Genre et infrastructures : enjeux et solutions pour l'inclusion

6 étapes pour garantir une solide considération du genre dans le développement d’infrastructure

Ksapa examine donc ici l’importance d’intégrer une solide considérations du genre dans le développement d’infrastructures. Nous nous appuyons sur la stratégie de genre 2016-2023 de la Banque Mondiale pour examiner les moyens d’intégrer l’égalité des sexes et combler des lacunes persistantes, dès la phase de conception de nouveaux développements industriels.   

Une première étape réside logiquement dans la bonne compréhension des dynamiques sous-jacentes. Ksapa s’attachera ci-dessous à décrire l’impact des dynamiques du genre dans le paysage économique. Comment influencent-elles la richesse et le développement global d’une région à l’autre ? Dans quelle mesures sont-elles affectées par les nouveaux développements d’infrastructures ? 

Intégrer une perspective du genre dans le développement des infrastructures 

Le Programme des Nations unies pour le développement publie un indice des normes sociales en matière de genre. Il permet de mesurer la manière dont les croyances sociales font obstacle à l’égalité des sexes dans les domaines de la politique, le travail et l’éducation. Il se base pour cela sur des données provenant de 75 pays qui couvrent plus de 80 % de la population mondiale. Ainsi, près de 90% des hommes et des femmes ont des préjugés à l’encontre des femmes. Quelques 40% des sondés estiment également que les hommes font de meilleurs dirigeants d’entreprise et auraient donc davantage droit aux emplois lorsqu’ils s’avèrent rares.  

CHIFFRES CLÉS SUR LA DYNAMIQUE DES GENRES 

Bien qu’elles fassent l’objet de préjugés, les femmes contrôlent actuellement 32% de la richesse, ajoutant ainsi 5 000 milliards de dollars à la richesse mondiale chaque année. Le tout à un rythme beaucoup plus rapide que par le passé. En outre, pour chaque dollar d’investissement levé, les jeunes entreprises appartenant à des femmes génèrent 0,78 dollar de revenus, contre 0,31 dollar pour les entreprises dirigées par des hommes. 

Au-delà de ces considérations essentiellement rattachées aux cols blancs, il existe une corrélation plus large entre le PIB d’un pays et la participation des femmes au marché du travail. Une réduction de 25 % des écarts entre les genres pourrait en effet accroître le PIB mondial de 5 800 milliards de dollars d’ici 2025. L’inégalité des genres reste néanmoins une caractéristique déterminante de notre infrastructure économique mondiale et des services qu’elle offre à ses citoyens. C’est particulièrement vrai dans les économies émergentes, où les femmes accusent un retard sur les hommes en matière de santé et d’éducation, d’accès à l’emploi et aux actifs et de capacité à exprimer leurs opinions et à exercer un contrôle sur leur vie.  

De fait, les femmes ne représentent qu’un tiers ou moins de la richesse en capital humain dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur. En Asie du Sud, les pertes liées aux inégalités de genre sont estimées à 9 100 milliards de dollars, contre 6 700 milliards de dollars en Amérique latine et dans les Caraïbes et 3 100 milliards de dollars au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. En Afrique subsaharienne, elles atteignent 2 500 milliards de dollars. 

LES INFRASTRUCTURES ONT UN IMPACT INHÉRENT SUR LA DYNAMIQUE DU GENRE 

À la lumière de ces tendances, le développement d’infrastructures est tout sauf neutre. La manière dont ces investissements sont planifiés, conçus, construits et exploités a un impact indéniable sur les dynamiques de genre. On pense notamment à l’accès des femmes aux opportunités que véhiculent ces projets, tant en termes de qualité, d’inclusivité que du prix des services qu’ils fournissent.  

Investir dans l’expansion des réseaux mondiaux – des installations industrielles aux autoroutes et aux infrastructures énergétiques – peut également perturber les communautés.  Les femmes, en tant que cœur conventionnel des ménages, sont les premières concernées, étant donné qu’elles doivent mettre du pain sur la table et éduquer leurs enfants. Au mieux, les nouveaux développements leur donnent les moyens de le faire. On pense par exemple à la façon dont les infrastructures de transport aident les femmes à se déplacer plus librement, à condition qu’elles incluent des mesures de sécurité telles que l’éclairage des rues. Les femmes sont alors en meilleure position pour accéder au marché du travail ou à instances d’éducation. Dans tous les cas, l’objectif est de leur faire gagner du temps dans leurs déplacements, ce qui améliore leur productivité – ou, en tout cas, libère du temps pour d’autres activités.   

À l’inverse, et peut-être plus fréquemment, ces investissements entérinent et aggravent les déséquilibres de pouvoir existants entre hommes et femmes. On pense notamment à des travaux qui génèreraient un afflux de personnel de construction majoritairement masculin et faciliteraient les flux de personnes et de marchandises. Ces développement exposent sans nul doute les communautés locales – et principalement les femmes – au risque de maladies sexuellement transmissibles telles que le VIH/SIDA.   

Ces exemples montrent combien il est essentiel de procéder à la consultation des communautés concernées. Il s’agit également d’intégrer ces processus dans les mécanismes contractuels. Ces systèmes doivent être structurés dès les premières étapes de conception et tout au long de la mise en œuvre du programme. 

Appliquer la stratégie de genre de la Banque Mondiale 

Les développeurs sont de plus en plus encouragés à formaliser une stratégie de genre tout au long du cycle de vie de leurs projets. Les évaluations correspondantes doivent être réalisées par une tierce partie qualifiée. Elles impliquent notamment un examen de la documentation du projet et la consultation des parties prenantes internes et externes concernées. Elles pourront ainsi déterminer dans quelle mesure les dynamiques de genre ont été prises en compte et intégrées dans la conception des politiques, plans et procédures socio-environnementales liées au projet.  

Ces évaluations doivent déboucher sur un plan d’action ambitieux, avec des recommandations détaillées pour améliorer la prise en compte des dynamiques de genre dans les systèmes de gestion socio-environnementale du projet. Pour rationaliser l’approche pour les développeurs de projets, la Banque mondiale a élaboré une stratégie de genre 2023. Ce document s’articule autour de 4 fondamentaux et cible les écarts d’opportunités offertes aux hommes et aux femmes :   

  1. Faculté : Améliorer les écarts de faculté entre hommes et femmes, en réduisant notamment les différentiels d’accès à la santé, l’éducation et la protection sociale (par exemple, les transitions école/travail, les stéréotypes sexistes sur le lieu de travail, les droits en matière de santé sexuelle et génésique…).  
  1. Opportunité : Supprimer les barrières à un emploi plus important et de meilleure qualité, en stimulant la participation des femmes, les opportunités pour elles de générer leurs propres revenus et d’accéder aux actifs productifs (en gardant à l’esprit les considérations clés de la charge des soins, de l’accès à la mobilité et à l’emploi formel…).  
  1. Capacité d’action : Renforcer l’expression des femmes et les mettre en capacité d’agir, en incitant les hommes et garçons à partager avec elles les décisions sur la prestation de services, la réduction des violences sexistes et la gestion de situations conflictuelles.  
  1. Propriété : Supprimer les obstacles à la propriété et au contrôle des biens par les femmes, en améliorant l’accès des femmes à la terre, au logement et à la technologie. 

En s’appuyant sur cette stratégie, les équipes de développement seront amenées à examiner la documentation afférente aux projets. Elles commenceront à ce titre par examiner la pertinence des plans de dialogue avec les parties prenantes. Elles seront alors en mesure de pleinement inclure les parties prenantes, afin d’identifier et évaluer les écarts concrets entre les genres. Autant d’efforts qui débouchent sur le développement d’un plan d’action en matière de genre.

Guide en 6 étapes pour concevoir des plans d’action en faveur de l’égalité des genres 

Un solide plan d’action en matière de genre permettra aux développeurs de projets de dépasser les analyses théoriques et passer à l’action. Les 6 étapes suivantes permettent de s’assurer que les préoccupations de genre sont prises en compte et que tout écart s’en trouvera donc réduit : 

ÉTAPESMESURESCONSIDÉRATION CLÉS
DONNER LA PRIORITÉ AUX QUESTIONS ESSENTIELLES LIÉES AU GENRE  – Identifier les principales parties prenantes féminines et leurs représentantes pour nouer un dialogue autour de leurs défis prioritaires – via des enquêtes et entretiens auprès des ménages notamment 
 
– Élargir l’analyse à l’ensemble des dynamiques de genre (c’est-à-dire au-delà des seules femmes) pour bien appréhender les relations entre les genres 
 
– Tenir compte des dynamiques socio-économiques et culturelles de base, des stéréotypes et des barrières mentales ou physiques 
 
 
– Analyser les impacts du projet sur les hommes et les femmes (risques spécifiques au genre et opportunités de réduction des écarts correspondants) 
 
– Développer et appliquer des critères de priorisation basés sur le genre 
– Déterminer, en fonction des genres, les priorités et besoins dans l’utilisation des infrastructures 
 
– Identifier les sous-segments vulnérables, leurs besoins spécifiques et usages des infrastructures 
 
– Prendre en compte les impacts spécifiques aux femmes, hommes, filles et garçons 
 
– S’adapter aux contextes socio-économiques et culturels   
 
– Questionner les hypothèses et les stéréotypes prévalents au niveau local  
 
– Documenter les contraintes et obstacles à la participation des hommes et femmes aux activités du projet et leur accès aux services proposés 
 
– Collecter les retours d’expérience sur les stratégies visant à améliorer les résultats positifs et les mesures correctives pour remédier aux impacts négatifs
DÉCRIRE LES CONTRIBUTIONS DIRECTES ET INDIRECTES À LA DYNAMIQUE DES GENRES – Expliciter les contraintes qui empêchent les hommes et les femmes d’obtenir des résultats similaires dans tous les domaines du développement humain – et, inversement, ce qui les aide. 
 
– S’assurer que le personnel chargé de la mise en œuvre de la stratégie de genre dispose des ressources et des connaissances nécessaires pour adapter ses diagnostics et les plans d’action proposés de sorte qu’ils répondent bien aux spécificités territoriales, notamment concernant les dynamiques de genre 
– Considérer dans quelle mesure le projet facilite (directement ou indirectement) l’accès aux marchés (ex : amélioration des transports, de l’information ou de l’éducation). 
 
– Distinguer défis évidents (ex : réduire les contrastes entre les résultats scolaires entre les genre par l’amélioration de l’accès à l’eau et de l’assainissement dans les communautés, pour libérer du temps pour que les filles puissent aller à l’école) et dynamiques invisibles (ex : contourner les normes et préjugés sociétaux latents en nommant des femmes à des emplois non conventionnels, tels que l’entretien des routes). 
 
– Anticiper comment la conception du projet pourrait livrer plus de bénéfices indirects, pour répondre équitablement aux besoins des femmes et des hommes 
CLARIFIER LES RÔLES ET LES RESPONSABILITÉS – Clarifier l’approche dans la gestion des activités genrées (direction, calendrier, personnel concerné).  
 
– Expliciter les rôles et responsabilités spécifiques (qui est responsable de quoi).  
 
– Préciser si la gestion des activités en faveur de l’égalité des genres est d’emblée intégrée au développement, à la construction et à l’exploitation du projet ou si elle fait l’objet d’un plan spécifique, visant à accroître les avantages pour la communauté en mettant l’accent sur l’égalité des genres 
– Si possible, désigner des spécialistes chargés des programmes et systèmes de gestion sociale et environnementale 
 
– Charger, le cas échéant, le personnel du bureau local de gérer certains enjeux de genre et les activités correspondantes 
 
– Renforcer la capacité du personnel local à aborder les dynamiques de genre, notamment par le biais des ministères nationaux concernés et de consultants spécialisés ou d’organisations de la société civile  
 
– Fournir, en fonction de cette répartition des rôles, les outils appropriés au personnel, y compris en renforçant leurs capacités et sensibilisation aux dynamiques de genre.
ATTRIBUER LES RESSOURCES SPÉCIFIQUES – Identifier les lignes budgétaires pour garantir que les activités axées sur le genre et les activités connexes sont prévues et mises en œuvre efficacement tout au long du cycle de vie du projet. – Obtenir une ligne budgétaire distincte ou une délimitation claire dans le budget pour le personnel et les ressources nécessaires.   
 
– Distinguer les ressources disponibles à prélever sur les activités prévues (par exemple, l’affectation à temps partiel de personnel local) et l’apport supplémentaire de ressources pour des activités spécifiques (par exemple, le développement de contenus de formation spécifiques grâce aux ressources locales). 
 
– Inciter le personnel local à assumer de nouvelles responsabilités centrées sur le genre en plus des leurs et allouer des ressources en conséquence 
CONCEVOIR DES MÉCANISMES D’ENGAGEMENT SENSIBLES AU GENRE– Développer des activités ciblées sur le genre, en s’assurant d’intégrer ces considérations dans la conception du projet et ses spécifications techniques 
 
– Mener des consultations avec des femmes et des hommes de statuts socio-économiques et caractéristiques démographiques différents pour s’assurer de leur consultation et participation effective  
 
– Structurer le dialogue inter-parties prenantes autour d’actions et de mesures concrètes   
 
– Préciser les modalités de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre du plan d’action pour l’égalité des genre, notamment via des entretiens avec les parties prenantes tout au long du cycle de vie du projet 
– Envisager l’inclusion d’un objectif de projet lié au genre, en formalisant le suivi correspondant et la manière dont les analyses de genre et les consultations des parties prenantes seront prises en compte dans la conception, les résultats et les opérations du projet d’infrastructure 
 
– Recommander des indicateurs d’impact correspondants (ex : l’amélioration de l’accès aux services de base, nombre d’hommes et de femmes ayant démarré de nouvelles activités économiques grâce aux infrastructures et aux services…) sur la base de données ventilées par genre 

Conclusion  

Suivant l’exemple de la Banque Mondiale, les entreprises et investisseurs s’intéressent de plus en plus aux dynamiques de genre dans le développement d’infrastructures. Dans tous les secteurs (production d’électricité, transport…), les acteurs clés s’efforcent en effet de mieux comprendre – et prendre pleinement en compte – les dynamiques de genre sous-jacentes.   

Le défi pourrait se résumer à la capacité de poser les bonnes questions et prioriser les enjeux les plus pertinents, pour les hommes comme pour les femmes. Il s’agira ensuite d’intégrer ces retours d’expérience, de manière structurée et jusque dans la façon même de concevoir, construire et exploiter les infrastructures. Cela suppose donc de développer l’expertise, les outils et les partenariats nécessaires pour documenter, mettre en œuvre et contrôler la manière dont les infrastructures livrent équitablement des avantages aux hommes et aux femmes.  

C’est précisément ce permet le guide de Ksapa en 6 étapes pour la conception de robuste plans d’action sur le genre. Nous espérons en effet contribuer à la triangulation et à la diffusion des meilleures pratiques intersectorielles.  

Nous travaillons régulièrement avec les investisseurs et les entreprises pour adapter les méthodologies et les outils aux spécificités de leurs projets d’infrastructure. Ce faisant, nous attachons un soin particulier à la bonne prise en compte des particularités des contextes locaux et de la perspective des usagers les plus vulnérables. Nous ne saurions trop souligner l’importance d’adapter les instances de dialogue inter-parties prenantes pour pleinement intégrer les dynamiques de genre. C’est en effet une des conditions clefs à la consultation et participation constructive des hommes et des femmes tout au long du cycle de vie des projets

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Forte d’une expérience internationale auprès de structures publiques, privées et associatives, Margaux Dillon intervient chez Ksapa en tant que consultante en développement durable et responsabilité des organisations.
Elle avait auparavant travaillé pour les cabinets Deloitte et Quantis, assuré la promotion institutionnelle de l’infrastructure de recherche sur les écosystèmes ENVRI+ pour le compte de l’INRA, et contribué au reporting extra-financier du groupe Total.
Margaux est de nationalité franco-américaine et est titulaire d’un Master en histoire, communication, entreprises et affaires internationales ainsi que de deux certifications en développement durable de l’IEMA et Centrale-Supélec. Elle parle anglais, français et espagnol.

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