Entreprises : Êtes-vous prêtes pour la CS3D ?

L’Union européenne renforcera bientôt la responsabilité des entreprises en matière de respect des droits humains et de l’environnement par le biais d’une nouvelle directive contraignante. On peut l’affirmer avec quasi-certitude. Néanmoins, des inconnues subsistent concernant les obligations qui seront définies dans cette nouvelle directive. Les amendements techniques mais aussi politiques apportés au projet par la Commission européenne, le Conseil de l’UE et le Parlement européen expliquent aisément cette confusion. D’ailleurs, les trois institutions débattent actuellement dans le cadre du processus de trilogue pour parvenir à un consensus sur la CS3D. Dans ce billet de blog, Ksapa clarifie ce qui est certain et ce qui fait encore l’objet de débats afin d’aider les entreprises à se préparer à la CS3D.

Ce qui est certain

Pour être prêtes pour la CS3D, les entreprises doivent déjà adapter leurs politiques et leurs processus afin d’anticiper les principales attentes de la CS3D.

  1. La CS3D sera adoptée. Compte tenu du large soutien public et de la Déclaration commune des priorités législatives de 2022 du Parlement européen, du Conseil de l’UE et de la Commission, il existe un consensus sur l’adoption de la directive, probablement en 2024. Une fois formellement adoptée, la directive sera transposée en droit national par les États membres de l’UE dans un délai de deux ans, à l’horizon 2026.
  2. Les entreprises seront tenues de faire preuve d’un devoir de vigilance en matière de droits humains et d’environnement. À cet égard, les entreprises devront améliorer leurs pratiques de gouvernance afin de mieux intégrer les processus de gestion et d’atténuation des risques liés aux droits humains et à l’environnement dans leur stratégie. Il s’agira principalement d’établir des politiques et de mettre en œuvre des processus d’identification, de prévention et d’atténuation de ces incidences.
  3. Le champ d’application inclura les droits humains et les impacts environnementaux. La version finale de la CS3D exigera des entreprises qu’elles fassent preuve d’un devoir de vigilance en ce qui concerne leurs incidences sur les droits humains et l’environnement. Ce champ d’application, bien qu’il ne soit pas encore clairement défini, sera basé sur des normes reconnues en matière de droits humains et d’environnement (accords et conventions internationaux, règlements de l’UE). Il est donc probable que la CS3D attende des processus de devoir de vigilance et des plans d’action qu’ils tiennent compte à la fois des droits humains et de l’environnement.  
  4. Le champ d’application couvrira les activités propres des entreprises, mais aussi celles de leur chaîne d’approvisionnement. Les trois propositions s’accordent sur la nécessité pour les entreprises d’exercer un devoir de vigilance sur leurs propres activités et celles de leurs filiales. S’il subsiste une incertitude quant à la portée de leurs obligations en ce qui concerne leurs relations d’affaires (chaîne d’approvisionnement uniquement, chaîne de valeur complète, chaîne de valeur limitée, etc.), il est clair que les obligations iront au-delà de leurs propres activités et opérations et qu’elles devront anticiper – dans une certaine mesure – des processus incluant leurs partenaires.
  5. Les parties prenantes devront être mieux impliquées. Les entreprises devront associer les parties prenantes à la conception et à la mise en œuvre de leurs processus de devoir de vigilance en matière de droits humains et d’environnement. Par exemple, elles devront définir et mettre en œuvre un engagement à long terme de celles-ci dans le cadre de leur devoir de vigilance.
  6. Les entreprises devront améliorer l’accès aux recours. La CS3D inclura l’accès à des voies de recours pour les personnes affectées par les effets négatifs du comportement des entreprises sur les droits humains et l’environnement. Pour ce faire, elles devront renforcer leurs politiques, mécanismes et procédures d’escalade en matière de plaintes et de non-représailles.
  7. Les entreprises qui ne s’y conforment pas seront soumises à des mesures d’exécution. La CS3D confirmera la mise en place d’une responsabilité civile des entreprises pour les dommages résultant d’un manquement aux obligations de devoir de vigilance. Elle renforcera également la surveillance des pratiques des entreprises, les États membres étant susceptibles de désigner des autorités de contrôle nationales chargées de déterminer et d’appliquer les sanctions. Une amende basée sur le chiffre d’affaires de l’entreprise sera prévue.

Ce qui est encore en discussion

Pour être prêtes pour la CS3D, les entreprises doivent également anticiper les questions qui sont au cœur des discussions du trilogue. Les débats houleux sur ces points démontrent leur importance stratégique et façonnent l’avenir du devoir de vigilance pour les entreprises.

  1. Le degré d’alignement sur les normes internationales. L’un des principaux est l’alignement de la future CS3D sur les normes internationales reconnues en matière de diligence raisonnable, à savoir les principes directeurs des Nations unies et les lignes directrices de l’OCDE, étant donné qu’une plus grande divergence obligerait les entreprises à identifier les différences et à anticiper les nouvelles exigences de la CS3D.
  2. Le type d’incidences négatives sur les droits humains et l’environnement. Ce point concerne l’étendue des impacts qui devraient être identifiés dans le cadre du devoir de vigilance, et les incidences négatives prioritaires. Pour l’instant, les propositions renvoient à une liste d’incidences négatives sur les droits humains et l’environnement figurant dans une annexe à la CS3D, mais de nombreux acteurs demandent des éclaircissements supplémentaires.
  3. L’inclusion du secteur financier. Le trilogue en cours est essentiel pour clarifier l’inclusion ou non des services financiers dans le champ d’application de la CS3D et la nature de leurs obligations. Jusqu’à présent, les trois positions proposent des exemptions différentes pour les institutions financières.
  4. L’inclusion des obligations des administrateurs. L’incertitude règne quant à l’inclusion du devoir de vigilance des administrateurs pour mettre en place et superviser les actions liées au devoir de vigilance, et quant à la manière dont ces devoirs devraient être définis. En clair, les administrateurs doivent-ils tenir compte des conséquences de leurs décisions sur la durabilité à court, moyen et long terme ?
  5. Le degré d’interaction de la future CS3D avec la législation existante des États membres. Certains, comme la France et l’Allemagne, ont été accusés de « miner » la portée des obligations de diligence raisonnable de la CS3D, car elles pourraient s’avérer plus strictes. Les dispositions de la CS3D prévalant sur les réglementations nationales préexistantes, les entreprises devront se conformer à ces réglementations nationales, tout en anticipant les obligations de la CS3D.
  6. L’alignement sur d’autres réglementations européennes en matière de durabilité. Il y a, par exemple, la question de l’alignement entre le champ d’application des nouvelles exigences européennes en matière de rapports sur le développement durable (CSRD) et ses normes (les ESRS), avec le champ d’application encore flou des obligations de devoir de vigilance en matière de droits humains et d’environnement dans le cadre de la CS3D. La double matérialité et l’évaluation de son impact exigent des efforts raisonnables pour fonder l’évaluation sur la diligence raisonnable. Se préparer à la CS3D en faisant preuve d’un solide devoir de vigilance en matière d’environnement et de droits humains permettra au moins de travailler correctement sur la double matérialité.

Conclusion

Avec la CS3D, les obligations des entreprises en matière de droits humains et de respect de l’environnement se renforcent. Les anticiper est donc essentiel. Les entreprises doivent d’ores et déjà se pencher sur les points les plus controversées, car ils mettent en lumière les questions stratégiques et les attentes futures. Les obligations liées au devoir de vigilance en matière de droits humains et d’environnement seront certainement imposées par d’autres réglementations, telles que la SFDR ou la taxonomie verte pour le secteur financier. Mais aussi par les attentes des partenaires commerciaux. Exemples : votre plus gros client, entrant dans le champ d’application de la CS3D, vous demandera de vous conformer aux attentes en matière de salaire décent ; votre investisseur veillera à ce que votre projet soit conforme à l’objectif du principe DNSH ; et votre client final pourrait vous poursuivre pour écoblanchiment. Autant de complications qui pourraient être évitées en se conformant dès maintenant à la CS3D. 

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Séphora est une consultante senior qui contribue aux activités de conseil et de plaidoyer de Ksapa. Elle travaille principalement sur les droits humains, le changement climatique et les questions de durabilité, ainsi que sur l'analyse et le suivi de la réglementation européenne et internationale.

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