un risque, parfois mettant clairement en péril sa propre vie. La question de la protection est essentielle, tout autant que la capacité à continuer à évaluer de manière sereine sa performance et son évolution dans l’entreprise.
  6. Retour d’expérience et amélioration continue collective. L’analyse d’un dysfonctionnement doit faire l’objet d’une étude conjointe entre plusieurs services. Surtout, chaque cas est une occasion unique de tirer des enseignements sur ce qui fonctionne ou pas afin de renforcer tout aspect du système de management : procédure, formation, rôles et responsabilités par exemple. Tout autant que la collecte et le traitement effectif d’une plainte, le mécanisme tient son intérêt dans sa capacité à nourrir les processus d’amélioration continue

Ainsi, un sujet comme le mécanisme de plaintes peut sembler de prime abord franchement aride et réduit à un numéro de téléphone communiqué pour cocher une case. Bien au contraire, c’est un outil essentiel démontrant le sérieux et la pertinence des ressources déployées par une entreprise pour s’assurer de la mise en application de ses engagements tout autant que la mise en conformité réglementaire des pratiques opérées au travers de ses activités. En application des lois Sapin 2 et de devoir de vigilance, le matériel collecté via les mécanismes de plainte tout autant que le retour d’expérience qui aura permis le renforcement proactif des systèmes de managements déployés afin de réduire des risques en matière de corruption, droits humains ou environnementaux va devenir essentiel.

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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

3 Commentaires sur “Sapin 2 et Devoir de Vigilance : 6 principes pour mettre en place un mécanisme de plaintes pertinent

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