La RSE « Made In France » : atout ou frein à la compétitivité des entreprises ?

La RSE « Made In France » : atout ou frein à la compétitivité des entreprises?

Cet article mis à jour a été initialement publié sur Le Cercle Les Echos ici

Existe-t-il un modèle français de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE) ? Quelles sont ses forces, ses faiblesses, ses pratiques les plus inspirantes ? Est-il innovant et audacieux ? Trop normatif ? Comment est-il vécu par les entreprises françaises et étrangères ayant des intérêts en France ? Plusieurs pistes de réflexion.

Des discussions tenues en France et visant à légiférer sur des sujets RSE concrets ont généré de nombreuses questions et montrent un débat d’un grand dynamisme.

Des exemples d’initiatives RSE françaises qui modèlent les pratiques internationales

Certains sujets peuvent s’afficher comme des succès français, dans l’air du temps, et inspirant les pratiques qui se développent dans d’autres pays. Quelques exemples:

– L’article 173 de la loi sur la transition énergétique qui impose aux investisseurs institutionnels la publication d’informations environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) dans leurs opérations depuis 2015. Une innovation mondiale puisque cette initiative est réellement pionnière dans l’inscription de la loi à imposer aux investisseurs institutionnels la communication sur leur gestion du risque climat et la part de leur portefeuille exposé à l’aléa carbone. Thématique portée par la France, la question de la responsabilité fiduciaire des investisseurs devient désormais une thématique forte portée par les UNPRI – Principles for Responsible Investments qui rassemblent des signataires qui représentent 70 trillions de dollars. Indéniablement, la réflexion RSE à la française a fait avancer le débat international sur le rôle de la finance sur ces questions.

– Les indicateurs portés en matière de reporting extra-financier du Grenelle 2, forçant les entreprises à se poser différentes questions sur notamment leur compréhension de leurs contribution et résilience climatique, ou bien la prise en charge des questions de genre. J’ai vu des entreprises japonaises s’inspirer de ces indicateurs, qui ont dont eu une portée mondiale indéniable sur les questions de reporting extra-financier.

– La Loi sur le Devoir de Vigilance imposant à différentes entreprises et à leurs filiales de cartographier les risques environnementaux, droits de l’Homme et sécurité qu’elles font porter sur leurs supply chains. Bien que longtemps débattue, cette loi est désormais discutée au niveau européen. Différents pays européens étudient des dispositifs similaires amenées à être votés et appliqués d’ici 2025. A noter enfin que la principale spécificité de cette loi, avec les limites opérationnelles associées d’ailleurs de cette loi, est d’offrir un cadre thématique large là où différentes lois définies dans d’autres juridictions se focalisent sur des sujets aux contours plus précis: California Human Trafficking Act (trafic humain), UK Modern Slavery Act (esclavage moderne) par exemple.

– Le renforcement de lois relatives aux questions d’égalité Homme Femme – rémunération, représentation dans les organes de direction et de conseils d’administration et de surveillance par exemple. Bien qu’il reste un énorme travail à accomplir, la France est non seulement dans le peloton de tête des pays sur ces questions. La France est aussi l’un des pays les plus intéressants du fait de la taille de sa population et de son hétérogénéité qui en font un cas d’inspiration nettement plus pertinent pour nombre d’économies par rapport à des pays homogènes de 5 millions d’habitants comme le Danemark, ou des pays qui bénéficient d’une manne pétrolière inespérée pour alimenter les politiques publiques comme la Norvège. A noter enfin qu’on observe une moins mauvaise inégalité de salaires entre femmes et hommes en France qu’en Islande…

Sur d’autres sujets, la France n’est pas pionnière mais a pris des initiatives qui l’engage de plain pied dans le débat international de la RSE. Par exemple.

– La taxe carbone, qui a créé pour la troisième fois en 10 ans un mouvement de contestation d’ampleur au travers des Gilets Jaunes, jugée pour la troisième fois par les Français comme non équitable et taxant avant tout les catégories les plus dépendantes de leur voiture dans leur quotidien. Le retentissement international des déboires de cette taxe carbone sont majeurs, dans un contexte où environ 50 juridictions fiscales ont déployé déjà leur propre taxe carbone dans ses modalités. L’échec français a remis au centre des discussions à la COP 24 fin 2018 la question de « la transition juste ». L’échec français a imposé dans l’agenda international l’urgence de connecter les questions d’inclusion sociale avec l’impératif de transition énergétique et de décarbonisation des économies.

– L’initiative d’affichage environnemental sur les produits de grande consommation, qui peine à s’imposer aux yeux des consommateurs par rapport à des initiatives privées offrant des applications digitales de type Yuca ou Open Food Facts. La difficulté à imposer une transparence du législateur, sous pression de lobbies industriels dans un contexte dans lequel se banalisent les applications collectant des données disponibles rebat les cartes du rôle de l’Etat dans certains sujets comme l’information du consommateur. L’occasion de porter son attention sur d’autres sujets, tout en exerçant évidemment une vigilance de répression des fraudes et vérification de véracité des informations portées par des acteurs privés.

– La Loi Pacte a suscité beaucoup d’intérêt, notamment en proposant la possibilité d’encourager la transformation responsable des entreprises via des mesures tournant autour des questions d’objet social, d’épargne salariale, de statut d’entreprises à mission, de renforcement des salariés dans les conseils d’administration, de meilleure transparence des écarts salariaux par exemple. Pour autant, cela n’a rien de révolutionnaire – l’ensemble est proposé mais pas imposé. Cela n’est globalement pas très novateur – Etats-Unis, Italie, Royaume Uni offrent un cadre d’entreprise à mission depuis des années. Et les crispations de différentes parties prenantes – par exemple les craintes des représentants patronaux d’accueillir des salariés dans des conseils d’administration malgré les nombreux exemples allemands positifs en la matière depuis les années 1950 – montrent que les mentalités ne sont pas encore totalement en phase avec les réalités contextuelles évidentes qui se dessinent à l’aube de 2020…

À l’évidence, il existe en France un débat, une vitalité, une qualité de réflexion qui détonnent avec la morosité ambiante dont nombre d’acteurs français n’ont pas forcément conscience au quotidien.

La RSE: Avant tout une dynamique européenne sous influence mondialisée

Mais la RSE reste avant tout une démarche tournée vers les entreprises. Les entreprises sont de plain-pied dans la mondialisation. Des chercheurs comme Walter W. Powell et Paul J. Di Maggio analysaient, il y a déjà plus de trente ans, le phénomène de convergence de comportements (isomorphisme institutionnel) entre des organisations appartenant à un même champ. Dans un contexte de mondialisation, cela veut dire qu’avant de faire de la RSE « à la française », les pratiques des entreprises françaises en matière de RSE tendent à converger selon des standards et des attentes internationales structurées autour de pressions de différentes natures :

– Pression réglementaire européenne et internationale : le droit européen façonne progressivement des pratiques similaires partout en Europe. REACH est un bon exemple. Certaines lois impactent l’ensemble de la chaîne de sous-traitance et façonnent ainsi les pratiques de par le monde. Le « Bribery Act » au Royaume-Uni (anti-corruption) ou leDodd-Franck Act américain (traçabilité des minéraux issus de la région des Grands Lacs en Afrique) sont de bons exemples également.

– Pression des parties prenantes : les exigences des agences de notations (Dow Jones Sustainability Index), et les initiatives bénéficiant d’une très forte capacité d’influence (Carbon Disclosure Project par exemple) permettent aussi de définir des comportements similaires de par le monde. Là encore, l’influence et le rôle joué par des agences de rating internationales et surtout américaines est prépondérant, sinon la clé de voûte de l’ensemble du système.

– Enfin, les efforts multipartites de standardisation des procédures définissent également des pratiques communes. Le GHG protocole et la Global Reporting Initiativestandardisent ainsi les indicateurs de reporting, l’ISO 26000 permet de s’accorder sur des définitions, les dédiés aux entreprises en matière de respect des droits de l’Homme organisent des attentes partagées sur ces questions.

Sur cette base-là, Robin Degron, dans son livre « La France, bonne élève du développement durable ? » positionne la France comme un élève moyen au bilan contrasté, dont la performance reste principalement due à ses engagements européens.

La RSE peut s’ancrer dans l’opérationnel lorsqu’elle est métissée – pas vraiment française et pas vraiment internationale pour autant

En fait, c’est bien grâce à une approche métissée que la RSE à la française se revigore. Issue d’un « terreau », elle s’ancre dans des cultures managériales locales, condition sine qua none de son appropriation par les décideurs français.

Par exemple, il y a une assez forte culture de la gestion par la qualité et les processus dans les approches de la RSE. Cela s’explique en partie par le profil de différents responsables RSE, et un fort intérêt pour l’ISO 26000, qui n’est pas forcément partagé partout à l’international de manière évidente…

Reste alors quatre éléments inquiétants à traiter d’urgence :

– Si la RSE « à la française » aime bien mettre l’accent sur des approches normatives internationales, il est alors urgent d’investir bien plus largement l’espace international portant sur ces questions. Le récent montre l’insuffisance de la voix de la France dans les négociations internationales traitant des questions de normalisation.

– Si les acteurs économiques en France en sont encore à trop se questionner sur la valeur ajoutée d’une démarche RSE, comme j’ai pu encore l’entendre largement lors d’un récent colloque, alors il est peut-être urgent de regarder ce qu’il se fait notamment au Japon avec l’exemple ou de nombreuses grandes entreprises japonaises, où il est courant de trouver de l’information permettant de faire le lien entre la performance RSE d’un produit et le bénéfice client espéré s’y associant. Les Allemands font de même en essayant de renforcer le concept du « made in Germany », perçu comme un gage de qualité à l’export, avec une plus forte teinte RSE à l’avenir.

– Enfin, si les questions portées par la RSE traitant de la manière dont l’entreprise contribue activement aux enjeux sociaux, environnementaux et sociétaux de nos sociétés, alors le prisme normatif et certificateur est très insuffisant. Ce n’est pas en faisant œuvre de progrès continu que l’on apporte les solutions disruptives dont nos sociétés ont besoin. Si la RSE à la française offre probablement dans l’ensemble une performance moyenne des entreprises meilleure qu’aux Etats-Unis par exemple, c’est bien aux Etats-Unis aujourd’hui que l’on trouve les dirigeants les plus visionnaires, les business models et les innovations les plus transformatrices. Bref, la RSE à la française doit impérativement se renforcer d’une dimension entrepreneurial et innovante forte pour transformer les produits, les entreprises à la vitesse et à l’échelle imposées par les enjeux environnementaux et sociaux auquels elles doivent faire face.

Face à la crise et les difficultés des entreprises françaises actuellement, la RSE « made in France » fait partie des solutions pour sortir par le haut. Les Japonais dont l’économie est en difficulté depuis tant d’années investissent dans la RSE. Les Allemands pensent que la RSE est un levier de maintien de compétitivité à l’export de leurs produits.

Pourquoi pas les entreprises françaises ? Peut-être parce que la qualité du dialogue entre les pouvoirs publics et les entreprises est globalement meilleure en Allemagne et au Japon qu’en France ? On peut toujours dire que l’herbe est plus verte dans le pré du voisin…

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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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