Tirer les enseignements du Covid-19 et bâtir des sociétés plus résilientes

La crise ouverte posée par la catastrophe sanitaire internationale du Covid-19 est instructive à plus d’un titre. L’urgence sanitaire de court terme permet de tirer des enseignements pour bâtir des sociétés plus résilientes. La crise sanitaire offre une occasion unique d’ancrer les questions de développement durable au cœur de toute ambition Politique, et de toute stratégie d’entreprise. Voici 5 principes tirés de la crise sanitaire, économique et sociale imposée par Covid-19, à appliquer dès à présent, sans modération.

Quel développement durable en pleine crise sanitaire?

Ce sont des considérations hygiénistes, tirées par des pollutions et des crises sanitaires majeures qui ont organisé le droit environnemental dès la fin du 19e siècle dans les économies industrielles. Nos sociétés sont en pleine crise environnementale et sociale. Si Covid-19 vient imposer l’urgence d’une crise sanitaire, toute considération de développement durable de plus long terme n’a rien de secondaire : Covid-19 vient encore davantage légitimer le développement de sociétés plus résilientes et plus durables, pour au moins 3 raisons :

  • Nos sociétés se sont bâties autour des principes de l’échange, la vie collective et l’interaction sociale. Le confinement et la distanciation sociale viennent nous frapper au plus profond de notre humanité ;
  • Des années d’efforts à tenter de créer de la consommation durable, réduites à néant par des consommateurs affolés qui se jettent sur des féculents et des produits d’hygiène ;
  • Des perspectives environnementales pressantes – climat, eau, biodiversité – devenues d’un coup lointaines et secondaires sous la pression d’interactions toujours plus digitalisées et énergivores et d’impératifs hygiénistes et sanitaires accroissant la pression sur les ressources et la production de déchets à usage unique…

Pourtant, il y a bien fort à parier que :

  • Non seulement la dégradation environnementale et la concentration démographique urbaine ont joué un rôle dans l’apparition du Covid-19 ;
  • Mais également, des économies toujours plus digitalisées et interconnectées ont accéléré le phénomène pandémique ;
  • Et enfin, tant l’absence de moyens portés par la Puissance Publique et la recherche fondamentale, que la dilution des instances de coordination internationale n’auront permis d’anticiper, suivre, et gérer la cris à la hauteur des enjeux.

Les questions portées par la crise Covid-19 ouvrent donc évidemment un débat de fond sur les questions de développement durable. Derrière la crise Covid-19 se posent très rapidement les questions de résilience (adaptation à des chocs) et d’inclusion (capacité à intégrer dans un tout les différentes composantes sociales). Climat, biodiversité, énergie, eau, bioterrorisme… derrière Covid-19 se profilent de nombreuses crises majeures, globales et locales, qui mettront encore à rude épreuve le Politique, les entreprises et les citoyens dans la décennie à venir.

  • Pour le Politique, tirer les enseignements de Covid-19, c’est explorer les principes d’un développement plus durable de nos sociétés ;
  • Pour les entreprises, Covid-19 est un formidable accélérateur de robustesse des opérations et supply chains encourageant à réduire l’incidence des risques physiques par la diversification des sources d’approvisionnement et l’adoption d’un plan de continuité d’activité opérationnelle.

Quels principes appliquer au cœur de tout projet Politique et économique?

1. Agilité

Nos sociétés sont devenues tellement complexes qu’elles en sont ingérables. Les subprimes ont montré combien les produits financiers étaient devenus complexes. La crise climatique a montré combien l’interconnexion des responsabilités entre acteurs rendait sa gestion complexe. Les révolutions digitales en cours fabriquent des systèmes de traitement de données à une échelle exponentielle, rendant la compréhension des algorithmes et mécanismes de décisions impossible.

La création, la diffusion et le séisme politique, social et économique mondial provoqué par Covid-19 présentent un cocktail détonnant de cette complexité devenue ingérable.

  • Aux côtés de Covid-19 coexistent une vingtaine de maladies à portée pandémique, certains à portée plus régionale, mais qui ont en commun de créer de multiples crises sanitaires aux portées sociales et politiques majeures. Les impacts humains, sociaux et politiques d’Ebola ont été majeurs pour nombre d’économies africaines, par exemple ;
  • Complexité et dépendance de chaînes d’approvisionnements mondiales interconnectées, dans lesquelles la Chine est devenue le point névralgique, rendant les entreprises et le Politique éminemment dépendant des fluctuations chinoises, mais démontrant en même temps combien les supply chains sont devenues vulnérables à différents aléas sanitaires, environnementaux ou sociaux exceptionnels. Une récente étude montre que 80% des entreprises estiment que leurs supply chains sont directement impactées par Covid-19 par exemple ;
  • Impuissance enfin du Politique, à l’instar de l’Organisation Mondiale de la Santé qui aura annoncé avec force et précision le désastre sanitaire sans réussir à mobiliser les États, institutions et acteurs privées pour orchestrer une réponse coordonnée proactive.

Face à cette complexité grandissante et inextricable, la réponse est du domaine de l’attitude et renvoie au concept d’agilité.

  • Agilité stratégique à structurer des filières économiques capables de s’adapter aux chocs. Qu’une autre crise sanitaire majeure, aléa climatique majeur, catastrophe industrielle de type Fukushima ou autre advienne, la diversification des sources d’approvisionnement est le maître mot. La résilience passe par cette capacité rapide d’adaptation, même pour des activités des plus capitalistiques ;
  • Agilité opérationnelle à appréhender les implications complexes posées par toute crise, qui renvoie à la notion d’interdisciplinarité et de diversité de points de vues. La crise sanitaire posée par Covid-19 invite tout un chacun à revoir son activité à l’aune des questions hygiénistes posées en matière de transmission, distanciation sociale et autres considérations opérationnelles. Une crise climatique, environnementale ou industrielle majeure renverra au même concept d’agilité opérationnelle. Travailler sous canicule. Travailler sous menace bioterroriste. Travailler sans eau ou sans énergie sur des temps longs…
  • Agilité collaborative. La crise du Covid-19 a montré enfin combien les alliances traditionnelles ont limité la capacité de développement de réponses pertinentes. Le mystère de l’émergence d’une souche italienne non issue de voyageurs directement revenus de zones à risque a rapidement posé la question des techniques de suivi et de protections en place, insuffisamment adaptées à la réalité de dissémination du virus. Demain, les réponses à des crises caniculaires, sanitaires, industrielles ou autres renverront aux mêmes questions d’agilité collaborative. Les questions caniculaires par exemple exigent des réponses normatives, urbanistes tout autant que sociologiques et économiques.

2. Collectif

Les crises d’ampleur exigent des réponses collectives et coordonnées. Sans blâmer personne, les actions individualistes sont irresponsables et renforcent les effets de crises. Concernant Covid-19 et la crise sanitaire, par exemple:

  • Quitter les agglomérations pour se réfugier dans des zones rurales sans certitude de test covid-19 négatif, c’est prendre le risque de faciliter la diffusion du virus, dans des zones à plus faible offre de santé adéquate, et donc faciliter la diffusion pandémique ;
  • Stocker et développer des comportements d’achats irrationnels, c’est contribuer à mettre sous tension les systèmes de réapprovisionnements, et créer de la pénurie là où il n’y en a pas.

Dans un tout autre contexte, rappelons le : la débâcle française de juin 1940 n’a pas été le fait d’une supériorité militaire allemande. Surpris de leur avancée, les Allemands n’avaient pas de soutien logistique et ont souvent dû s’arrêter par manque d’essence. C’est bien la fuite désordonnée sur les routes de millions de civils affolés qui a rendu le redéploiement de l’armée française beaucoup plus complexe, et la défaite inévitable.

Ainsi, au plus fort de crises – et Covid-19 en fournit une excellente illustration – c’est bien l’approche collective disciplinée qui permet de surmonter les chocs et créer plus rapidement les conditions de la résilience. Plusieurs enseignements sont ainsi à méditer pour toute crise sanitaire, industrielle ou environnementale à venir :

  • Offrir une vision collective pour donner envie de « passer l’orage ensemble ». Chaque crise vient durablement bousculer les systèmes et les habitudes, autant que questionner les systèmes économiques et sociaux qui ont été à l’origine de la crise. Une vision collective, portée par le Politique, autant que des acteurs économiques, doit ouvrir la porte à la réforme, remise en question, pour dessiner un futur meilleur dans lequel le collectif peut entrevoir des correctifs et des améliorations ;
  • Créer les conditions d’une discipline collective. En réponse, le jeu collectif doit clairement définir des rôles. Individus, entreprises, acteurs en première ligne doivent chacun identifier le rôle à jouer pour permettre au collectif de progresser et dépasser la situation de crise ;
  • Valoriser les contributions individuelles. Il n’y a pas de petite contribution. Le rôle de chacun est décisif pour permettre un progrès collectif. Plus c’est concret, mieux c’est pour inclure chacun, et accroître les contributions individuelles à l’effort collectif.

3. Transparence

A l’ère des médias sociaux, tout un chacun peut développer une grande expertise sur des sujets pointus, mais la circulation de fausses informations est également grandement facilitée. Il n’y a donc pas d’autre solution: il faut décider et agir en transparence. La rétention d’information facilite la défiance. La défiance ne permet pas de créer du collectif.

Ainsi, quelques enseignements peuvent, là encore, s’appliquer:

  • Réduire toute asymétrie d’information entre acteurs. Les sujets sont souvent techniques, et nombreux pseudo experts ont des solutions toutes faites. Éduquer, expliquer, traduire et vulgariser au besoin : la transparence commence par l’exigence de s’assurer que tout un chacun dispose et comprend un même niveau d’information ;
  • Expliquer les arbitrages. La gestion de crises est complexe et n’offre généralement pas de solution parfaite. La transparence invite à l’étalage des options disponibles, avec leurs avantages et inconvénients. En situation de crise, le débat n’est pas toujours permis, mais permettre à chacun de connaître les options possibles et les choix opérés participe de l’adhésion ;
  • Fournir les sources. Chiffres, études, conseils… les décisions sont prises sur la base de consultations élargies. Chaque consultation s’appuie sur des biais, des intérêts, des influences intéressées, des partis pris idéologiques. Il n’y a pas de processus parfait, ni d’équilibre idéal. La transparence invite toutefois à fournir les sources afin que chacun puisse croiser les données brutes avec sa propre compréhension des enjeux ;
  • Rester ouvert à la contradiction. Puisqu’il n’y a pas de solution parfaite, il y a forcément des améliorations et une complexité de situations jamais totalement décryptée. La transparence invite au débat, à la contradiction, à l’écoute attentive d’opinions diverses. Les options créatives et pertinentes sont celles qui s’enrichissent de la contradiction.

4. Puissance publique

Covid-19 vient rappeler un principe essentiel dans la gestion d’enjeux de développement durable : le secteur privé ne peut pas tout. L’initiative individuelle a ses limites. Les grands enjeux sociétaux, environnementaux et sanitaires exigent de la Puissance publique qu’elle puisse organiser, investir et préserver des espaces qui imposent un niveau de risques qui ne peut être porté par l’initiative privé, tout en servant un intérêt général.

A cet effet, Covid-19 est révélateur par exemple d’un déficit de Puissance publique sur deux enjeux sociétaux majeurs de nos sociétés. Il est peu dire que nombre d’experts et de professionnels ont tiré la sonnette d’alarme depuis 30 ans:

  • Déficit d’investissements en recherche fondamentale, le secteur privé préférant se concentrer sur la recherche offrant des débouchés applicatifs plus immédiats ;
  • Déficit d’investissements dans la santé, plus ou moins capable de gérer le tout venant dans les pays qui continue d’y injecter des fonds publics, mais largement sous équipée pour absorber des crises.

Ainsi, Covid-19 offre une opportunité unique de remettre la Puissance publique face à ses responsabilités. Des crises sanitaires, sociales, environnementales ou industrielles se répéteront. La Puissance publique a pour première responsabilité de protéger sa population, et d’assurer ainsi la meilleure connaissance et la meilleure capacité d’investissements possibles pour absorber les chocs sanitaires, climatiques ou sociaux.

Une bonne nouvelle, enfin. On croyait les États ruinés et concentrés sur la gestion de leurs déficits, par conséquent incapables d’investir sur les grands enjeux sociétaux et environnementaux de la décennies. L’urgence et l’ampleur de la crise Covid-19 a brusquement démontré le contraire. La mobilisation rapide de fonds à grande échelle permet d’entrevoir une gestion des questions climatiques et environnementales notamment, sous un jour nouveau.

5. Gestion des injonctions contradictoires de court et de long terme

Le directeur du site nucléaire de Fukushima, fort expérimenté, a fait le choix de noyer sous des tonnes d’eau les réacteurs les plus en risque. Les impacts de long terme sont catastrophiques d’un point de vue environnementale. L’énergéticien employeur a accusé de surcroit ce directeur d’avoir ainsi détruit son outil de travail alors qu’il était payé pour le protéger…

Ce directeur a dû gérer des injonctions contradictoires et faire des choix de court terme, au détriment du long terme. Bien facile de critiquer ses choix hors contexte, hors temps et hors situation. Mais cet exemple renvoie toutefois sur un principe essentiel, à retenir de Covid-19 également : comment conserver au quotidien une attitude permettant de faire toujours les meilleurs choix répondant à l’urgence, sans hypothéquer l’avenir ?

Conclusion : 5 principes pour créer de la résilience

En discussion avec nombre de clients et contacts, nous voyons combien nos clients souffrent subitement d’un manque de perspective et de sens dans leurs métiers, face à l’urgence de la crise Covid-19 qui vient rendre périphérique nombre de considérations.

Au contraire ! Covid-19, comme toute crise, offre également l’opportunité de questionner et réformer nos systèmes économiques et politiques, pour en créer les conditions de résilience. La décennie qui s’annonce va bousculer sérieusement nos économies, et Covid-19 n’en est qu’une manifestation parmi d’autres à venir. Tirer les enseignements de la crise sanitaire en cours, méditer sur les 5 principes partagés dans cet article, c’est nourrir des réflexions essentielles que tout Politique et toute entreprise doit porter afin de contribuer à créer des systèmes plus résilients : agilité, collectif, transparence, puissance publique, gestion des injonctions contradictoires.

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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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