L’agriculture régénératrice (AR) a conquis l’espace de réflexion du développement durable ces dernières années, avec décideurs politiques, entreprises et ONG utilisant largement ces termes. Il en est de même pour la mesure d’impact.
L’agriculture régénérative est définie comme une approche agricole holistique qui restaure la santé des écosystèmes et les maintient dans un état résilient. Elle est porteuse de nombreuses promesses, non seulement de résultats sociaux et environnementaux positifs, mais aussi d’un argument commercial convaincant pour les agriculteurs.
Bien qu’elle soit devenue populaire dans les pays du Nord, où les agriculteurs à grande échelle ont accès aux connaissances, aux infrastructures et aux services nécessaires, il semble beaucoup plus difficile de reproduire ces approches et ces techniques dans le contexte des petits exploitants agricoles du Sud.
Étant donné que l’adoption de pratiques d’AR présente de nombreux défis pour les petits exploitants, nous allons explorer comment la collecte de données et la mesure d’impact peuvent aider les petits exploitants dans leur transition vers l’agriculture régénérative.
Défis de la transition vers l’AR pour les petits agriculteurs
INVESTISSEMENT FINANCIER INITIAL
D’après les expériences passées, il apparaît que le passage à un système de production basé sur l’AR s’accompagne souvent d’une période de baisse des rendements due au changement de pratiques. En outre, les petits exploitants doivent engager des dépenses initiales importantes pour préparer leur exploitation et avoir accès aux techniques et outils appropriés. Or, les agriculteurs des pays du Sud n’ont souvent pas les moyens et les ressources nécessaires pour assumer ces investissements initiaux et faire face aux pertes de productivité.
ACCÈS AU SAVOIR-FAIRE TECHNIQUE ET CONSEIL PERSONNALISÉ
La transition vers l’AR nécessite un savoir-faire technique spécifique auquel la plupart des petits exploitants n’ont pas accès dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. De plus, alors que l’agriculture durable fournit des cadres et des approches techniques généraux, la transition vers l’agriculture durable nécessite des interventions spécifiques au contexte, basées sur la connaissance de la typologie et de la santé du sol de l’exploitation, des pratiques actuelles, du système agronomique, des besoins des agriculteurs…
APPROCHE AGRICOLE CHANGEANTE
L’AR est définie comme une approche agricole holistique, et en tant que telle, elle considère l’exploitation comme un système qui intègre une variété de cultures et qui est géré par des pratiques co-existantes. Elle exige donc des agriculteurs qu’ils changent de perspective, passant d’une culture spécifique et axée sur les rendements à un système holistique qui interagit avec les écosystèmes environnants et se caractérise par une diversité de cultures.
MANQUE DE DONNÉES SOLIDES SUR LES PETITS EXPLOITANTS POUR UN SOUTIEN EFFICACE
Si l’AR semble prometteuse, il semble difficile pour les petits exploitants des pays en développement de reproduire ces approches sans soutien. À cette fin, les autorités publiques, les agences de développement, les ONG et les entreprises ont développé des programmes pour soutenir les petits exploitants dans leur transition. Cependant, l’absence de profilage des données rend difficile l’engagement avec les agriculteurs.
En effet, pour s’engager auprès des petits exploitants, il faut répondre à certaines questions cruciales afin de concevoir des programmes efficaces :
– Qui sont les agriculteurs au premier kilomètre de la chaîne d’approvisionnement ?
– Comment définir un petit exploitant agricole ?
– Quel est le profil des agriculteurs qui produisent cette commodité ?
– Quel est le niveau de fragmentation de la chaîne d’approvisionnement ?
– Quels sont les défis auxquels sont confrontés ces petits exploitants ?
Répondre à ces questions permet de concevoir des programmes efficaces et adaptés au contexte, qui fournissent aux agriculteurs la formation technique, les conseils et l’accès aux services nécessaires pour les aider à passer à l’agriculture régénérative.
À cet égard, l’utilisation d’approches de collecte de données et de mesure d’impact au niveau des petits exploitants peut faciliter la transition des agriculteurs vers l’agriculture régénératrice.
Intégrer la mesure d’impact au niveau des petits exploitants pour une transition efficace vers l’agriculture régénérative
PROFILAGE DES DONNÉES SUR LES AGRICULTEURS ET LES EXPLOITATIONS POUR UNE TRANSITION EFFICACE VERS L’AGRICULTURE REGENERATIVE
La transition vers l’AR nécessite une connaissance détaillée des profils des agriculteurs et de leurs exploitations. En effet, la définition d’une base de référence claire sur les revenus des ménages, les pratiques actuelles, les besoins des agriculteurs, permet d’adapter une approche spécifique au contexte permettant de minimiser les pertes de productivité lors du changement de principes de culture. Cependant, comme décrit ci-dessus, il y a un manque évident de données permettant de bien comprendre les petits exploitants dans leur diversité. À ce titre, l’utilisation d’outils numériques peut aider à collecter des données à l’échelle par rapport aux méthodes traditionnelles fastidieuses.
UNE EFFICACITÉ ACCRUE GRÂCE À DES DÉCISIONS FONDÉES SUR DES DONNÉES
Les données recueillies sur le terrain peuvent aider à fournir aux petits exploitants des services de conseil prescriptifs sur mesure. Grâce aux données dérivées du contexte spécifique de leur système agronomique, les agriculteurs peuvent bénéficier d’une meilleure prise de décision, améliorant ainsi l’efficacité de leur exploitation en termes de gestion de l’eau ou de productivité des cultures, par exemple.
CONNECTER LES PETITS EXPLOITANTS AUX MARCHÉS
Pour que les petits exploitants puissent bénéficier d’un argumentaire convaincant en faveur de la transition vers l’agriculture régénératrice, l’accès au marché est essentiel. L’agrégation des données de production au niveau des petits exploitants facilite l’agrégation physique de l’offre parmi les petits exploitants et permet ainsi d’atteindre le seuil de volume imposé par les acheteurs. Travailler au sein de coalitions de petits producteurs, de collecteurs et de transformateurs permet de prévoir les volumes, d’informer les acheteurs sur les livraisons, ainsi que de faciliter la certification et de fournir une traçabilité complète.
AMÉLIORER L’INCLUSION FINANCIÈRE DES PETITS EXPLOITANTS
Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’un des principaux obstacles à la transition des petits exploitants vers l’AR est l’investissement nécessaire pour amorcer et supporter les impacts économiques de la transition. Alors que les petits exploitants ne peuvent généralement pas compter sur les institutions financières car leur profil est jugé risqué, la collecte numérique des données sur l’exploitation et la production offre une solution. En effet, l’agrégation des données de production et des données financières sur les modèles économiques et les comptes de résultat des exploitations peut contribuer à améliorer le profil de crédit des agriculteurs. Celui-ci peut à son tour être utilisé pour solliciter un prêt auprès d’institutions de microfinance par exemple.
GESTION EFFICACE DU PROGRAMME SOUTENUE PAR LA MESURE DE L’IMPACT
Les données recueillies au cours du processus de référence, comparées aux données de terrain recueillies régulièrement auprès des petits exploitants, aident les développeurs de programmes à engager de manière appropriée les petits exploitants. En effet, elles permettent une compréhension plus fine des déterminants des moyens de subsistance des petits exploitants et donc de concevoir des programmes ciblant des zones d’intervention à fort impact. En outre, elle informe les développeurs de toute action corrective à mettre en œuvre.
On peut dire la même chose de la gestion des exploitations agricoles par les petits exploitants. L’utilisation du numérique pour permettre aux petits exploitants d’accéder à une visualisation de leurs performances peut les aider à évaluer les pratiques mises en œuvre et à améliorer leur efficacité.
L’intégration d’outils numériques de mesure d’impact peut être efficace pour soutenir la transition des petits exploitants vers l’agriculture régénératrice. Cependant, la mise en œuvre sur le terrain des processus de collecte de données s’avère plus complexe.
Perspective de Ksapa sur la mise en place de systèmes de mesure d’impact sur le terrain
L’INITIATIVE SUTTI DE KSAPA POUR L’AGRICULTURE RÉGÉNÉRATIVE
Dans le cadre de son activité d’investissement d’impact, Ksapa a développé des programmes d’approvisionnement responsable pour les entreprises visant à rétablir le contact avec le premier kilomètre de la chaîne de valeur : les petits exploitants. Par exemple, Ksapa a développé un programme de 1 000 petits exploitants de caoutchouc naturel en collaboration avec le groupe Michelin et Porsche AG en Indonésie.
Ksapa a développé son initiative phare SUTTI – Scale Up Training Traceability Impact – pour offrir des programmes de renforcement des capacités évolutifs dans des chaînes de valeur fragmentées. Notre suite numérique interne maximise en effet l’accès à la formation via un outil d’apprentissage en ligne et suit l’impact du programme par rapport aux objectifs de performance sociale, environnementale et économique. En fin de compte, cela aide les groupes industriels à mieux comprendre leur carte d’approvisionnement et donne aux petits exploitants le contrôle de leur exploitation. Il permet également le partage d’informations et la collecte de données via une solution à faible technicité, ce qui le rend tout à fait adaptable à la plupart des contextes et des utilisateurs, y compris les populations vulnérables.
L’approche à 360° de SUTTI, qui s’appuie sur les systèmes d’agriculture régénérative, répond également aux besoins des petits exploitants. À ce titre, la diversification des exploitations fait partie intégrante de la stratégie visant à aider les petits exploitants à effectuer la transition.
L’apprentissage hybride permet d’entretenir des relations étroites et de fournir des conseils sur mesure, tout en atteignant une certaine échelle grâce au contenu numérique.
LES DÉFIS DU TERRAIN POUR LA MESURE DE L’IMPACT
Cependant, des obstacles subsistent lorsqu’il s’agit de faire participer les populations rurales aux outils et processus numériques :
- Une grande disparité dans la culture numérique parmi les agriculteurs (aînés contre jeunes).
- Un accès inégal aux infrastructures et équipements entre les communautés rurales (téléphones, données, couverture réseau…)
- Nécessaire incitation des agriculteurs à fournir régulièrement des données sur les performances de leur exploitation.
- Partager et s’aligner avec les agriculteurs sur les principes de collecte de données et de mesure d’impact.
- S’assurer que les développeurs de projets et les agriculteurs sont d’accord sur les droits à la confidentialité des données.
- Manque de connaissances en gestion financière pour comprendre les indicateurs clés de performance collectés et les méthodes de calcul.
Conclusion
La transition des petits exploitants vers l’agriculture régénératrice doit être soutenue par des programmes de renforcement des capacités gérés par des process digitaux de mesure d’impact. L’engagement efficace des petits exploitants agricoles ainsi qu’un soutien adapté en matière de prise de décision, d’infrastructures et de services en dépendent.
Cependant, la mise en œuvre d’un processus de collecte de données numérisées auprès des populations rurales nécessite un calibrage. Chaque défi sur le terrain appelle des interventions spécifiques au contexte dans l’ensemble des programmes.
Adrien est Program Officer. Il est responsable du développement, de la mise en œuvre opérationnelle et du suivi des programmes SUTTI. Il participe à la conception de schémas de structuration financière visant à démultiplier les impacts de SUTTI.
Il a précédemment travaillé dans divers secteurs, au sein d’organisations publiques, privées et à but non lucratif. Avant de rejoindre Ksapa, il a participé à des initiatives de microfinance et d'entrepreneuriat social au Cambodge et aux Philippines, après avoir travaillé pour Danone et la RATP.
Il est titulaire d'un Master en Finance de l'Université Paris-Dauphine, ainsi que d'un Master en Management de l'ESSEC Business School.
Il parle français, anglais et espagnol.