Reporting ESG - Décrypter les différences entre ISSB et CSRD

Reporting ESG – Décrypter les différences entre ISSB et CSRD

La COP 26 a marqué un tournant dans l’histoire du reporting extra-financier avec l’annonce de la création de l’International Sustainability Standards Board (ISSB) par la fondation IFRS. Cette initiative redéfinit l’équilibre des forces dans l’élaboration des standards ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance), jusqu’alors largement influencée par les travaux de l’Union européenne à travers la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). L’émergence de ces deux cadres normatifs parallèles – l’un porté par une vision anglo-saxonne, l’autre par une approche européenne – soulève des questions essentielles sur l’avenir du reporting extra-financier qu’il est crucial d’analyser.

ISSB et CSRD – De quoi parle-t-on déjà ?

Comprendre l’ISSB (International Sustainability Standards Board)

L’IFRS qui porte l’ISSB bénéficie d’une grande légitimité dans les milieux comptables et financiers

L’IFRS (International financial reporting standards), a donc créé en 2021 son comité pour les standards de durabilité, afin de créer son propre référentiel ESG. Ce comité s’appelle l’ISSB (International Sustainability Standards Board). L’IFRS est une initiative internationale privée basée aux États-Unis. Tous les acteurs comptables et financiers qui opèrent à un niveau international connaissent les différentes normes « IFRS ». Ce sont les normes internationales d’informations financières destinées à standardiser la présentation des données comptables échangées au niveau international.

Les normes comptables IFRS sont éditées par le bureau des standards comptables internationaux IASB (International Accounting Standards Board). Bien que certaines normes labellisées IAS (International Accounting Standards) peuvent encore subsister, les normes IFRS éditées par IASB sont devenues pour l’essentiel la norme depuis 2005. A noter toutefois, et c’est un détail qui n’est pas neutre dans la normalisation financière : L’IFRS a son siège dans l’État du Delaware. Hors cet État offre lui-même des marges financières et comptables similaires à ce qu’il est possible de trouver aux îles Caïman par exemple, alors que l’IASB a été créé dans un contexte du début des années 2000 où certains scandales financiers avaient mis en avant le manque de transparence des informations à la disposition de l’investisseur privé afin d’harmoniser les rapports comptables au niveau international, et de permettre aux investisseurs de déterminer la situation financière d’une entreprise.

Les normes IFRS n’ont rien de normes « nord américaines ». Depuis 2002, les entreprises de l’Union européenne faisant appel à l’épargne publique sont contraintes de présenter leurs comptes-rendus financiers en utilisant la standardisation IFRS. Cette obligation est destinée aux sociétés cotées en bourse et aux grands groupes internationaux doivent respecter les normes IFRS/IAS. Les autres sociétés n’ont aucune obligation en la matière. Les PME peuvent aussi les respecter en se basant sur un référentiel simplifié baptisé « référentiel IFRS entités privée » ou « IFRS PME ». L’IFRS dispose ainsi bien évidemment d’une très grande légitimité dans le milieu comptable et financier :

  • un public comptable et financier déjà habitué aux principes IFRS,
  • un public qui est amené à se renforcer directement lui-même sur les enjeux ESG
  • et enfin une expérience a avoir réussi à normaliser des sujets comptables et financiers alors que ce n’était pas nécessairement facile au début des années 2000.

L’IFRS a su rassembler un écosystème crédible pour normaliser l’ESG

Reste bien sûr le fait que la légitimité et l’historique sur la norme comptable et financière de l’IFRS ne donne pas spécialement ni de légitimité ni d’expertise à appréhender la réalité des enjeux et de la normalisation extrafinancière portée par l’ESG. C’est là que la composition de l’ISSB prend toute sa valeur. Il a été annoncé officiellement lors de la COP 26 de novembre 2021 que l’ISSB s’organisait comme comité en rassemblant les forces conjointes du CDSB (Climate Disclosure Standards Board) et du VRF (Value Reporting Foundation).

  • CDSB est lui-même le fruit d’une coalition d’organisations (OIT, CDP, WBCSD, WRI, SASB, Ceres, Climate Group, IETA…) visant à normaliser l’intégration de l’information concernant les questions climatiques dans l’information financière.
  • VRF n’est autre que l’alliance officialisée en juin 2021 de deux initiatives qui travaillent à l’harmonisation de l’information extrafinancière depuis une dizaine d’années : l’IIRC (International Integrated Reporting Council) et SASB (Sustainability Accounting Standards Board). L’IIRC explore les modalités pertinentes d’intégration de données ESG dans le reporting financier. SASB est mandaté pour fournir l’information ESG aux acteurs financiers et comptables des Etats-Unis, notamment en structurant des outils assistant la priorisation des enjeux extrafinanciers à explorer par secteur économique.

Ainsi, lorsque l’IFRS organise un ISSB en y associant le CDSB avec le VRF, on peut dire qu’on dispose d’une initiative internationale majeure qui se donne les moyens d’intégrer la normalisation comptable et financière avec l’information extrafinancière.

Enfin, et peut-être un gage supplémentaire d’effort d’internationalisation et de crédibilisation de la démarche ESG portée par l’IFRS : le siège de son initiative ISSB sur le reporting ESG se trouvera en Europe, à Francfort – et donc pas au Delaware.

Comprendre la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive)

La CSRD participe avant tout à un projet politique européen visant à flécher les investissements au service d’une économie plus durable

La CSRD, dans le prolongement de la SFRD et de la taxonomie européenne est une pièce maîtresse du dispositif législatif et réglementaire européen, au service des objectifs de développement durable de l’Union européenne. Destinés à favoriser les investissements – et leur transparence – dans des activités et projets alignés avec les ambitions de l’Union européenne en matière de développement durable, traduisent l’ambition portée derrière le concept de « double matérialité : il ne peut y avoir de performance financière durable sans performance environnementale et sociale et sans la prise en compte des contraintes qui doivent s’y associer. Ainsi, en avril 2021, la Commission européenne adoptait la proposition de directive sur les rapports de développement durable des entreprises CSRD. Elle opérait ainsi une avancée significative dans la rationalisation de l’accès à des données ESG de qualité. Cette nouvelle CSRD est en effet appelée à remplacer la NFRD à partir de 2023.

La CSRD s’attaque aux principales faiblesses structurelles du reporting ESG

La CSRD intègre des principes et bonnes pratiques que certaines entreprises mettent en œuvre depuis des années. Parmi elles, l’adoption du principe double matérialité, que la SFRD avait rendue obligatoire en 2019. Elle inclue aussi l’audit des données ESG, là où les entreprises de premier plan assurent la vérification de leurs informations extra-financières depuis plus de 15 ans. Enfin, elle promeut la mobilisation des dirigeants – l’un des leviers clefs de la performance durable des entreprises les plus cités ces 25 dernières années.

La CSRD devrait transformer le reporting durable des entreprises – en au moins 5 façons :

  1. Le champ d’application de la CSRD s’étend clairement à un grand nombre de PME. Pas moins de 50 000 entreprises seront désormais concernées par l’obligation de reporting durable contenue dans la CSRD ;
  2. La CSRD encourage la publication d’informations ESG à tous les échelons des entreprises, y compris dans les transactions commerciales entre investisseurs et émetteurs et à travers les chaînes de valeur.
  3. La nouvelle directive impulse la numérisation de données ESG standardisées à l’échelle du marché européen. Cette approche devrait significativement améliorer la collecte et l’évaluation des données ESG parmi les investisseurs et les gestionnaires d’actifs ;
  4. La CSRD rendra également l’audit des données ESG obligatoire. Ce processus vise à améliorer la robustesse et fiabilité des données extra-financières, souvent critiquées pour leur manque de comparabilité ;
  5. Enfin, elle fait un pas de plus vers le reporting intégré. La CSRD exige en effet de que les rapports de gestion combinent les informations financières et extra-financières en un document unique, en abordant des enjeux obligatoires.

Le Conseil de l’information financière en Europe (EFRAG – European Financial Reporting Advisory Group) est chargé d’élaborer des projets de normes et ainsi assurer la mise en œuvre de la nouvelle CSRD. L’EFRAG est une association privée créée en 2001. Avec l’appui de la Commission européenne, cette dernière vise en effet à servir l’intérêt public. Principalement financé par l’UE, l’EFRAG s’appuie sur un partenariat public-privé. Son rôle est de conseiller la Commission sur l’adoption de normes internationales d’information financière qui s’alignent bien avec le cadre juridique de la communauté européenne. À la demande de la Commission européenne, l’EFRAG a notamment publié des recommandations techniques et une feuille de route pour le développement de normes européennes d’information sur le développement durable. Il est donc attendu de l’EFRAG qu’il développe ces normes, en suivant la procédure régulière et en sollicitant la contribution experte de parties prenantes.

ISSB / CSRD : des initiatives portées par des philosophies très différentes

Dans l’esprit des normes IFRS, l’information comptable doit être « pertinente, intelligible, fiable et d’une importance relative ». Ce sont des principes sur lesquels n’importe quelle initiative qui tente d’harmoniser l’information ESG depuis 20 ans ne peut que s’accorder. D’ailleurs, officiellement, les deux initiatives ne sont pas concurrentes et se sont engagées à coopérer. Le travail est de toute façon faramineux et toute passerelle entre les initiatives sera évidemment bienvenue. Pour autant, les philosophies portées par ISSB et CSRD sont très différentes.

ISSB est au service de l’investisseur

L’ISSB déclare en effet que sa norme de reporting des entreprises doit permettre de répondre aux besoins des investisseurs. Il cible principalement la matérialité financière des risques ESG et climatiques qui pourraient affecter les investisseurs. D’ailleurs, si on regarde les normes comptables IFRS, celles-ci posent des principes plutôt que des règles, ce qui laisse aux entreprises des marges de manœuvre. Ces principes sont les suivants: l’approche bilancielle (priorité du bilan sur le compte de résultat concrètement), la primauté de la substance sur la forme, le principe de neutralité, la priorité accordée à la vision de l’investisseur, la place importante accordée à l’interprétation, et le principe de prudence. 

Ainsi, ISSB reste fondamentalement, dans la droite ligne des travaux portés par ses fondateurs depuis une dizaine d’années (IFRS, CDSB, SASB, IIRC) comme une démarche visant à informer l’investisseur de ses risques extrafinanciers. L’avenir le dira, mais les « risques extrafinanciers » se concentrent d’ailleurs avant tout sur la gouvernance et l’environnement qui a tendance à se concentrer avant tout à la question climatique. Les récentes prises de position de la SEC aux États-Unis poussent en tous cas à une vision ESG très concentrée sur les questions climatiques.

CSRD se veut au service de la société

CSRD est porté par contre avant tout par un projet davantage politique. La Commission européenne, de son côté, veut mettre en avant le concept de double matérialité, qui comprend à la fois la matérialité financière des risques ESG sur les comptes des entreprises, mais aussi la matérialité des activités de l’entreprise sur leur environnement et leur écosystème. En d’autres termes, si par exemple la question climatique présente un risque pour l’investisseur (matérialité financière), la double matérialité impose de vérifier si la gestion des actifs considérés s’inscrit dans une trajectoire climatique à la hauteur de ce qui est nécessaire pour la société. C’est très différent, et c’est indispensable pour s’assurer que les actifs viennent toujours plus alimenter une économie réelle décarbonée à la hauteur de l’impératif climatique.

La CSRD porte également une démarche nettement plus ambitieuse sur l’environnement au-delà du climat (eau, biodiversité par exemple), et sociale. Rappelons par exemple que la taxonomie européenne inscrit la démarche environnementale dans le respect de garde-fous en matière de respect des droits humains derrière le principe du « do no significant harm ». A cet effet, l’EFRAG vient récemment d’instaurer 11 groupes de travail avec plus de 70 experts pour faire avancer son référentiel. Les experts désignés par l’EFRAG viennent d’institutions financières (Danske Bank, Société Générale, etc.), d’entreprises cotées ou non, d’auditeurs, de représentants de salariés ou encore des milieux académiques. Ces groupes de travail reflètent les principaux thèmes de reporting ESG attendus, dont l’environnement, les aspects sociaux et de gouvernance, mais aussi la spécificité du reporting selon les secteurs d’activité et pour les PME.

Conclusions

Les États-Unis n’ont aucune envie de voir leurs propres marchés de capitaux se retrouver d’une manière ou d’une autre régulés par l’Union Européenne. C’est bien compréhensible. ISSB se pose ainsi avec de solides arguments pour imposer une standardisation ESG dans les prochaines années. Pour autant, la donnée ESG est certes perfectible mais devient toujours plus sophistiquée depuis 20 ans déjà. Et pourtant, rien n’indique à ce jour que la meilleure prise en compte de l’ESG dans les décisions d’investissements a pu avoir un impact significatif sur les trajectoires climatiques et environnementales globales observées encore en 2021 au travers des travaux alarmants portés par la COP 15 (biodiversité) et COP 26 (climat). Dans un contexte d’inégalités croissantes qui rendent les systèmes politiques fragiles et soumis aux aléas de régimes populistes aux prochaines élections.

La CSRD apporte des réponses intéressantes dans le concept de double matérialité et dans l’effort de lier la performance environnementale à des considérations sociales. Il permet à l’investisseur, in fine, de s’assurer que la performance ESG est bien calibrée à la hauteur des exigences de la sciences et de ce qui est acceptable dans la société. La double matérialité assure par exemple qu’un actif s’inscrit dans un effort climatique à la hauteur de ce qu’exige la science, ce qui est sain. Les considérations sociales portées par exemple par le principe du « do no significant harm » permet d’imposer une performance ESG qui explore la transition énergétique sous l’angle de la transition juste. Ce qui crédibilise les business plans et les chiffres attendus de performance d’actifs à financer.

Farid Baddache auteur de ce blog sur les thématique de résilience, d'impact et d'inclusion
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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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