Ksapa participe à une série de discussions menées par Sitra, un fonds finlandais pour l’innovation et soutenu par ses partenaires parmi les gouvernements finlandais, néerlandais et canadien. Leur but ? Amplifier l’économie circulaire qui entreprend actuellement de profondes mutations sous l’effet des crises générées par la Covid-19. Morceaux choisis.
La Covid-19 a fait exploser la production et l’utilisation du jetable à usage unique en quelques mois
Nous traversons une période controversée sur la question de la gestion des déchets. Ces dernières années, de nombreuses organisations ont pris des engagements sur la question de l’économie circulaire mais la première vague de la COVID-19 a limité ces efforts. La vente mondiale de masques est passée de 800 millions de dollars en 2019 à 166 milliards en 2020. Les restrictions sociales et sanitaires ont également fait explosé le développement du e-commerce et des emballages plastiques à usage unique.
Ksapa a participé au mois d’octobre au WCEF (World Circular Economy Forum), une plateforme inter-parties prenantes internationale, faisant intervenir des individus issus du secteur public comme privé et engagés sur la question de l’économie circulaire.
Pour de nombreuses entreprises, le coronavirus a mis en lumière des limites dans leurs modèles économiques ainsi que de nouvelles opportunités de développement pour plus de résilience. Dans l’industrie de la fast-fashion et du textile, la fermeture des centres de fabrication en Chine et en Asie du Sud a pénalisé certaines marques internationales dans leur approvisionnement. Le secteur touristique et de l’économie créative ont été également sévèrement impactés par la fermeture des frontières. Au Royaume-Uni, les chercheurs d’Oxford Economics estiment que quelques 350 000 postes pourraient être supprimés dans le secteur culturel à lui seul. Comparativement, les entreprises ayant intégré un modèle circulaire dans l’utilisation de leurs ressources ont été moins impactés par la pandémie.
Des leviers politiques peu adaptés
Des leviers déconnectés des réalités et spécificités territoriales
Si les initiatives régionales sur l’économie circulaire démontrent un engagement par le secteur public, les résultats indiquent que les propositions sont déconnectées de la réalité territoriale.
Au début du mois de septembre 2020 par exemple, la Banque des Territoires et BPIFrance ont annoncé le lancement d’un plan Climat commun 2020/2024 de 40 milliards d’euros. Ce plan ambitieux au profit de projets de transition verte des entreprises et acteurs publics repose sur 3 volets:
- 19,9 milliards pour l’accélération de la transition écologique et énergétique (TEE) avec des solutions d’accompagnement e de financement,
- 14,5 milliards dans les financements dédiés aux ENR,
- 5,5 milliards pour aider à l’émergence de greentechs proposant des solutions technologiques de la TEE.
Ces dispositifs, bien qu’innovants et ambitieux, ne tiennent pas toujours compte de la réalité terrain. On observe souvent que dans la définition des priorités de travail, les parties prenantes ne sont pas assez impliquées.
La difficulté toutefois de l’identification et implication des parties prenantes pertinentes
Toute discussion ou conception d’initiatives de transition durable exige une vision systémique et donc d’ouvrir la réflexion au plus large spectre possible. Une solution unique de généralisation de l’économie circulaire n’est ni concevable ni souhaitable – particulièrement à l’heure où les parties prenantes font valoir leurs exigences avec plus de force et de spécificité. Pour exemple, l’urgence dictée par l’ampleur de la crise sanitaire et l’absence de stocks de matériel de protection a sabré une réflexion de fond sur l’expérience des usagers et, jusqu’à récemment, le développement de masques spécifiques aux populations sourdes et malentendantes, par exemple. A Paris, ils ne font pas l’objet de commandes en gros et de distribution spécifique, les individus doivent s’équiper à leurs (considérables) frais.
L’enjeu stratégique d’une économie circulaire au bénéfice des plus vulnérables
Cet exemple souligne combien l’impact socio-économique et sanitaire de la Covid-19 qui a prioritairement touché les populations déjà vulnérables et a accru des disparités préexistantes. Considérer les spécificités des parties prenantes et les diversités territoriales comme des opportunités est essentiel pour développer des modèles de croissance durables et inclusifs. En effet, alors que nous traversons une deuxième vague de la Covid-19, l’OCDE prévoie une chute de 7,6 % de la production économique mondiale en 2020. Le taux de chômage dans les pays de l’OCDE pourrait doubler par rapport aux seuils d’avant la pandémie et l’espoir est mince d’observer une reprise de l’emploi significative en 2021. Sur la base des enseignements de crises passées, on peut tabler sur le fait que la reprise sera comparativement plus lente dans les économies fragiles et que les revenus des populations les plus pauvres se rééquilibreront moins vites, signalant des inégalités endémiques et croissantes.
Dans ce scénario, encourager la récupération d’emballages en aluminium dans une logique d’économie circulaire n’a de sens que si la communauté responsable de la collecte s’est dotée d’une infrastructure de tri et a déjà identifié une filière de revalorisation. Cela tend à impliquer que ce type d’opération soit – au moins dans un premier temps – réservé à des territoires disposant du savoir-faire technologique et de la capacité d’investissement, où la population jouit également de revenus disponibles, ce qui n’est probablement pas le cas des grands foyers de contamination.
De la même manière, si le recyclage et réusage des masques de protection contre la Covid-19 est à l’étude, la proposition est en bute à de graves questions d’acceptabilité auprès du consommateur. Dans une région comparativement aisée, la population tendra à être plus âgée et sujette aux comorbidités liées à la Covid-19 : elle sera d’autant moins passible de rechercher le compromis entre leur santé personnelle et l’impact de leurs masques sur l’environnement et misera probablement sur des solutions de court terme, comme des réceptacles de collecte d’équipement usagés. Il y a pourtant fort à parier que ce sont précisément ces zones en capacité d’éprouver l’efficacité de ce type de propositions circulaires qu’il faut convaincre pour les déployer à la rapidité et l’échelle exigée par l’ampleur et la pérennité de la crise sanitaire actuelle.
Il est donc important de réfléchir à des solutions accessibles et adaptées à toutes les parties prenantes. Cela ne peut que se faire qu’en commençant par cartographier les besoins et opportunités correspondantes sur un territoire donné.
La mobilisation timide des acteurs financiers
Des acteurs financiers opportunistes qui s’adaptent aux tendances de fond
En plus des attentes du secteur public, l’évolution des leviers financiers démontre de plus en plus d’attentes sur les comportements extra-financiers des entreprises. Les investisseurs ont identifié les opportunités liées à l’économie circulaire. Alors que de tels fonds n’existaient pas en 2017, en mi-2020 dix fonds d’actions publics se concentrant partiellement ou entièrement sur la circularité ont été lancés par des leaders du secteur selon la fondation Ellen MacArthur, dont BlackRock, Crédit Suisse et Goldman Sachs. Ces 18 derniers mois, au moins 10 obligations de sociétés ont été émises pour financer l’économie circulaire avec l’aide de Barclays, BNP Paribas, HSBC, ING, Morgan Stanley et d’autres. Les investisseurs sont à la recherche d’acteurs actifs sur la question de la circularité, car c’est une preuve de résilience dans la durée. C’est également une source d’opportunités. Certaines industries font déjà face à des limites en approvisionnement de matières premières et réfléchissent à des solutions issues d’économie circulaire pour répondre à une demande croissante. L’extraction des métaux rares est de plus en plus difficile, entrainant la mise en place de modèles circulaires sur des périmètres plus rapprochés grâce à des systèmes de récupération. Le PET, qui passe par une crise d’acceptabilité de plus en plus accrue vis-à-vis du consommateur final, a une filière de recyclage forte mais les quantités sont encore insuffisantes pour être rentable. Des moyens doivent être investis dans ce secteur.
Des entreprises timides, qui manquent d’ambition sur la circularité de leurs modèles économiques
Si les leviers politiques et financiers vont graduellement dans le sens de l’économie circulaire, il y a encore une vraie timidité dans le secteur privé qui peine à l’intégrer dans son modèle économique. Pour certains acteurs, ce choix est quasi-volontaire. L’industrie du luxe propose des produits selon leur degré de rareté et passe d’une commodité à l’autre plutôt que de pérenniser un approvisionnement sur la durée. Pour d’autres, l’économie circulaire semble encore être un sujet trop lointain et couteux. Des projets autour de l’économie circulaire sont initiés, mais restent pilotes et peu rentables. La filière de recyclage du PET nécessite au départ une forte intensité capitalistique. De plus, les revenus issus de cette filière dépendent beaucoup du prix du pétrole. Lorsque celui-ci est bas, la matière vierge est moins chère que la matière recyclée, et les entreprises subissent alors l’effet ciseau pendant une période. Il faut effectivement récupérer suffisamment de volumes à recycler et avoir un cout du pétrole relativement élevé pour justifier d’une rentabilité. Seule la généralisation des process et leur démocratisation sur toute la chaîne de valeur permet des retombées positives de ce type de démarche.
L’économie circulaire comme outil de création de valeur
Pour les entreprises, l’investissement dans l’économie circulaire est à la fois une solution rentable, avec des retombées économiques positives mais c’est également, comme la crise liée au COVID-19 a pu le démontrer, un moyen de diminuer à la fois ses risques et son impact.
Des modèles actuels condamnés à se transformer rapidement – ce que la Covid-19 a démontré en quelques semaines
La crise actuelle a mis en en évidence la fragilité du modèle économique basé sur une logique linéaire. Ce modèle se définit ainsi : nous consommons des ressources naturelles (extraites) et de l’énergie pour fabriquer des produits qui deviendront un déchet. On observe depuis quelques années des faiblesses dans ce système, mises en exergue avec l’arrivée du COVID-19 depuis le début de l’année 2020.
La pandémie a démontré les limites de ce modèle traditionnel : la volatilité des prix, les risques liées à la chaîne d’approvisionnement, les pressions exercées sur les ressources naturelles. L’accumulation de ces risques potentiels engendre des incertitudes et décourage les investisseurs qui recherchent des solutions plus résilientes dans la durée. Les argumentaires économiques (pertes économiques, gaspillages structurels…) suffisent à justifier une remise en question des modes d’utilisation des matériaux et de l’énergie. Face à ces limites, le modèle circulaire, plus résilient, limite le gaspillage des ressources et l’impact environnemental, et ce en augmentant l’efficacité à tous les stades de l’économie des produits.
Quelques actions pertinentes sont déjà suffisantes pour voir un vrai impact sur la trésorerie. Certaines entreprises ont rencontré des difficultés économiques liées à la crise et ont pris la décision de revaloriser une source de revenus peu exploitée : les stocks de déchets industriels et produits invendus.
Des exemples bien analysés démontrent la puissance du concept d’économie circulaire pour accélérer les transformations et renouveler les leviers de compétitivité des entreprises
Une multinationale américaine spécialisée dans les biens de consommation a réduit ses coûts de 1,8 milliard d’euros en mettant en place une équipe spécifique responsable de trouver des solutions innovantes pour ses déchets industriels et invendus. Au Pays-Bas, certains hôpitaux ont travaillé avec un Groupe spécialisé dans l’équipement médical pour reconditionner localement leurs anciens scanners et tomodensimètres, qui aident à l’identification du COVID-19. Ceci leur a permis de réduire leurs dépenses et de drastiquement gagner en qualité de services. Le reconditionnement se faisant à Best (circuit-court), il a fallu 2 semaines au lieu de 6 pour récupérer ces produits qualitatifs. Pendant l’épidémie, l’état de Californie a fait face à une pénurie de ventilateurs médicaux fournissant de l’air aux poumons des patients dans le cadre d’insuffisance respiratoire. L’Etat a demandé à Bloom Energy, fabricant de piles à combustible, de remettre à neuf des centaines de ventilateurs usagés stockés.
Ayant souvent une valeur élevée, ces produits ne passent pas par des circuits de vente traditionnels et sont souvent incinérés ou enfouis. Si lors de la première vague, aucune filière n’a été mise en place pour la récupération et le recyclage des masques de protection, en France la deuxième vague plus organisée vu naître des réflexions sur une filière de revalorisation de ce polypropylène. L’utilisation de plateformes technologiques innovantes facilite la mise en relation avec des clients potentiels. Le sujet de faire du déchet une ressource n’est pas encore exploité. Il n’empêche que la crise a permis timidement à certains de faire un grand pas.
L’amélioration de la productivité des matières est critique pour les entreprises manufacturières en Union Européenne qui dépense presque la moitié de leur budget dans l’achat de matières premières. L’économie circulaire peut améliorer leur rentabilité et les protégeant de la fluctuation du prix des ressources.
Lors de l’événement en ligne du WCEF, le groupe SCG en Thaïlande a présenté comment le COVID a été l’opportunité pour le Groupe de prendre un temps de réflexion sur l’intégration de la circularité à leur modèle, notamment en décidant d’investir en R&D. L’industrie de la construction a des enjeux clés d’économie circulaire et est également une des industries les plus émettrices en carbone. Une des solutions en maturité est la mise en place d’une simulation détaillée des étapes de construction permettant de réduire la quantité de déchets de construction, réduisant à la fois les coûts du projet ainsi que son bilan carbone.
En 2015, selon la Commission Européenne, l’économie circulaire permettrait d’économiser 600 milliards d’euros pour les entreprises européennes, soit 8% de leur chiffre d’affaires annuel tout en réduisant le total annuel des émissions de gaz à effet de serre de 2 à 4 %.
Intégrer la circularité dans son modèle économique permet à une entreprise de limiter ses risques sur le court et long terme. La cartographie de la chaine de valeur indique souvent une répartition sur le globe, dans une logique de réduction de coûts et évitement de normes environnementales restrictives. Tous ces développements ont permis, par exemple, à un simple t-shirt en coton de voyager : avec une production de coton à Lubbock (USA) et un chargement des balles à Los Angeles, le filage se fait à Shanghai, les impressions à Miami, et la vente à New-York et en France. Il arrive ensuite usagé en Tanzanie et termine vendu sur un marché d’occasion à Nairobi. La crise a démontré qu’étendre sa chaîne d’approvisionnement, si elle peut « sembler » moins chère, rend la fourniture des matières plus instables car directement affectés par les crises mondiales. La fermeture des sites en Chine ainsi que les restrictions commerciales, ont créé des pénuries dans le monde entier.
Une corrélation souvent possible entre augmentation de circularité et décarbonation des activités
Plus de 100 milliards de tonnes de matières premières sont prélevées chaque année pour répondre aux différents besoins. Il faut créer des chaînes de valeur plus résilientes, plus courtes et mieux distribuées, captant plus de matières et composants recyclés.
Ces différentes réflexions participent à réduire l’impact carbone des entreprises. Alors que de plus en plus d’actions de compensation carbone se mettent en place pour les organisations (plateformes d’aide à la compensation volontaire type ClimateSeed, labellisation VCS/GoldStandard pour des projets), l’économie circulaire apporte de vraies solutions de réductions d’émissions carbone. La mise en place des circuits cours pour la vente des consommables, la priorisation des matières recyclées et les énergies renouvelables, l’utilisation du digital pour évaluer les pertes potentielles dans le secteur de la construction… tous ces exemples d’économie circulaire participent à diminuer le bilan carbone de ces organisations et démontre qu’une vraie réflexion se construit autour de la mise en avant de l’économie circulaire comme modèle durable. Dans un contexte où se développe les systèmes de quotas de CO2 pour les industriels émetteurs, la taxe carbone et autres dispositifs financiers, adopter un modèle circulaire aide à développer un système plus résilient aux futurs changements.
Conclusions: Une économie circulaire partie prenante des transformations des entreprises vers des modèles plus résilients
Le COVID-19 a présenté une opportunité pour différents acteurs de revoir leurs modèles économiques. Nous sommes à un moment clé où les facteurs technologiques et sociétaux permettent de développer des modèles circulaires sur de grandes échelles. On voit que ce système reste efficace, et cherche à décorréler développement économique avec consommation de ressources. La fondation Ellen MacArthur, SUN et McKinsey ont observé qu’en adoptant les principes d’une économie circulaire, l’Europe peut tirer avantage de la révolution technologique imminente et générer un bénéfice net de 1 800 milliards d’euros d’ici 2030, soit 900 milliards d’euros de plus qu’en suivant la voie actuelle du développement linéaire. L’économie circulaire pourrait créer des opportunités majeures en termes de renouvellement, de régénération et d’innovation industrielle. Pour développer des systèmes pertinents, il est nécessaire de bien prendre en compte les réalités et spécificités territoriales. On remarque souvent, en Afrique ou en Asie-Pacifique notamment, que les principes d’économie circulaire font partie intrinsèque des cultures locales. Repenser ces modèles en prenant en compte l’existant est fondamental pour développer une approche adaptée et promouvoir ainsi une croissance inclusive des personnes et des territoires. A l’heure où on réfléchit à l’apport de l’innovation et du digital dans un développement responsable, comment s’assurer que les solutions apportées sont celles nécessaires aux différentes sociétés ?
Sona est une consultante au sein de l'équipe de conseil de Ksapa.
Diplômée en développement international à Sciences Po Paris, elle a travaillé sur des modèles durables au sein de diverses industries. Précédemment basée à Kuala Lumpur, Sona a abordé les questions sociales et sociétales pour Total et le groupe Galeries Lafayette et a analysé la mise en œuvre du marché du carbone chinois depuis Pékin. Son expérience sur différents marchés l'a aidée à utiliser une approche globale dans la construction d'une performance durable.