L’intégration des
critères extra-financiers dans l’appréciation des stratégies des entreprises et
des politiques d’investissement est en train de devenir un standard de marché.
Ces critères sont
évidemment essentiels pour les stratégies intégrant dans leur conception même
les impacts sociaux et environnementaux : au travers du développement de
l’impact investment bien sûr, mais également dans le secteur coté dans le
cadre des politiques et labellisations type ISR et des démarches lui étant
connexes. Mais leur prise en compte concerne également l’analyse et
l’appréciation de toute société et de tout investissement, que ce soit dans le
secteur coté ou dans le private equity.
Il est grand temps de
mettre à jour la lecture du couple rendement-risque à l’heure de l’importance
croissante des critères ESG, environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Les acquisitions récentes d’agences spécialisées dans la notation extra-financière ou dans le traitement des données big data rapprochant les critères ESG et la performance financière en sont une illustration, tout comme l’est la multiplication des fonds dédiés et le basculement d’une partie de plus en plus significative des supports de placement existants vers les labels Green, ISR ou assimilés.
Ce que ces exemples démontrent est la refonte du couple rendement-risque dans l’appréciation et la définition de l’analyse financière des sociétés. Cette refonte est la conséquence directe de la redéfinition du rôle dans l’entreprise dans la société, et notamment des implications de ses actions dans les domaines sociaux et environnementaux.
Le débat ancien sur le rôle et la responsabilité de l’entreprise au regard de l’intérêt général semble en effet enfin pencher vers l’abandon du seul profit comme objectif ultime de l’entreprise, comme le démontre une nouvelle fois la lettre signée par 200 PDG de grandes entreprises américaines sur le « purpose statement ».
Et cela se traduit à la fois sous le prisme de la gestion du risque et sous celui de la performance financière.
Une profonde modification des politiques de gestion des risques
Premièrement, l’appréciation du risque est modifiée en profondeur par la prise de conscience des critères ESG. En toute logique, les politiques de gestion des risques intègrent en conséquence de manière croissante les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Les risques portés sur ces sujets sont principalement de trois natures :
1. Risque réglementaire
Les législations et réglementations mises en place imposent aux entreprises une obligation de vigilance sur l’ensemble de leur supply chain : loi Sapin 2 et loi sur le devoir de vigilance en France, Modern Slavery Act au Royaume-Uni par exemple. Il est fortement probable que ces contraintes réglementaires vont être étendues et que d’autres pays vont adopter des législations sinon similaires, du moins comparables.
Les entreprises multinationales ont modifié en nombre leurs organisations pour en tenir compte, mais il reste encore du chemin à faire. Pour les entreprises ne prenant pas en compte ces changements, le risque n’est pas seulement de faire face à des charges ponctuelles (amendes, procès, etc.). La possibilité d’accès aux marchés sera tout simplement de plus en plus difficile pour les entreprises ne jouant pas le jeu du collectif.
De leur côté, les investisseurs ont modifié leurs pratiques pour tenir compte des risques ESG, même si l’angle réglementaire lié au(x) devoir(s) de vigilance est encore insuffisamment à ce jour intégré dans la définition de nombre de politiques d’allocation. Dans ce cadre, il est logique de s’attendre à ce que l’impact de ces modifications réglementaires s’amplifie dans les années à venir.
2. Risque de devoir faire face à des crises sociales et/ou environnementales
Les attentes sociétales sont de plus en plus fortes envers les entreprises: responsabilité vis-à-vis des dérèglements climatiques, organisation de chaînes de valeur respectant une forme d’équité, etc. Ainsi, l’image d’une entreprise ou d’une organisation dépend de plus en plus de l’intégration en profondeur de ses valeurs et des responsabilités en découlant dans son modèle économique – que ce soit pour ses clients, ses équipes, ou ses partenaires.
Dans ce cadre, les pratiques d’ « évitement fiscal » ou de prise de risque environnementale déraisonnable par exemple comportent des risques de crise entraînant potentiellement coût financier et positionnement dégradé, voire de disqualification pour certains acteurs ou employés.
3. Risque de voir modifiés les équilibres des modèles économiques
Que ce soit pour les problématiques environnementales, sociales ou sociétales, les choix d’organisation actuels doivent impérativement anticiper les évolutions à venir en matière d’ESG. Par exemple, au regard de l’urgence climatique, il est vraisemblable que la prise en compte du coût pour nos sociétés de l’émission de gaz à effet de serre associés aux activités économiques sera prise en compte de manière radicalement différente et probablement exponentielle dans 10 ou 15 ans, pour des raisons de contexte de marché (pic pétrolier notamment) ou d’évolution des attentes des marchés eux-mêmes, exigeant de la sobriété carbone eux-mêmes par exemple. Les sociétés qui n’auront pas remis en cause leurs modèles d’exploitation à temps pour prendre en compte ce « risque de transition » et ne se seront pas transformées en conséquence seront en profonde difficulté. Autre exemple, si les producteurs d’une matière première, notamment les jeunes générations, sont découragés par des conditions économiques rendues difficiles par un déséquilibre de la répartition de la valeur, cette filière pourrait in fine se retrouver démunie d’accès à ces matières premières. Or celles-ci peuvent être des éléments essentiels au bon fonctionnement des entreprises de cette filière alors même qu’elles ne représentent qu’une partie modique de leur structure de coûts.
Les sociétés n’ayant pas intégré ces éléments seront ainsi de plus en plus catégorisées comme comportant des risques discriminants. Gageons par exemple que les émetteurs d’obligations rentrant dans cette catégorie connaîtront les difficultés que les émetteurs d’obligations high yield connaissent aujourd’hui : non seulement un renchérissement du coût de leurs financements, mais surtout une restriction de l’univers des souscripteurs, une partie significative d’entre eux ayant des politiques d’investissement prévoyant essentiellement la souscription d’obligations investment grade. Ainsi, l’intégration du risque climatique est déjà un enjeu majeur : mais il le sera encore plus lorsqu’il sera pris en compte demain dans les scenarios économiques de référence et les stress tests imposés par les régulateurs aux établissements bancaires notamment.
Amélioration des performances sur le long terme
Non seulement les politiques de gestion des risques sont profondément bouleversées par l’intégration des risques dits extra-financiers, mais en outre, la corrélation entre la prise en compte des aspects environnementaux et sociaux et la performance financière a été maintes fois démontrée (travaux dirigés par George Serafeim par exemple). Ce n’est pas seulement une amélioration de la gestion des risques mais une amélioration de la performance d’ensemble : une meilleure performance pour une volatilité contrôlée.
Ce n’est pas une surprise.
Certes, cela peut indéniablement générer des contraintes supplémentaires pouvant sembler à première vue comme un frein. Mais la prise en compte des critères ESG par une entreprise démontre une ouverture à l’évolution des attentes des sociétés, et donc des clients, ainsi qu’une réflexion sur les conditions de développement sur le long terme et une acceptation des responsabilités en découlant, autant d’éléments générateurs de pérennité et de performance.
- Les dérèglements climatiques, l’impact sur la biodiversité ou la santé publique, la réduction des inégalités sont autant de sujets largement repris dans les Objectifs de Développement Durable. Ils correspondent aux attentes profondes de nos sociétés. Leur prise en compte au moment où ils n’étaient pas exprimés aussi clairement démontre une ouverture et une attention aux évolutions sociétales : ainsi, s’orienter en fonction de la performance financière mais également de l’impact environnemental et social a pour effet de s’adapter de manière plus fine aux évolutions de nos sociétés
- Dans un monde économique qui a été largement marqué par une vision court-termiste de la performance, que ce soit au niveau des politiques publiques ou des stratégies d’entreprise, l’intégration des impacts extra-financiers (qui ne sont extra-financiers qu’un temps, par parenthèse) générés par les activités sont également un moyen de réinsérer une vision long-terme dans les politiques d’investissement et les stratégies de développement des entreprises
- Enfin, dans l’organisation des chaînes de valeur des entreprises, que ce soit dans leurs politiques sociales ou dans la répartition de leur valeur ajoutée entre leurs salariés, leurs partenaires commerciaux et leurs actionnaires, la recherche d’une forme d’équilibre permet de pérenniser les modèles économiques, notamment par la fidélisation des salariés et des partenaires, et du confort et de la sécurité d’exploitation en découlant.
Ainsi, l’appréciation et l’intégration des critères ESG, notamment environnementaux et sociaux, dans les politiques d’investissement et les stratégies des entreprises modifient en profondeur le couple rendement-risque, qui demeure un critère essentiel pour toute prise de décision en matière d’investissement.
Après 20 ans d'expérience dans l'investissement et l'asset management, notamment immobilier, Raphaël Hara travaille sur les liens entre finance et durabilité, notamment au travers du développement et de la mise en œuvre de projets d'impact investing.
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