Ksapa a organisé un wébinaire sur la mise en place de solutions pour des chaînes d’approvisionnement en matières premières résilientes. Nous avons convié pour l’occasion des experts sur le sujet afin qu’ils partagent leurs visions : Shivani Kannabhiran en lead du pôle agricole à l’OCDE, Helene Vermont, Manager achats responsables pour Michelin et Farid Baddache, CEO de Ksapa en tant qu’expert des risques dans les chaînes d’approvisionnement.
L’approvisionnement en matières premières résilientes : une nécessité
La pression réglementaire, les attentes des parties prenantes et le changement de comportement des consommateurs encouragent la transformation des chaînes d’approvisionnement des matières premières vers plus de transparence et de résilience.
Le devoir de vigilance s’impose progressivement dans les différents rouages économiques. Partout dans le monde on observe de l’émergence de nouveaux outils juridiques. Par exemple, le UK Modern Slavery Act, le devoir de vigilance français, la récente loi allemande régissant les devoirs de diligence des entreprises dans les chaînes d’approvisionnement (« Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz ») par exemple. Les pressions réglementaires se multiplient et poussent à l’action les entreprises, industriels et investisseurs. Sans compter, les habitudes de consommation en pleine transformation. Les consommateurs, et spécifiquement les jeunes – les milléniales – sont en demande de produits éthiques avec une traçabilité irréprochable. Ces critères font partie de la décision d’achat, et ne sont donc pas à ignorer. L’impact positif généré par les entreprises est donc un gage stratégique. Il permet de gagner la confiance des consommateurs et assure désormais la survie des entreprises elles-mêmes puisqu’il s’agit d’assurer la pérennité d’approvisionnements bien souvent stratégiques. Les entreprises doivent agir le long de leur chaîne de valeur et minimiser les émissions émises sur le scope 3 de leur supply chain. Cela s’avère être une tâche certes complexe mais pour autant pas impossible.
Les matières premières sont définies comme étant des matières non-transformées utilisées pour la production de produits finis. On parle aussi des produits primaires. Les matières premières, bien que souvent associées seulement aux produits agricoles comme le café, le bœuf, le thé, la canne à sucre ou l’huile de palme s’apparentent aussi au pétrole, à l’essence, au plastique, au gaz naturel, au graphite, lithium ou terres rares pour ne citer que quelques exemples.
Les risques portés sur les chaînes d’approvisionnement de matières premières
Chaque chaîne d’approvisionnement agricole ou non-agricole comportent des défis environnementaux et sociaux. Un exemple emblématique désormais est celui concernant les impacts directs de la chaîne d’approvisionnement du soja sur la déforestation de la forêt amazonienne au Brésil. La culture du cacao aussi empiète de plus en plus la forêt ivoirienne chaque année. Entre la perte d’habitat naturel, l’érosion des sols, le perte en biodiversité… La déforestation jour un rôle amplificateur dans le changement climatique. En 2018, c’est l’équivalent de 3.6 millions d’hectares de forêt qui ont été ainsi rasés. C’est l’équivalent de la taille de la Belgique sur une seule année. Les données montrent que 80% de ces pertes étaient d’ailleurs liées à des commodités agricoles. Les commodités agricoles concernent la plupart des entreprises. Une étude du Carbon Disclosure Project montre que neuf entreprises cotées en bourse sur 10 identifient au moins un risque de déforestation lié à des commodités agricoles comme le bois, le soja ou encore l’huile de palme. 32% des entreprises étudiées ont déjà identifié des risques directs.
En plus des risques environnementaux, il existe de vrais risque sociaux à ne pas négliger. L’industrie du textile par exemple en est la preuve avec des conditions de travail souvent déplorables. Les droits humains les plus basiques sont négligées, et de nombreuses situations font régulièrement controverses. Le secteur prend certes des engagements environnementaux. Trop peu de normes sociales sont pour autant encore mises en place pour s’assurer des conditions sociales (et environnementales) de production et de transformation des chaînes d’approvisionnement, ce qui inclut là encore les approvisionnements en matières premières comme le coton ou le mica par exemple.
Les outils de résolution pour améliorer la résilience des chaînes d’approvisionnement
Le guide de l’OCDE et de la FAO sur la résilience des filières agricoles
L’importance du devoir de vigilance est une tendance réglementaire de fond. La multiplicité des démarches de vigilance en démontre. La notion de devoir de vigilance reste spécifique et demande d’être comprise dans son ensemble. Shivani Kannabhiran en lead du pôle agricole au centre de l’OCDE pour la responsabilité des entreprises en témoigne. Elle énonce cet instrument dans le sourcing responsable des chaînes d’approvisionnement.
Le centre de la responsabilité des entreprises de l’OCDE travaille sur des stratégies de passage à grande échelle. Le guide OCDE-FAO pour des filières agricoles responsables promulgue des recommandations pour les entreprises. L’objectif est d’aider les acteurs à adopter une conduite responsable dans leurs filières agricoles. Ces recommandations viennent se greffer un système réglementaire déjà mis en place par les gouvernements. Elles représentent une aide pour une meilleure appréhension des risques et un alignement avec les évaluations en vigueur. Les recommandations figurant dans ces guides pratiques peuvent jouer un rôle support pour les petites et moyennes entreprises. L’organisation met donc un point d’honneur à la formation. Elle a d’ailleurs récemment ouvert un centre de formation digital à destination des PME.
L’approche achats responsables d’une multinationale : l’exemple de Michelin
Définir des principes dans le dialogue avec les parties prenantes. Tracer de manière responsable les matières premières d’une filière, quelle qu’elle soit, implique à l’entreprise de se poser les bonnes questions. Qu’est-ce que nous achetons ? A qui nous achetons ? Comment nous achetons ? Hélène Vermont, manager des achats responsables pour Michelin vient nous donner quelques éléments clés pour une entreprise multinationale comme Michelin. Pendant son intervention, elle fait référence notamment à :
- La création d’un code de conduite à destination des fournisseurs afin d’assurer une transparence la plus élevée des attentes de l’entreprise envers les fournisseurs
- La demande systématique de reporting des émissions scope 3 des activités des fournisseurs pour plus de transparence (en lien avec le CDP Program)
- La fixation d’objectifs élevés en termes de réduction d’émission des activités fournisseurs
- Le suivi d’évaluation afin d’examiner quelles filières sont considérées le plus « à risque »
- Privilégier l’achat de matériaux recyclés et renouvelables
- Établissement d’une politique ‘conflict minerals’ pour les fournisseurs
Pour Michelin, le caoutchouc naturel représente ¼ des matières premières achetées. Cette filière demande une approche spécifique en plus de tous les éléments qui ont pu être cités précédemment. La filière fait face à des enjeux environnementaux et humains de taille. C’est près de 2 millions de fermiers qui sont impliqués dans les chaînes d’approvisionnement en caoutchouc naturel et qui organisent une supply chain très fragmentée. La production de pneu utilise à elle seule 3 / 4 de la production mondiale de caoutchouc naturel. L’entreprise a une vision précise sur cette filière notamment avec une politique sectorielle dédiée. Les actions se font à l’échelle des petits exploitants agricoles directement. Notamment avec l’implication de Michelin dans des programmes de formation, en coopération avec un client de la filière automobile, comme CASCADE qui sera énoncé ci-dessous.
Déployer une approche centrée sur les petits exploitants des pays en développement
Farid Baddache, CEO de Ksapa et expert en risque des chaînes d’approvisionnement est également intervenant dans ce webinaire et témoigne de son expérience pratique dans l’intégration des petits exploitants des chaînes d’approvisionnement. Ksapa est un cabinet spécialisé en développement durable menant des activités de conseil, de mobilisation et de solution d’impact investing.
La solution d’impact investing SUTTI proposée par Ksapa est un programme dédié aux chaînes d’approvisionnement en matières premières. Il s’agit d’un programme de grande échelle, adaptable et réplicable à toutes circonstances et spécificités locales avec un seul objectif : améliorer les performances sociaux-environnementales des chaînes d’approvisionnement et de pouvoir aider les communautés à se hausser au-dessus du seuil de pauvreté.
L’approche du programme SUTTI est conçue pour être centrée sur les petits exploitants agricole en premier lieu, et ce, dans l’optique de créer un impact positif au sein des communautés locales. Cela passe par la formation professionnelle en format hybride : digitale (en accès permanent) ainsi qu’en présentielle, la promotion des meilleures pratiques agricoles, la diversification des cultures, l’augmentation des revenus, l’inclusion sociale, l’amélioration de la sécurité au travail et la facilitation au marché du travail.
Farid Baddache explique l’intégration d’une vision industrielle indispensable au programme et permet de combiner les besoins à la fois des petits exploitants agricole et ceux des industriels. Dans l’optique d’un passage à l’échelle dans la décennie à venir, Ksapa combine finalement une dimension financière forte au programme SUTTI, notamment à travers l’engagement des investisseurs engagés, des crédits carbones, et de méthode financière type « blended finance ».
Une étude de cas concrète : CASCADE
Le projet CASCADE est un exemple concret de programme déployé sur le terrain permettant d’apporter une contribution directe aux petits exploitants de la chaîne d’approvisionnement du caoutchouc naturel dans l’île de Sumatra en Indonésie. CASCADE est le premier projet qui englobe l’entièreté de la chaîne d’approvisionnement du caoutchouc naturel partant des acteurs à son origine comme les petits exploitants du caoutchouc naturel jusqu’aux acheteurs industriels comme Michelin et ses clients de la filière automobile comme le Groupe Volkswagen. C’est l’équivalent de 1000 fermiers qui sont formés dans un premier temps via le programme hybride proposé par Ksapa, avec appui d’une ONG indonésienne engagée aux côtés des fermiers afin d’adopter des méthodes d’extraction durable et efficace.
Répondre à l’enjeu de passage à l’échelle ?
L’échelle de matérialisation d’un projet est crucial dans la création d’impact positif sur le terrain. Pour Shivani Kannabhiran, le passage à l’échelle passe par une approche multiple c’est à dire l’utilisation de tous les instruments à la disposition du gouvernement comme : la réglementation, la certification, la formation, mais aussi l’intégration plurielle de toutes les parties prenantes à tous les niveaux. Notamment à travers des partenariats entre entreprises elles-mêmes mais aussi avec les gouvernements locaux par exemple. La stratégie du groupe Michelin se base, elle, sur une approche par risque plutôt qu’une approche systématique de certification qui peut s’avérer lente et non adaptée aux réalités sur le terrain. Une fois le risque identifié, via le déploiement d’un outil dédié RubberWay, des projets appropriés de remédiation peuvent être lancés comme le projet CASCADE énoncé ci-dessus en partenariat avec d’autres acteurs de la filière et Ksapa. La vision du passage à l’échelle de Michelin passe donc par des projets de minimisation des risques réplicables d’un bassin d’approvisionnement particulier à un autre.
Conclusion
Les dernières années ont été fortes en changement, les jeunes générations posent les questions qui « fâchent ». D’où vient la nourriture que je consomme ? Est-ce que je consomme de manière responsable ? La conscience climatique de ces jeunes n’a jamais été aussi vive qu’aujourd’hui. Et c’est une nécessité pour faire bouger les lignes. Cela force les entreprises à adopter des comportements plus vertueux, d’engager de vraies démarches de traçabilité et minimiser les risques sur toutes leur chaîne de valeur et les fournisseurs avec lesquels elles travaillent.
La pression et les attentes des parties prenantes sur le scope 3 des chaînes d’approvisionnement ne viennent pas seulement atténuer les émissions de carbone de manière générale mais aussi joue un rôle important sur l’aspect social. Comme le souligne Farid Baddache, l’environnement et le social sont deux mécanismes intrinsèquement liés. Il semble difficile d’approcher l’un des deux concepts tout en omettant l’autre.
Diplômée de l’école d’économie CERDI, Eléa intervient chez Ksapa en tant qu’Analyste et Community Coordinator. Elle est spécialisée dans les enjeux de développement économique des pays émergents notamment sur les questions de développement durable.
Ayant une appétence pour l’international, elle s’est expatriée deux ans à Kuala Lumpur afin de réaliser un échange universitaire ainsi qu’un stage dans un cabinet de conseil où elle a travaillé sur la politique RSE et développement commercial.
Investie dans plusieurs projets associatifs d’inclusion sociale et d’environnement, Eléa souhaite contribuer à l’amélioration des pratiques environnementales et éthiques des entreprises.
Elle parle français et anglais.