Prérequis pour un lieu de travail égalitaire, sûr et inclusif

Prérequis pour un lieu de travail égalitaire, sûr et inclusif

Aujourd’hui, la question du genre devient toujours plus prégnante sur le lieu de travail. Il y a sans aucun doute un changement de paradigme sociétal. Seulement, une société garantissant l’égalité, la sécurité et l’inclusion de tous les genres est encore loin d’être une réalité. Ce récit, tiré d’expériences en Inde, retrace des enjeux universels. Voici, une présentation des prérequis que toutes organisations peuvent adopter dans le cadre de leurs politiques et mise en œuvre.

Avec la crise de la Covid, on assiste à un changement général des schémas de notre vie quotidienne. Nous sommes plus attachés à nous-mêmes, à notre famille et à notre travail qu’auparavant. Le lieu de travail s’est déplacé vers les foyers. Ainsi, les heures de travail et les attentes autour du travail ont également changé. Il est d’une importance majeure de parler du genre sur le lieu de travail. Il faut naturaliser la conversation autour de nombreux sujets tabous. L’objectif ultime est de lutter pour un lieu qui favorise l’égalité, assure la sécurité et facilite l’inclusion.

Un lieu de travail mettant le genre au cœur des préoccupations

L’une de ces déclarations vous est-elle familière : « Nous n’avons pas de travailleuses enceintes répertoriées dans notre entreprise étant donné que la plupart d’entre elles ont plus de 40 ans et ne sont donc pas en âge de procréer ». Voici la réponse lorsqu’on demande à un responsable masculin des ressources humaines « Pourquoi aucun cas de femme enceinte n’a jamais été enregistré ni aucune demande d’allocation de maternité, alors que 90% de la main-d’œuvre est féminine ? »

Un autre responsable masculin travaillant dans une unité de fabrication à haute intensité de main-d’œuvre déclare : « Nous n’avons pas beaucoup de femmes dans l’unité des machines parce que c’est un travail difficile, les femmes ne peuvent pas le faire. Elles préfèrent travailler dans la division emballage, c’est plus facile ». En interrogeant le directeur, on se demande si les femmes elles-mêmes ont émis leur préférence pour le travail d’emballage à celui de la machine ou si le directeur l’a simplement supposé. Toujours dans le même contexte, l’entreprise n’a jamais engagé sa main-d’œuvre non qualifiée dans un programme ou une formation garantissant le développement des compétences. In fine, la croissance personnelle et professionnelle des employés n’est pas considérée. Malheureusement, une grande partie de cette main-d’œuvre reste donc non-qualifiée. Par conséquent, elle reste dans des emplois moins bien payés et sans possibilité de promotion.

Ce type de comportement attitudinal témoigne également de la sensibilisation de l’entreprise aux questions de genre. Un point d’honneur devrait être mis à la bonne compréhension des nuances et de la complexité des questions de genre. Et ce, dans le cadre du recrutement, d’accès des travailleurs aux mécanismes de réclamation, du système en général. On ne voit que trop rarement de discours sur ces sujets dans le cadre de l’entreprise. De plus, on pense souvent à tord, que le genre est une question de femme, mais c’est très réducteur. Beaucoup de personnes et de professionnels ne savent pas qu’il existe environ 64 termes pour décrire l’identité et l’expression du genre. Même si nous n’aimons pas les « étiquettes », les étiquettes et le langage sont cruciaux pour comprendre le genre. Si nous ne le faisons pas, nous ne pouvons pas espérer que la société affirme et soutienne l’inclusion du genre.

Un lieu de travail encourageant la diversité et l’inclusion

La diversité et l’inclusion sont souvent utilisées de manière interchangeable – elles sont différentes et pourtant liées. C’est simple : si les employeurs ne favorisent pas la diversité, il n’y aura pas d’inclusion et s’il n’y a pas d’inclusion, il n’y a pas de diversité. Il a fallu des décennies pour que les femmes prennent pied dans l’espace professionnel. Malgré tout, il y a toujours un vide dans certains secteurs comme l’ingénierie, le transport et l’entreposage, les développeurs de logiciels, les chauffeurs professionnels, etc. Imaginez aussi que la cuisine et le nettoyage, qui sont considérés comme un « travail de femme » à la maison, sont des activités professionnelles dominées par les hommes. Pareillement, il y a plus de tuteurs et de professeurs masculins qui enseignent l’ingénierie ou les sciences spatiales. Cependant, les enseignants des écoles maternelles et primaires sont principalement des femmes.

Si l’on vous demande de penser à un agriculteur, dans un pays comme l’Inde, vous penseriez d’abord à un agriculteur masculin. En réalité, les femmes contribuent tout autant à l’agriculture. Elles sont, cependant, moins bien payées et moins représentées dans les négociations collectives. Imaginez que les femmes, qui représentent la moitié de la population, soient confrontées à de tels problèmes. Alors qu’en est-il des minorités de genre comme les personnes transgenres ? Celles qui appartiennent à une caste inférieure/ethnie différente ? Les personnes handicapées ? A chaque étape, le niveau d’inclusion et de diversité devient de plus en plus complexe.

Un lieu de travail s’engageant dans une discussion ouverte sur la menstruation

La plupart des lieux de travail comptent 50 % de femmes dans leurs effectifs. Il reste malgré tout tabou de parler d’un phénomène aussi courant que les menstruations.

La menstruation ne peut pas être réduite par le genre, contrairement à ce que la plupart des gens pensent. Ce n’est pas seulement une « affaire de femmes ». Les personnes d’autres sexes ont également leurs règles mais en raison de la sensibilité entourant le sujet, il n’y a pas de discussion à ce sujet sur le lieu de travail.

Après tout, il s’agit d’une fonction biologique très importante que certains corps expérimentent et qui a une incidence directe sur leur bien-être physique, mental et émotionnel. Les menstruations sont un processus cyclique et les règles n’en sont qu’une toute petite partie. Il existe également des troubles tels que le syndrome prémenstruel (SPM), le trouble dysphorique prémenstruel (TDPM), l’endométriose et le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK). Ils affectent également les individus en dehors des jours de règles. Ils peuvent conduire parfois à une image du corps, à la honte et au ridicule sur le lieu de travail.

Nous ne pouvons pas blâmer uniquement les lieux de travail pour cela. Des changements de comportement doivent se produire dès le plus jeune âge, mais la réalité est différente. Selon une étude menée par la Journée de l’hygiène menstruelle, 71% des filles en Inde n’ont aucune connaissance de la menstruation avant leurs premières règles. Aussi, 63 millions de filles en Inde n’ont pas accès à des toilettes à la maison. 1 fille sur 5 abandonne l’école après avoir commencé à avoir ses règles. Ces statistiques alarmantes ne font que renforcer les lacunes de notre communication. Cela démontre le manque de dispositif appropriés dans les foyers, les écoles et les lieux de travail.

Un lieu de travail offrant des voies de recours pour traiter les violences sexistes

La violence liée au genre sur le lieu de travail peut se traduire en diverse manière. Par exemple : la discrimination à l’embauche, une stigmatisation et une exclusion fondées sur le genre, un harcèlement sexuel/un viol, un travail forcé, une coercition sexuelle de la part de collègues, etc. Connaissez-vous beaucoup d’entreprises dans lesquelles se trouve des mécanismes de réclamation dédiés aux questions relatives de ces problèmes sociaux ? Si votre réponse est nulle, ce n’est pas surprenant. À moins que nous n’atteignions les prérequis énoncés, soit un lieu de travail sans frontières de genre, inclusif, avec un dialogue ouvert sur l’orientation sexuelle, nous observons la nécessité d’avoir des mécanismes internes. Les employés doivent pouvoir soulever leurs préoccupations plus librement et sans aucun préjugé.

Encore une fois, isoler le lieu de travail n’est peut-être pas la meilleure solution, car le lieu de travail est le reflet de notre société et du dialogue politique. Dans la plupart des pays, nous voyons le chef de l’état politique adopter une attitude nonchalante à l’égard des problèmes de harcèlement et de viol des femmes. Voyons quelques exemples – un leader national au Pakistan a dit un jour « Si une femme porte très peu de vêtements, cela aura un impact sur les hommes, à moins qu’ils ne soient des robots. C’est une question de bon sens ».

À propos de l’augmentation de la violence sexuelle dans un État du nord de l’Inde, l’un de ses dirigeants locaux a déclaré aux médias : « Les garçons seront des garçons, ils commettent des erreurs. Les filles se lient d’amitié avec les garçons et lorsqu’ils se battent et ont des différends, elles parlent de viol ». Une femme ministre en chef de l’est de l’Inde a déclaré que « Les viols se produisent parce que les hommes et les femmes interagissent librement ». Et la liste peut s’allonger à l’infini. Si les représentants des États et des partis politiques, hommes et femmes confondus, ont de telles opinions sur la violence de genre, comment peut-on attendre d’une entreprise qu’elle pense différemment ?

Un lieu de travail qui prend au sérieux les griefs autour du harcèlement sexuel

Une étude menée par International Financial Corporation en 2016 a souligné que 74% des femmes professionnelles dans l’UE ont déclaré avoir été victimes de harcèlement sexuel. Dans une étude menée par CARE en 2017 énonçait qu’une travailleuse sur 3 dans les usines de confection de la SEA a été victime de harcèlement sexuel. En 2018-2019, la Commission nationale pour les femmes (Inde) a reçu 88 plaintes pour harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Ces plaintes ont été multipliées par 376 plaintes en 2020. Dans le cadre de la pandémie, le lieu de travail s’est déplacé principalement vers les foyers. Il est donc plus difficile pour les entreprises de surveiller et de sensibiliser ses employés sur les questions relatives au harcèlement au travail.

En 2017, NBC news a rapporté qu’au moins 29 hommes « puissants » dans le domaine du divertissement, des affaires et de l’information ont été publiquement condamnés pour leur inconduite sexuelle présumée. Le mot « puissant » étant un mot-clé fort ici. Souvent les personnes de « position » sont souvent reléguées à de tels actes. Si ce sont souvent des hommes qui sont inculpés dans de telles affaires, c’est parce que ce sont encore principalement les hommes qui occupent des postes à responsabilité. Les femmes ne sont pas représentées aux postes les plus élevés. Elles font plus généralement partie de la main-d’œuvre.

Et bien sûr, nous connaissons tous la tristement célèbre affaire d’inconduite sexuelle d’Harvey Weinstein. C’est 87 membres du monde du spectacle qui l’ont accusé de harcèlement et d’agression sexuelle. Cette affaire est d’autant plus emblématique qu’elle a donné l’occasion aux victimes de partager leurs griefs. Une occasion, pour elles, de sortir de leur silence et de réaliser qu’elles ne sont pas seules et donc #metoo.

En vertu de la loi, quelques pays, dont l’Inde, sont tenus de mettre en place un comité interne de traitement des plaintes. Les membres sont sélectionnés et formés pour traiter les plaintes de leurs employés en matière de harcèlement au travail. Sur la base de l’expérience acquise sur le terrain, nous constatons que la plupart de ces comités n’existent que sur le papier. En effet, leurs membres ne sont pas suffisamment formés pour traiter de sujets sensibles comme le harcèlement. Il est difficile de respecter la confidentialité des plaignants. Les employés continuent donc de s’appuyer sur les réseaux sociaux pour partager leurs affliction plutôt que de s’appuyer sur les systèmes internes de leur entreprise.

Que peuvent faire les entreprises pour réaliser ces prérequis d’inclusion?

  • S’efforcer d’élaborer des politiques et des procédures en matière d’égalité des sexes. Mettre l’accent sur les questions telles que l’inclusion des femmes, la diversité, la menstruation, l’encouragement de l’équilibre entre travail et vie privée, etc. Les entreprises doivent s’efforcer de mettre en œuvre ces politiques. Elles doivent établir des critères et des points de référence mesurables pour évaluer leurs performances en matière d’indexation des genres.
  • Il est impératif d’opérer un changement d’attitude parmi les représentants de la direction. Une vrai prise de conscience doit s’opérer concernant le genre. Un langage approprié dans les bureaux et les foyers doit être utilisé. Cela ne sera possible que s’il y a une discussion plus ouverte sur ces sujets tumultueux.
  • Organisez des cafés mensuels ou trimestriels, ou de courtes réunions de groupe. Invitez les employés à prendre la parole sur des questions dépassant le cadre du travail. qui affectent leur bien-être mental, émotionnel et physique. Ces occasions permettent toujours aux employés de créer un lien émotionnel fort avec l’entreprise, ce qui se traduit également par une meilleure production et une forte rétention des employés.
  • Engagez-vous auprès des parties prenantes locales telles que les écoles et les collèges. Les activités de sensibilisation organisées seront toujours une avancée. Cela aidera les institutions à prendre conscience de l’importance du discours sur le genre dès le plus jeune âge. Les responsables gouvernementaux et la direction des écoles devraient pouvoir s’allier en ce sens. Des programmes adaptés pourraient alors voir le jour. Ces programmes garantiraient la compréhension du genre dans sa globalité (acceptation, rôles, stéréotypes, menstruation, consentement). L’idéal serait aussi de créer des instances abordant les questions relatives à la sexualité.
  • Organiser régulièrement des formations. Les employés devraient être sensibilisés sur leurs droits, responsabilités et la violence sur le lieu de travail. Travailler en étroite collaboration avec les responsables interdépartementaux. L’objectif étant de mettre en place de multiples canaux de traitement des griefs. L’accent étant mis sur la résolution des problèmes liés au genre, en veillant à ce que la justice soit rendue. Et ce, dans les délais et en respectant la confidentialité

Conclusion

La liste des prérequis pour un lieu de travail sensibilisé au genre est difficilement résumable dans un article comme celui-ci. Cette liste n’est bien sûr pas exhaustive. Elle est encore longue pour voir un monde où les femmes ne se battent plus pour l’égalité salariale. Un monde dans lequel les femmes sont mieux représentées sur les postes à responsabilité. Où elles sont mieux représentées dans les emplois considérés comme plus propices aux hommes. Les employeurs adopteraient une position positive sur des questions telles que l’égalité entre les sexes et l’égalité raciale. Les personnes de tous les genres auraient plus d’opportunités professionnelles. Les chances de recrutement seraient les mêmes pour tous ainsi que d’obtenir une augmentation et une promotion adaptées aux compétences.

Rituparna Majumdar
International Consultant on Human Rights chez Etico Consultancy | Autres articles

Titulaire d’un doctorat en travail social et forte de plus de 15 ans d'expérience internationale, Rituparna Majumdar s’est spécialisée dans le conseil sur les Droits de l'Homme. Elle dirige actuellement la Etico Consultancy, un cabinet de conseil basé à Delhi centré sur la gouvernance d'entreprise, le commerce éthique et les conditions décentes de travail. Ses domaines de prédilection sont les droits du travail et les droits de la femme, dans lesquels l'évaluation de la conformité du lieu de travail, la recherche, le suivi, la formation et l'élaboration de politiques sont mis en œuvre dans le strict respect du Droit. Elle collabore avec de nombreuses organisations internationales de développement, dont Ksapa, la Fair Labor Association, la Fair Wear Foundation, Business for Social Responsibility, GoodWeave International, ISEAL Alliance, le Consumer Goods Forum et la Dragonfly Initiative. Rituparna parle anglais, hindi et bengali.

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