Pour un capitalisme inclusif Post-Covid

Cet article est la traduction d’une interview accordée dans le cadre de l’initiative portée par Corporate Excellence, « le futur postcovid de l’entreprise« . Aux côtés de différents décideurs économiques – Blackrock, IBM, Ipsos notamment, Ksapa livre sa vision d’un capitalisme inclusif pour une Grande Reconfiguration Post-Covid.

Ksapa a récemment conclu un partenariat avec Corporate Excellence. Un groupe de réflexion, cette organisation fait référence dans le monde hispanophone en matière de gestion des actifs immatériels. Chaque année, Corporate Excellence publie une étude pour renforcer notre compréhension collective des enjeux de réputation et de marque, de développement durable, d’éthique et transparence en entreprises.

En prévision de la publication de ses résultats pour 2021, Corporate Excellence a mené une série d’entretiens avec des experts de premier plan. Notre PDG, Farid Baddache, a rejoint des chefs de file dont Telefonica, Blackrock et Banco Santander. Il livre ici sa vision d’un capitalisme inclusif pour favoriser une Grande Reconfiguration Post-Covid.

Leçons et implications Post-Covid pour la gestion des risques des entités publiques et privées

Quatorze ans se sont écoulés depuis que les risques pandémiques ont fait leur entrée dans les rapports sur les risques du Forum économique mondial. Avec la propagation de la Covid-19, ce risque est devenu une réalité. La matérialisation et l’impact du risque ont surpris toutes les organisations publiques et privées. Indépendamment de leur pays, secteur ou périmètre.

J’étais à Singapour en 2000, où j’ai vécu un épisode similaire à celui de la Covid-19. Avec le NIPAH puis le SRAS, les différents pays asiatiques ont appris à prendre ces événements au sérieux. A les gérer comme des risques majeurs. En 1975 déjà, le Brésil avait dû organiser la vaccination de 80 millions de personnes. Le pays faisait alors face à une dramatique épidémie de méningite à méningocoques.

Mais les temps sont différents. Ces différents exemples démontrent qu’il est tout à fait possible de gérer le risque pandémique. La condition ? Déployer le bon niveau de volontarisme politique et des coalitions proactives de différents acteurs économiques.

4 leçons post-Covid pour une gestion transversale des risques

Les risques mis en évidence dans le rapport Approaching the Future 2021 (à paraître) ne sont ni nouveaux, ni impossibles à anticiper. De fait, la propagation de la Covid-19 a été favorisée par une spirale de mauvaise gestion à l’échelon international :

  • Les risques ont été structurellement sous-estimés par les décideurs économiques et politiques. Ces derniers se sont contentés d’appréhender le risque pandémique de façon proportionnelle à sa faible occurrence plutôt que sur la base d’un examen d’impacts potentiellement élevés.
  • La prévention des risques s’est teintée d’idéologie libérale. Les risques extra-financiers ne se réduisent cependant pas nécessairement au seul calcul comptable. Différents systèmes de santé en Europe ont par exemple compté sur les hôpitaux pour organiser des stocks de masques. Ils ont pour autant continué d’exercer leurs pressions sur la réduction des coûts. Nombre d’hôpitaux n’ont donc eu d’autre choix que de se focaliser sur la gestion de l’urgence à court terme. Quitte à perdre de vue des enjeux tout aussi essentiels à plus long terme.
  • La gestion des risques sanitaires a fait l’objet d’une déstructuration collective. Au lieu de prioriser des solutions communes, l’Europe – pour ne citer qu’elle – a paniqué. Elle a en cela laissé ses pays membres faire cavalier seul, en palliant les effets négatifs comme ils pouvaient. Les entreprises ont elles aussi travaillé seules plutôt que de développer des solutions par territoire, secteur ou autre.
  • La méfiance et la montée du populisme ont fini par radicaliser des populations déjà aux prises avec des divisions sociales et identitaires majeures. L’effort collectif nécessaire à gérer la pandémie a été d’autant plus complexe et délicat. Le port ou non du masque est devenu une forme d’activisme politique, indépendamment de ce que dit la science. De fait, les États-Unis déplorent désormais plus de morts liés à la Covid-19 (plus de 500 000) qu’à la Seconde Guerre mondiale!

Peaufiner et intégrer les prévisions stratégiques dans les plans de transition post-Covid

Il ne fait aucun doute que certains risques méritent d’être intégrés stratégiquement dans les entreprises. Il y aura d’autres pandémies. Le stress hydrique, le changement climatique et la perte de biodiversité généreront leur lot d’incertitudes. Le terrorisme, les tensions sociales et la cybersécurité présentent eux aussi des risques pour le secteur privé.

4 leçons post-Covid pour intégration à la prévision stratégique

  • Prioriser les risques en fonction de leurs impacts potentiellement élevés plutôt que de leur fréquence. Catastrophe industrielle majeure, l’explosion de la centrale de Fukushima avait en fin de compte une faible probabilité d’occurrence. D’autant plus dans un pays organisé, compétent et sensibilisé aux risques comme le Japon.
  • Apprendre à gérer des injonctions apparemment contradictoires. Il s’agit ainsi de conjuguer la gestion de l’urgence à court terme et l’anticipation d’enjeux matériels à long terme. Il n’y a pas à trancher entre l’un ou l’autre, il faut avancer de front.
  • Clarifier les responsabilités des acteurs économiques et publics dans la gestion des risques, par territoire et secteur. Ils pourront ainsi préparer et organiser leurs réponses et faciliter une gestion collective.
  • Indexer les plans d’actions sur la science, dont les conclusions ne peuvent plus aujourd’hui être remises en cause. Il s’agit aussi de respecter et favoriser l’inclusion des collaborateurs, citoyens et autres parties prenantes. Ce sont des maillons clefs dans le développement de solutions passibles d’améliorer l’acceptabilité des activités économiques, dans l’intérêt tant individuel que collectif.

A Davos, les dirigeants du monde entier ont échangé leurs perspectives sur la meilleure manière de stimuler l’économie de l’après-pandémie. Le résultat ? Un programme intitulé « La Grande Reconfiguration ». En 2020 comme jamais, on a pu constater combien les inégalités sociales se sont accrues à tous les niveaux économique, technologique, sanitaire, racial ou générationnel.

Articuler une Grande Reconfiguration post-Covid autour du risque majeur du climat

À mon avis, c’est justement la question du climat qui nous oblige à tout repenser. Il s’agit de structurer une activité économique compatible avec une trajectoire de réchauffement climatique « inférieure à 2 degrés » d’ici à 2030/2035. La question climatique est désormais notre plus grand impératif collectif.

Bien sûr, elle impose des transformations radicales. Elle soulève en cela d’autres questions environnementales, sociales et numériques. Certaines solutions climatiques créent des problèmes pour la gestion l’eau, la biodiversité et la recyclabilité des déchets. D’autres peuvent renforcer les inégalités et les difficultés d’accès à l’emploi. Le secteur de la mobilité connaît par exemple des défis territoriaux et systémiques en termes de création et destruction d’emplois. Certains services numériques aggravent également la crise climatique. Le développement de la tokenisation virtuelle (bitcoin, blockchain…), notamment, est extrêmement énergivore.

3 conditions d’une Grande Reconfiguration articulée autour du risque climatique

À mon avis, l’articulation de cette Grande Reconfiguration doit se faire dans la planification et la gestion des effets négatifs liés au déploiement des solutions climatiques.

Il faut pour cela veiller à l’alignement des éléments suivants :

  • L’écoute active de la science – Les programmes visant à relever les défis climatiques de la prochaine décennie doivent être impérativement être indexés sur la science. Les efforts actuels sont encore trop insuffisants. Nous devons également mobiliser les sciences sociales pour leur capacité à nous aider à créer les conditions d’acceptabilité des transformations.
  • La clarté d’un projet – Le projet d’une entreprise, d’un territoire ou d’un secteur doit être ancré dans un processus de dialogue continu et inclusif. Il s’agit ainsi de mieux comprendre et gérer les résistances.
  • L’activation d’outils et mécanismes préexistants – Selon la manière dont ils sont utilisés, ils peuvent être vecteurs de problèmes ou, au contraire, de solutions. A ce titre, la révolution numérique est déjà en marche. Des ressources financières sont également disponibles en abondance. Ce sont autant d’éléments passibles de faciliter un effort de transformation du climat à forte composante sociale.

S’assurer que les entreprises répondent aux attentes sociétales Post-Covid

Les entreprises ont une triple responsabilité :

  • Elles doivent sérieusement réévaluer leur contribution à la crise climatique. Autrement dit, font-elles partie du problème ou de la solution ? Cette évaluation sobre doit être la pierre angulaire de leur propre transformation. Les entreprises doivent être guidées par une meilleure compréhension des facteurs de leur survie financière et économique et de leur acceptabilité sociale dans les années à venir.
  • Une fois ces bases posées, les entreprises doivent engager un dialogue efficace avec leurs parties prenantes, c’est-à-dire les régulateurs, leurs clients et fournisseurs, etc. Ainsi sensibilisées, les parties prenantes peuvent contribuer à l’accélération de l’action du secteur privé, en identifiant des solutions concrètes et ambitieuses en cas de crise.
  • Les entreprises doivent enfin déployer un plan de transformation ambitieux et complet. Il s’agit de gérer les attentes de leurs parties prenantes, en apportant la preuve de progrès à date (présentation des résultats). Les entreprises doivent également expliquer comment elles prévoient d’avancer dans la voie de la transformation (vision de l’avenir). C’est ainsi qu’elles pourront véritablement atteindre leurs objectifs à moyen et long terme. S’agissant de climat, un investisseur ou un client ne s’intéresse plus de savoir si une entreprise a réduit ses émissions de gaz à effet de serre 40 %. Ils demanderont en revanche des gages de volontarisme en matière de neutralité carbone à l’horizon 2030+, par exemple.

Les discussions de Davos l’ont clairement montré : l’alignement entre performance des entreprises et mobilisation des capitaux est essentiel. Particulièrement dans une logique de retour à la normale. Les entreprises, banques et investisseurs ont cependant un dilemme. Tous doivent naviguer une multitude de normes différentes, pour mesurer et gérer leurs progrès en matière de développement durable.

Naviguer la multiplicité des normes ESG sans perdre en cohérence et en confiance de ses parties prenantes

Il va sans dire que les stratégies ESG sont des plus diverses.

Certains cadres reproduisent les principes de base de l’intégrité. D’autres revendiquent un positionnement en faveur des droits humains… sans pour autant fournir d’indicateurs pour le prouver. D’autres encore considèrent que leurs fonds ESG sont alignés avec l’Accord de Paris. Cela ne les empêche pas nécessairement d’inclure bon nombre de lignes qui vont clairement à l’encontre d’une trajectoire de réchauffement climatique à 1,5°C. Dans un cas comme dans l’autre, les dirigeants sont bien en peine de prouver leurs dires.

S’il ne devait avoir qu’une certitude quant à la comparabilité des fonds ESG, ce serait peut-être celle-ci : il est de la responsabilité fiduciaire des investisseurs institutionnels de sauvegarder les intérêts financiers de leurs bénéficiaires. Ils disposent d’ailleurs d’outils (c’est-à-dire des décisions d’allocation de capital) pour soutenir l’intégrité et la stabilité de l’ensemble du système financier. Ils sont donc en mesure de récompenser un comportement responsable et d’avoir un impact positif vis-à-vis des enjeux mondiaux. Ces dispositions leur permettent, en fin de compte, de remplir leur mandat.

Plus les fonds tiennent leurs promesses ESG, plus ils améliorent leurs performances – sans pour autant compromettre leur potentiel financier. Une fois ces conditions réunies, ils pourront générer des rendements financiers solides tout en répondant aux critères ESG. Les investisseurs feraient donc bien de planifier dès à présent l’extension des fonds ESG à l’ensemble de leur portefeuille.

Faire converger les normes ESG pour faciliter la comparabilité et cohérence des rapports des entreprises internationales

L’information extra-financière des entreprises s’est considérablement améliorée ces dernières années. Nombre d’instruments de reporting volontaire (tels que la GRI, SASB, IIRC, CDP, TCFD et CDSB) aident les entreprises à communiquer des données ESG plus pertinentes et complètes.

L’harmonisation des standards ESG est en cours

Plusieurs initiatives ont été développées en 2020 pour harmoniser les rapports ESG en entreprise. La Commission européenne a d’ailleurs publié son intention de réviser sa directive d’information extra-financière (NFRD) dans le but de promouvoir une information plus fiable et comparable. Le Forum de Davos a également élaboré une norme. Basée sur les indicateurs préexistants, cette norme est organisée autour de 4 piliers de gouvernance, population, planète et prospérité. De façon similaire, la Fondation IFRS (qui héberge le Conseil des normes comptables internationales) a publié en octobre 2020 une consultation autour de la création d’un Conseil des normes de développement durable.

Enfin, 35 investisseurs institutionnels (représentant ensemble plus de 8000 milliards de dollars de capitaux) se sont engagés pour la transition de leurs portefeuilles dans une logique de neutralité carbone d’ici à 2050.

La situation évolue rapidement dans le sens d’une convergence effective. Il appartient finalement aux investisseurs de se positionner sur la norme qui soutient de la façon la plus efficace leurs décisions d’investissement. Ils pourront d’autant plus aisément répondre aux objectifs et critères ESG sans compromettre leur potentiel financier.

Conclusion | Viser l’excellence ESG post-Covid

On ne saurait trop insister : les risques de pandémie ne sont ni nouveaux ni impossibles à anticiper. D’autres se matérialiseront (bientôt) sous différentes formes, dans différents pays et à différentes échelles. Il n’en demeure pas moins que la Covid-19 a pris les organisations au dépourvu. Alors, comment articuler la Grande Reconfiguration voulue par les décideurs de Davos ? Nous devons tout d’abord affiner notre capacité collective de prévision stratégique et l’intégrer aux plans de transformation post-Covid des entreprises. C’est d’autant plus prégnant que de telles approches seront sans doute bientôt mises à l’épreuve par le réchauffement climatique.

A l’avenir, les acteurs mondiaux capables de faire preuve d’excellence en matière d’ESG pourront débloquer nombre d’opportunités. Il s’agit pour cela de tenir leurs promesses ESG aujourd’hui – et de le prouver. Ainsi les acteurs économiques pourront envisager une sortie de crise par le haut… et une meilleure résilience face à d’autres bouleversements à l’horizon. Contactez Ksapa afin d’envisager ensemble la meilleure façon de vous mettre le pied à l’étrier. Notre équipe et notre communauté de plus de 150 experts sont basés à travers les économies du G20, en Afrique et en Asie du Sud-Est. Nous pouvons ainsi vous aider à déployer une expertise multidisciplinaire et contextuelle pour aborder des enjeux aussi sensibles et complexes.

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Forte d’une expérience internationale auprès de structures publiques, privées et associatives, Margaux Dillon intervient chez Ksapa en tant que consultante en développement durable et responsabilité des organisations.
Elle avait auparavant travaillé pour les cabinets Deloitte et Quantis, assuré la promotion institutionnelle de l’infrastructure de recherche sur les écosystèmes ENVRI+ pour le compte de l’INRA, et contribué au reporting extra-financier du groupe Total.
Margaux est de nationalité franco-américaine et est titulaire d’un Master en histoire, communication, entreprises et affaires internationales ainsi que de deux certifications en développement durable de l’IEMA et Centrale-Supélec. Elle parle anglais, français et espagnol.

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