Ksapa s’est joint à un collectif pour explorer les principaux enseignements de l’index de la consommation durable développé par le centre de recherche NYU Stern et partage 3 solutions pour amplifier la consommation responsable.
Face à la pandémie de la Covid-19, entreprises et investisseurs semblent plus au fait de leur responsabilité à agir à l’interface entre récession et inégalités. Du moins une plus grande sensibilité aux risques qui entravent la réalisation des Objectifs de Développement Durable d’ici à 2030 s’impose-t-elle à la faveur des 12 000 milliards de dollars d’opportunités commerciales qui y sont rattachés.
La croissance des entreprises reste bien trop souvent indexée sur la vente de plus de produits à une base d’acheteurs toujours plus large. Avec une projection de la population mondiale à 9 milliards d’habitants d’ici à 2050, cette tendance ne saurait se démentir, d’autant plus qu’avec l’essor des économies émergentes, la classe moyenne devrait compter 3 milliards d’individus avant 2030. Pourtant, pour nombre de consommateurs, la pandémie actuelle ne fait qu’entériner la prise de conscience croissante des crises climatiques et socio-économiques qui se profilent.
Déjà en 2019, 73 % des consommateurs affirmaient vouloir réduire l’empreinte écologique de leurs achats. Les choix de consommation n’en sont pas moins évalués au prisme de la praticité, du prix et des valeurs personnelles. Ce contraste apparent peut également être déterminé par la disponibilité des produits, 26 % des personnes sondées déclarant rechercher davantage d’options écologiques. Au cœur de cette évolution, les 40 % de consommateurs de la Génération Z qui considèrent qu’une origine durable des ingrédients est primordiale, suivis de près par 38 % de Milléniaux et 34 % de Baby-Boomers.
Ksapa a récemment rejoint un groupe de travail pour l’activation de mode de consommation plus durables. Le cadre du débat a été posé par Randi Kronthal-Sacco, du centre de recherche NYU Stern sur l’entreprise durable. Ksapa relaie ici les principaux enseignements de l’index de la consommation durable et met en lumière ses implications pour les entreprises, ainsi que des solutions pour une consommation plus responsable.
Enseignements de l’index de la consommation durable
Le Sustainable Share Index est une étude à grande échelle des achats durables aux Etats-Unis entre 2013 et 2018, sur la base de codes-barres du commerce de détail recueillis par l’IRI. L’analyse porte sur 36 catégories de biens de consommation emballés (BCE), représentant 41 % du volume total des BCE en dollars. L’objectif était d’évaluer l’impact de message de marketing « vert » sur les parts de marché des produits dits durables. La principale conclusion est que les produits présentés comme durables ont connu une croissance 5,6 fois plus rapide que les autres. Alors que les produits présentés comme durables représentaient 16,6 % du marché total des BCE en 2018 (contre 14,3 % en 2013), ils ont rassemblé 50,1 % des parts de la croissance de ce marché.
Voici un condensé des conclusions clefs de l’étude :
- La croissance des produits présentés comme durables s’est montrée plus importante que la croissance globale de 33 des 36 catégories de produits analysées.
- Les produits dits durables bénéficient d’une plus-value de 39,5 % par rapport à leurs alternatives conventionnelles, gagnant 5,3 points de pourcentage entre 2014 et 2018.
- Dans 4 des 5 catégories priorisées, des produits bénéficiant de certifications ont plus d’impact que d’autres produits simplement présentés comme durables.
- L’argumentaire axé sur le développement durable est souvent déterminé par la catégorie de produits, la mention de l’agriculture biologique ayant généralement le plus d’impact.
Les parts de marché des produits présentés comme durables ont continué à augmenter en dépit de l’impact de la pandémie du Covid-19 sur l’économie et les chaînes d’approvisionnement. En effet, avec une part de marché de 17 % au premier semestre 2020, les produits présentés comme durables ont vu leurs ventes augmenter de 56 % au cours du troisième week-end de mars, alors que pour faire face aux mesures de confinement, on stockait les denrées de base en masse. En effet, plus de 70 % des consommateurs ont estimé avoir acheté davantage ou autant de produits dits écologiques. La croissance des produits présentés comme durables a généralement surpassé celle des BCE, une tendance qui ne s’est pas infléchie depuis. Bien au contraire, ces chiffres laissent entendre que les consommateurs ont globalement adopté les produits dits durables qu’ils avaient testés pendant leur confinement.
Implications de l’index de la consommation durable pour les entreprises du secteur de la grande consommation
L’index de la consommation durable vise à évaluer l’efficacité du marketing durable grâce à l’analyse de codes-barres. S’intéresser à l’essor d’un mode de consommation plus responsable implique de prendre en compte la stratégie commerciale sous-jacente. La question est plutôt de savoir si les modèles de croissance reposent uniquement sur le consumérisme et au prix de quel impact socio-environnemental. La disponibilité limitée des ressources naturelles affecte-t-elle la croissance et les entreprises qui en bénéficient pourvoient-elles réellement à l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble des acteurs de leurs chaînes d’approvisionnement ? En guise de réponse, Ksapa liste 3 leviers clés pour activer un mode de consommation plus responsable – à savoir le porte-monnaie, le corps et la tribu.
1. Le porte-monnaie
Indépendamment de notre conscience de l’impact du changement climatique sur notre quotidien, nos achats restent avant tout déterminés par le prix. Vient ensuite notre perception de l’efficacité des produits, pour laquelle le consommateur est souvent prêt à dépenser davantage.
Conduite en 2018, une enquête mondiale de Nielsen montrait que 49 % des personnes interrogées seraient enclines à payer des prix plus élevés que la moyenne pour des produits répondant à des normes de qualité et de sécurité, qu’elles avaient tendance – à juste titre ou non – à associer à des pratiques durables. De fait, 46 % des consommateurs priorisent la sécurité et fonctionnalité avant tout et se montrent donc particulièrement sensibles à la mention de l’absence de sulfates, hormones et minéraux perçus comme nocifs, tandis que 38 % affirmaient être prêts à payer davantage pour des matériaux durables et 30 % pour des engagements de responsabilité sociale. Malgré une hausse des prix, le marché indien des produits de soin dits naturels connaît par exemple une croissance deux fois plus élevée que ces alternatives.
L’index de la consommation durable prouve d’ailleurs la prévalence du rapport qualité/prix. Les chiffres montrent que les consommateurs sont par exemple peu enclins à transiger sur la performance de leur produits d’hygiène et d’entretien, en particulier pour la lessive ou les serviettes hygiéniques. L’étude souligne notamment que les produits d’hygiène présentés comme durables ont généralement plus de succès commercial lorsqu’ils sont associés à des allégations d’efficacité explicites. Ainsi, les serviettes hygiéniques et la lessive ont-elles affiché une croissance de 150 % de la part de marché des produits dits durables, une tendance que devrait renforcer la crainte de contagion liée à la pandémie mondiale du Covid-19.
2. Le corps
L’exemple des produits d’hygiène est particulièrement intéressant car l’industrie jouit d’une croissance quasi-ininterrompue. Par exemple, la famille américaine moyenne dépense 600 à 800 dollars par an en produits d’entretien. Là encore, cette tendance ne fera que s’accentuer compte tenu de la pandémie actuelle et ce, indépendamment de l’abondance d’études scientifiques démontrant la nocivité des produits chimiques pour l’air et l’eau, la biodiversité et l’alimentation.
Aux prises avec l’apparente contradiction de nettoyer sa maison avec des produits toxiques pour l’environnement, les consommateurs américains tendent à prioriser les allégations de non toxicité avant tout, en y accordant une note moyenne de 4,09 sur 5. Alors que les consommateurs s’efforcent d’aligner leur produits d’entretien avec leurs convictions environnementales, un marketing négatif peut générer des réactions psychologiques contraires. De fait, basées sur la valeur choc de certaines images, les campagnes de protection de l’environnement ont surtout produit de l’indifférence, voir des comportements contre-productifs.
Les dirigeants de l’industrie des soins personnels ont donc eu tendance à pécher par excès de prudence, s’ils tant est qu’ils aient véritablement envisagé de recalibrer leurs recettes. Ils ont le plus souvent cherché à renforcer les habitudes d’achat de leurs consommateurs, arguant notamment que le prix d’un retrait des rayons serait prohibitif si le marketing durable de leurs produits devait être jugé trompeur.
3. La tribu, ou la perception communautaire des habitudes de consommation
L’essor de consommateurs Milléniaux ou de génération Z plus sensibles aux enjeux d’une consommation durable et éthique affectera vraisemblablement nos habitudes de consommation – et avec elles, le marketing des entreprises. En outre, ce contingent croissant tend à jouir d’un revenu disponible plus important, se mobiliser pour une plus grande variété de causes et avoir un rapport plus pragmatique à la puissance publique et privée. Pinterest a par exemple signalé une augmentation de 69 % des recherches sur le développement durable de ses usagers, le terme « mode de vie durable » devenant le plus recherché et les requêtes du type « mode de vie durable pour les nuls » augmentant de 265 %.
Généralement rompus aux codes numériques, les Milléniaux et la Génération Z sont très enclins à promouvoir publiquement les marques qu’ils apprécient, mais aussi à renoncer à celles qu’ils considèrent contraires à leurs valeurs. Selon le Baromètre de confiance Edelman de 2020, 60% des consommateurs américains comptent en effet acheter ou boycotter les marques en fonction de leur engagement pour l’égalité raciale, suite aux violences policières et aux manifestations du mouvement Black Lives Matter.
L’avènement du consommateur militant s’illustre sur les médias sociaux, où les boycotts abondent, tout comme les appels aux annonceurs pour qu’ils cessent de soutenir des médias contentieux. Les entreprises se sont adaptées à ce tribalisme de marque en renversant la segmentation traditionnelle du marketing (principalement basée sur des indications de géographie, démographie et revenus), pour y adjoindre des informations sur les intérêts et les vocations individuels. Par exemple, les entreprises qui proposent des abonnements avec un tarif étudiant notent que 90 % d’entre eux sont prêts à payer le prix fort à la fin de leurs études. Cela signifie également que des normes de consommation émergent au sein des tribus de consommateurs, où seuls certains comportements d’achat sont jugés socialement acceptables. Les entreprises l’ont compris et recrutent de plus en plus d’ambassadeurs et influenceurs de marque. Une étude réalisée en 2015 montrait que si l’occasion leur était donnée, 80 % des consommateurs informeraient leurs proches des engagements sociétaux des entreprises auxquelles ils feraient confiance et plus de 70 % proposeraient un don ou du bénévolat aux œuvres caritatives qu’elles soutiendraient.
Solutions pour un mode de consommation responsable
Compte tenu des implications commerciales de l’indice de consommation durable, généraliser un mode de consommation plus responsable dépend de notre capacité à activer simultanément un ou plusieurs de ces 3 leviers.
1. Le levier règlementaire pour aplanir les écarts entre les entreprises
Remettre en question la primauté du rapport qualité/prix implique de faire en sorte que les allégations socio-environnementales ne constituent plus un avantage concurrentiel. Nombre de grandes entreprises ont en effet demandé aux institutions multilatérales d’uniformiser les règles du marché via des règlementations transversales, à l’image de la récente proposition de directive européenne sur la diligence raisonnable obligatoire en matière de droits de l’homme.
Dans le même esprit, les écolabels reposent sur la certification par un tiers. En effet, deux tiers des consommateurs en France, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Espagne, en Suède, au Royaume-Uni et aux États-Unis sont favorables à l’étiquetage carbone des produits. Pour l’instant, seul le Danemark l’a rendu obligatoire et uniquement pour les aliments vendus dans les supermarchés. D’aucun argumentera qu’une telle mesure créerait une distorsion du marché, une analyse du cycle de vie d’un produit alimentaire évaluée par des pairs et conforme aux normes ISO coûtant entre 10 et 20k/£ par unité de gestion des stocks.
2. Expliciter l’information pour toucher le consommateur
Autre défaut de la solution normative, l’étiquetage des produits doit toucher le consommateur, en lui démontrant qu’ils sont bénéfiques et pour eux et pour la planète. Alors qu’une étude justifiait l’étiquetage carbone des produits alimentaires par une amélioration de 5% de l’empreinte carbone du régime alimentaire d’un individu, les consommateurs sont désormais confrontés à un barrage de messages et labels divers. A titre d’exemple, l’index global des écolabels recense 457 entrées dans 199 pays et 25 secteurs, avec 10 logos différents pour les produits biologiques.
Lorsqu’un emballage comporte ce type d’indications, il est malaisé de les déchiffrer. Les entreprises ont fait pression pour communiquer sur le potentiel de réduction des émissions de carbone de leurs produits en utilisant le système métrique, mais il est difficile de jauger comment un kilo de carbone affecte notre vie quotidienne. Inspirés par le marketing « à faible teneur en carbone » du jus d’orange de Tesco, les scientifiques ont estimé qu’il faudrait 32 ans d’achats quotidiens pour économiser la même quantité de carbone qu’un vol aller-retour le entre Royaume-Uni et l’Espagne. En l’absence d’indications contextuelles, le consommateur déduit au mieux qu’une entreprise agit pour le climat des indications sur l’emballage de ses produits. Ce n’est pas la même choses que de lui donner les clefs pour comparer différents produits et acheter l’option la plus saine et pertinente pour lui.
3. Mobiliser les technologies numériques pour la transition collective
Parce qu’elles permettent d’activer de concert les 3 leviers du comportement de consommation durable, Ksapa décrit dans son rapport « Toward 2030 » l’importance des technologies numériques pour infléchir notre mode de consommation. En effet, généraliser le recours aux technologies numériques affecterait à la fois le marketing et la consommation, les consommateurs se tournant de plus en plus vers des marques capables de leur offrir une expérience client enrichie. Il s’agit de dépasser la logique de l’emballage et d’interagir plus directement avec le consommateur, par exemple par codes QR interposés qui renverraient vers des contenus optimisés pour le partage sur les réseaux sociaux ou présentés visuellement et en détail sur des sites internet dédiés.
Avec 12 millions d’utilisateurs, Yuka offre un exemple parlant du potentiel des applications mobiles à pousser les marques à améliorer leurs produits. L’algorithme de Yuka utilise 3 critères d’évaluation des produits alimentaires, avec 60 points pour leur qualité nutritionnelle, 30 pour la présence d’additifs et leur niveau de risque et 10 pour leur labellisation biologique. Un sondage a montré que 83 % de ses utilisateurs affirmaient acheter moins mais de meilleure qualité, alors que 94 % avaient cessé d’acheter certains produits en raison de scores négatifs. En effet, confronté à une campagne médiatique autour de ses scores sur Yuka, Intermarché s’est engagé à retirer 142 additifs de 900 de ses recettes.
D’autres médias peuvent entrer en jeu, qui mobilisent plus directement le consommateur. Des études universitaires ont notamment démontré la capacité de la réalité virtuelle à activer une cognition incarnée. Par exemple, une simulation de l’acidification des océans a généré plus d’empathie qu’une expérience similaire en vidéo, tandis que le fait de mettre les consommateurs littéralement dans la peau d’espèces menacées pourrait modifier leur rapport à la nature. Non seulement le consommateur tirerait parti de connaissances sur l’impact socio-environnemental des produits qu’il achète, mais il y arriverait plus vite et de manière plus dynamique.
Conclusion | Aider le consommateur à relever les défis du développement durable
Selon le CDP, 90 % de l’empreinte carbone du secteur des biens de consommation se situe dans sa chaîne de valeur, l’approvisionnement en matières premières générant des risques majeurs pour l’entreprise. La consommation effrénée et la perturbation de la chaîne d’approvisionnement provoquées par le Covid-19 et les mesures de confinement connexes illustrent l’urgence pour les marques de reconsidérer leurs modèles de création de valeur et de structuration au sens large.
Diane Osgood cordonne le groupe de travail sur la consommation durable que Ksapa a rejoint et souligne que « la demande mondiale pour des produits durables devrait s’accélérer à mesure que nombre de consommateurs optent pour des modes de vie plus durables. Pour rester pertinentes et appuyer une relance véritablement inclusive, les entreprises doivent donc s’adapter à cette nouvelle tendance, mais aussi contribuer à son expansion« . En d’autres termes, les entreprises doivent améliorer la manière dont elles communiquent les caractéristiques des produits durables et ainsi mobiliser le consommateur dans leur sillage. Elle ajoute « nous prévoyons de nous réunir tous les mois, précisément pour examiner les modalités pratiques de cette démarche« .
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Forte d’une expérience internationale auprès de structures publiques, privées et associatives, Margaux Dillon intervient chez Ksapa en tant que consultante en développement durable et responsabilité des organisations.
Elle avait auparavant travaillé pour les cabinets Deloitte et Quantis, assuré la promotion institutionnelle de l’infrastructure de recherche sur les écosystèmes ENVRI+ pour le compte de l’INRA, et contribué au reporting extra-financier du groupe Total.
Margaux est de nationalité franco-américaine et est titulaire d’un Master en histoire, communication, entreprises et affaires internationales ainsi que de deux certifications en développement durable de l’IEMA et Centrale-Supélec. Elle parle anglais, français et espagnol.