RSE : Le rôle clé du CA face aux enjeux climatiques et humains

RSE : Le rôle clé du Conseil d’Administration face aux enjeux climatiques et humains

L’Afep et le Medef viennent de publier fin 2022 une mise à jour de leur code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées. Cette version intègre plusieurs modifications visant à placer la stratégie RSE, particulièrement en matière climatique, au cœur des missions du conseil. De plus en plus, les conseils d’administration sont appelés à relever les défis posés par le changement climatique, mais également les inégalités sociales ainsi que de nombreuses autres questions sensibles relatives aux droits de l’homme. Ces thématiques, accueillies favorablement par certains et rejeté par d’autres, sont attribuables en partie à l’influence importante et croissante que les entreprises exercent dans la société tout en posant des questions de compétence, diversité et incitation pour mettre ces Conseils d’Administration au niveau des enjeux.

Comprendre l’ESG et les obligations des Conseils d’administration 

Quelles sont les obligations des conseils d’administration ? Historiquement, de nombreuses questions ESG étaient considérées comme ne relevant pas de la compétence du conseil d’administration. Ces questions, appelées « responsabilité sociale de l’entreprise » ou RSE, étaient largement traitées comme si elles étaient distinctes et séparées de l’activité consistant à générer des revenus et à gagner des bénéfices. Les débats sur les obligations des administrateurs en matière de climat et d’ESG portaient souvent sur la question de savoir si les administrateurs étaient même autorisés à prendre en compte des questions qui relevaient auparavant de la responsabilité sociale des entreprises. À l’époque de Milton Friedman, des risques tels que le changement climatique et de nombreuses autres questions que nous appellerions aujourd’hui ESG étaient considérés comme des sujets pouvant avoir une incidence sur le bien public, mais n’étaient pas pertinents pour maximiser la valeur pour les actionnaires. 

Cette époque est totalement révolue. Notre compréhension de l’importance des facteurs ESG et de leur relation à court, moyen et long terme avec la performance financière a évolué au point que les principaux débats portent sur la question de savoir quand, et non pas si, ces questions sont importantes. Ainsi, que l’on soit d’accord ou non avec les débats américains illustrés par exemple autout des positions de la Business Roundtable sur l’objet social et le service aux parties prenantes et à l’économie au sens large, il est clair que le conseil d’administration a un rôle à jouer en matière des questions ESG.    

Il existe, par exemple aujourd’hui un large consensus concernant les risques physiques et de transition liés au climat. Aux USA par exemple, SASB (maintenant la Value Reporting Foundation), la Global Reporting Initiative et bien d’autres ont clairement défini les risques ESG financièrement importants pour les entreprises. Les investisseurs sont de plus en plus nombreux à demander des informations sur le climat et les facteurs ESG. Les plus grands gestionnaires d’actifs du monde et d’autres investisseurs institutionnels ont fait savoir directement et avec force qu’ils considéraient les facteurs ESG comme importants pour leur prise de décision. Quel que soit le point de vue sur l’implication des régulateurs dans la divulgation des informations climatiques et ESG, les administrateurs doivent tenir compte de ce consensus croissant et de la demande croissante des actionnaires qui les élisent.  

En conséquence, les conseils d’administration ont de plus en plus d’obligations dans la  surveillance des risques climatiques et ESG – identification, évaluation, prise de décision et divulgation de ces risques. 

  • Dans l’Union européenne, ces obligations sont par exemple directement intégrées dans la conformité du SFDR, où les gestionnaires de fonds et les fonds doivent documenter leur politique d’intégration des risques de durabilité. La politique doit être documentée pour chaque fonds, être examinée et approuvée par le conseil d’administration du gestionnaire du fond sur une base annuelle. En France par exemple, et depuis fin 2022, les recommandations AFEP-MEDEF renforcent les missions du conseil d’administration afin qu’il puisse superviser la stratégie ESG de l’entreprise. Il est ainsi recommandé que le conseil détermine des orientations stratégiques pluriannuelles dans ces domaines, notamment en ce qui concerne le changement climatique, pour lequel cette stratégie doit être accompagnée d’objectifs précis définis pour différentes échéances. Il est également recommandé que les questions ESG fassent l’objet de travaux préparatoires par un comité spécialisé du Conseil. A cette fin, les administrateurs peuvent recevoir une formation sur les questions environnementales et climatiques. Enfin, il est recommandé que la rémunération des dirigeants intègre des critères ESG, dont au moins un critère lié aux objectifs climatiques. 
  • Aux États-Unis, ces obligations découlent à la fois des lois fédérales sur les valeurs mobilières et des obligations fiduciaires ancrées dans le droit des États. En vertu des lois fédérales sur les valeurs mobilières, le conseil d’administration joue un rôle essentiel et obligatoire dans le processus actuel de divulgation d’information de l’entreprise. Cela oblige de plus en plus les administrateurs à réfléchir et à prendre en compte l’impact du changement climatique et d’autres questions ESG sur les états financiers et d’autres informations de l’entreprise. Depuis l’adoption de la loi Sarbanes-Oxley en 2002, les conseils d’administration des sociétés cotées en bourse supervisent directement l’audit des états financiers, y compris la responsabilité de la nomination, de la rémunération et de la supervision de l’auditeur indépendant. Les règles de la bourse imposent des exigences directes en ce qui concerne la surveillance des audits par le conseil d’administration, y compris le fait que les conseils d’administration discutent de toute question difficile avec l’auditeur indépendant. De même, les règles du PCAOB exigent que les auditeurs communiquent avec les conseils d’administration sur les questions importantes soulevées par l’audit. Étant donné que des questions telles que le changement climatique peuvent avoir une incidence sur l’évaluation des actifs, des stocks, de la chaîne d’approvisionnement et des flux de trésorerie futurs, la surveillance des audits par le conseil d’administration nécessite de plus en plus un engagement sur ces questions. 

Les conseils d’administration jouent essentiellement un rôle important dans la surveillance d’autres types d’informations publiées en dehors des états financiers. Ces divulgations peuvent également impliquer des considérations ESG. Le devoir de diligence d’un administrateur exige fondamentalement que le conseil soit bien informé lorsqu’il prend des décisions d’entreprise. Lorsque ces décisions concernent, par exemple, des stratégies commerciales à long terme, le conseil d’administration peut avoir besoin de s’assurer qu’il dispose d’informations pertinentes sur les risques et les opportunités liés au climat et à l’ESG auxquels l’entreprise est confrontée.     

Tout ceci suggère que le changement climatique et les autres questions ESG devraient être des sujets réguliers et solides pour le conseil d’administration, que ce soit lors des réunions du conseil complet ou des comités clés, tels que le comité d’audit, le comité de rémunération ou le comité des risques. Ou peut-être, comme certaines entreprises l’ont déjà fait, traitées de manière plus centralisée par un comité de durabilité ou ESG du conseil. 

Atténuer les risques ESG et maximiser les opportunités ESG

La reconnaissance croissante de l’importance du climat et de l’ESG présente à la fois des risques et des opportunités pour les entreprises et leurs conseils d’administration. Du côté des risques, il y a, entre autres, le risque physique, le risque de transition et le risque réglementaire. Il y a aussi le risque de réputation, car les investisseurs et les consommateurs prennent de plus en plus leurs décisions en fonction du profil de durabilité des entreprises. Il y a aussi les risques liés au capital humain, dans la mesure où les jeunes travailleurs accordent de plus en plus d’importance à l’alignement des valeurs de l’entreprise sur les leurs. 

On s’attend de plus en plus à ce que les conseils d’administration jouent un rôle clé dans la gestion de ces risques. Un élément essentiel du cadre créé par le groupe de travail sur la publication d’informations financières liées au climat est la divulgation de la surveillance exercée par le conseil d’administration des risques et opportunités liés au climat. Le Forum économique mondial a publié un livre blanc expliquant que les conseils d’administration doivent intégrer les facteurs ESG dans la gouvernance d’entreprise dans la mesure où la « création de valeur commerciale » dépend de plus en plus de la compréhension et de la gestion de ces risques et opportunités. 

Il est important de noter que tous ces risques présentent également de grandes opportunités. Les conseils d’administration qui cherchent de manière proactive à intégrer le climat et l’ESG dans leur processus décisionnel non seulement atténuent les risques, mais positionnent mieux leurs entreprises et leurs modèles d’activités pour qu’ils puissent rivaliser pour obtenir des capitaux sur la base d’une bonne gouvernance ESG. 

Quelles sont donc les étapes clés pour les conseils d’administration qui cherchent à maximiser les opportunités ESG, à faire connaître leur engagement sur ces questions et à se positionner en tant que leaders ESG ? 

1. Renforcer la diversité du conseil d’administration 

Les entreprises ont de nombreuses raisons de chercher à améliorer la diversité de leur conseil d’administration, notamment parce que les investisseurs attendent de plus en plus d’elles qu’elles le fassent. Le renouvellement des conseils d’administration offre la possibilité de nommer de nouveaux administrateurs, et le fait de mettre l’accent sur la diversité augmente la probabilité que les nouveaux administrateurs apportent de nouvelles idées. Ceci, à son tour, pourrait faciliter des approches plus actuelles et proactives de la gouvernance climatique et ESG. 

2. Accroître l’expertise du conseil d’administration 

Pour traiter efficacement les risques climatiques et ESG, les conseils d’administration doivent disposer d’une expertise adéquate sur ces sujets. Les investisseurs soulignent de plus en plus leurs attentes sur ce point. Pourtant, la recherche et l’expérience empirique montrent que les administrateurs peuvent encore manquer de compétences en matière d’ESG. Les entreprises devraient envisager des moyens d’améliorer les compétences ESG de leurs conseils. Ces efforts pourraient inclure l’intégration des considérations ESG dans leurs processus de nomination afin de recruter des administrateurs qui apporteront une expertise ESG au conseil ; des efforts de formation et d’éducation pour améliorer l’expertise des membres du conseil sur les questions ESG ; et envisager l’engagement d’experts externes pour fournir des conseils et des orientations aux conseils. 

3. Intégrer l’ESG dans la rémunération des dirigeants 

La rémunération des dirigeants est un outil puissant pour atteindre les objectifs stratégiques de l’entreprise. Cette dynamique ne se limite pas à lier simplement la rémunération des cadres à certains objectifs financiers de l’entreprise. En plus de contribuer à la réalisation d’objectifs stratégiques liés à des questions telles que la réduction des émissions de carbone ou l’augmentation de la diversité de la main-d’œuvre, le fait de lier la rémunération des cadres à des mesures ESG peut constituer un moyen important de respecter l’engagement d’une entreprise envers les questions qui comptent pour les investisseurs et les consommateurs. 

Conclusion : Travailler à l’interface des questions climatiques et sociales pour identifier la voie à suivre 

Si les cadres juridiques varient d’une juridiction à l’autre, il est généralement admis que les administrateurs agissent en tant que fiduciaires de la société dans l’exercice de leurs fonctions et qu’ils ont des obligations de loyauté, de soin et de diligence envers la société. Il est clair que l’ESG devient de plus en plus un devoir obligatoire et que les conseils d’administration doivent donc travailler sur la diversité, les compétences et les incitations afin d’accélérer les transitions nécessaires pour les actifs dont ils ont la charge. 

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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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François travaille chez Ksapa en tant que consultant en développement durable. Il est aussi chargé de plaidoyer et de support juridique.

Ayant éprouvé très tôt un vif intérêt pour le développement durable, François a été amené à réaliser un Master en Human Rights and Multi-level Governance à l’Université de Padoue. Il est aussi titulaire d'un Master en Droit International Economique de l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Passionnée par la thématique du développement durable, il aspire travailler à la construction d'une économie plus respectueuse des droits humains et de l'environnement.

François parle couramment le français, l’anglais, le gourmantché et le Moore.

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