Culture durable du cacao : Assurer un avenir équitable aux agriculteurs

Introduction et contexte

Le cacao est la principale composante d’une vaste industrie qui a de profondes répercussions à l’échelle mondiale. Si beaucoup d’entre nous aiment le chocolat pour son goût, le cacao a un côté moins sucré qui pose de sérieux problèmes. Alors que ses produits sont universellement appréciés, les processus de culture et de production sont liés à des défis complexes qui couvrent les dimensions sociales, environnementales et économiques. Enjeux, analyse et nouvelles pistes de solution.

Géographiquement, les plantations de cacao sont concentrées dans la ceinture du cacao, avec la Côte d’Ivoire, le Ghana, l’Équateur, le Cameroun et le Nigeria comme principaux producteurs. Ces pays équatoriaux sont propices à la culture du cacaoyer, car les conditions environnementales y sont parfaitement adaptées à la production de cabosses de qualité.

Pourtant, le parcours de la fève à la tablette est semé d’embûches. Sur le plan environnemental, l’expansion de la culture du cacao est un facteur important de déforestation et de perte de biodiversité, car les forêts vierges sont défrichées pour faire place à de nouvelles plantations. Sur le plan social, le secteur est confronté à des inégalités systémiques telles que le travail des enfants – essentiellement au sein de familles de migrants, la pauvreté et les disparités entre les sexes, ainsi qu’à la vulnérabilité économique des petits exploitants agricoles qui constituent la base de cette industrie. La volatilité économique des prix du cacao et les pratiques de marché opaques exacerbent ces défis et menacent la durabilité de la culture du cacao.

Les défis de la production de cacao

1- Les défis environnementaux

La déforestation

La production de cacao contribue de manière significative à la déforestation et à la perte de biodiversité qui en découle, en particulier en Afrique de l’Ouest. Cette région, qui comprend des producteurs clés comme la Côte d’Ivoire et le Ghana, a été témoin de réductions spectaculaires de la couverture forestière en raison de l’expansion des exploitations de cacao. Entre 1990 et 2015, la Côte d’Ivoire a vu sa couverture forestière diminuer de plus de 50 %, tandis que le Ghana a connu un taux de déforestation annuel de 2 % pendant plusieurs décennies. La volonté d’augmenter les rendements de cacao s’est souvent faite au détriment de terres forestières vitales, poussant l’industrie à un point critique où la durabilité n’est pas seulement idéale, mais essentielle.

Sensibilité au changement climatique

La production de cacao est confinée à une étroite zone géographique qui offre les conditions climatiques précises nécessaires à la croissance optimale des cacaoyers, des cabosses et des graines. Ces conditions comprennent des précipitations abondantes, un sol riche en nutriments et des températures chaudes. La dépendance du cacao à l’égard de précipitations régulières le rend particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique. Des périodes de sécheresse plus sévères, associées à des épisodes de précipitations intenses, menacent de perturber l’équilibre environnemental délicat nécessaire à la culture du cacao et de réduire la production de cabosses régulières et la qualité des graines.

Utilisation d’engrais chimiques

L’utilisation intensive de produits agrochimiques par l’industrie, dans le but d’augmenter la productivité, n’a pas clairement profité aux agriculteurs en termes de revenu net, ce qui soulève des questions quant à la sagesse financière de tels investissements. Avec une demande croissante et des prix élevés, les agriculteurs se retrouvent endettés pour fournir les quantités adéquates d’engrais recommandées. Malgré les coûts plus élevés associés aux produits agrochimiques, l’augmentation attendue des rendements ne parvient souvent pas à améliorer, voire à aggraver, la situation financière des agriculteurs. Il est donc urgent de promouvoir des pratiques durables telles que l’agroforesterie, qui promet des avantages environnementaux et économiques en favorisant la biodiversité, en améliorant la santé des sols et en réduisant la dépendance à l’égard des intrants chimiques.

2- Les défis socio-économiques

Attractivité de la culture du cacao

L’exode rural pousse les jeunes agriculteurs à quitter leurs villages à la recherche de meilleures opportunités, suivant un modèle global dans les pays en développement. En Afrique de l’Ouest, il existe des précédents historiques, où les agriculteurs se sont détournés de l’agriculture lorsqu’elle est devenue économiquement non viable, pour revenir ensuite lorsque les prix se sont améliorés, et faire face au défi de rétablir des exploitations sur des terres délaissées. À l’inverse, certaines régions d’Amérique latine ont connu des changements positifs grâce à l’augmentation du niveau d’éducation, qui a permis une gestion plus professionnelle des exploitations agricoles par des diplômés en agroéconomie et en agroécologie, un modèle qui pourrait être très bénéfique pour le secteur du cacao.

Le travail des enfants

Le travail des enfants dans les plantations de cacao, en particulier en Afrique de l’Ouest, est un problème important. Malgré les efforts déployés pour y mettre un terme, de nombreux enfants travaillent encore dans des conditions difficiles au lieu d’aller à l’école, en particulier ceux issus des populations transmigrantes.

Salaire décent

De nombreux travailleurs des plantations de cacao, en particulier en Afrique de l’Ouest, gagnent moins qu’un salaire décent, ce qui les empêche de subvenir à leurs besoins essentiels et à ceux de leur famille. Ce faible revenu contribue à perpétuer le cycle de la pauvreté et à entraver l’amélioration de leur qualité de vie. Il est essentiel de s’attaquer à la question des salaires de subsistance dans les plantations de cacao pour garantir la durabilité de l’industrie et le bien-être de ceux qui sont au cœur de la production de cacao. Les petits exploitants souffrent également d’un accès insuffisant à un revenu de subsistance, ce qui signifie que la pauvreté est élevée dans les zones rurales pour les personnes travaillant dans la production de fèves de cacao.

Les chemins de la durabilité : une longue route pavée d’embûches

Pendant longtemps, l’approche de la culture du cacao était très simple : défricher pour planter plus d’arbres. Mais aujourd’hui, l’équation devient beaucoup plus compliquée, des facteurs naturels et sociaux s’y opposant. En effet, les terres cultivables se raréfient, la qualité des sols se détériore en raison des pratiques agricoles intensives utilisées et les stratégies d’approvisionnement des entreprises sont de plus en plus sous les feux de la rampe, ce qui les incite à améliorer l’ensemble de cette approche.

En réponse à ces défis, diverses initiatives et certifications ont vu le jour au fil des ans, dans le but d’aborder les multiples facettes de la chaîne de valeur du cacao. Des programmes tels que Fairtrade, Rainforest Alliance et Cocoa & Forests Initiative représentent des efforts concertés pour promouvoir des pratiques durables, améliorer les moyens de subsistance des agriculteurs et assurer la conservation de l’environnement.

La Cocoa and Forests Initiative

La Cocoa & Forests Initiative (CFI) est un partenariat historique lancé par la World Cocoa Foundation (WCF), les gouvernements de Côte d’Ivoire et du Ghana, et les principales entreprises de cacao et de chocolat, dans le but de mettre un terme à la déforestation et de promouvoir le reboisement dans les principaux pays producteurs de cacao du monde. Ce partenariat public-privé (PPP) souligne l’importance de la collaboration entre les gouvernements, l’industrie et la société civile pour lutter contre l’impact environnemental de la culture du cacao. L’initiative se concentre sur la mise en œuvre de plans d’action visant à protéger et à restaurer les forêts, à améliorer les moyens de subsistance des agriculteurs et à encourager des pratiques durables de culture du cacao. Bien qu’il soit encore trop tôt pour mesurer l’impact total de la FCI, son établissement marque un engagement significatif pour réconcilier la production de cacao avec la conservation de l’environnement, créant ainsi un précédent pour les pratiques durables de l’industrie à l’échelle mondiale. A date, l’évolution de la déforestation démontre des résultats décevants.

La Certification Fairtrade

Le programme de certification Fairtrade améliore considérablement les conditions de vie des cultivateurs de cacao en mettant l’accent sur la rémunération équitable et la durabilité. En garantissant aux cultivateurs un prix minimum et une prime du commerce équitable, le programme établit un filet de sécurité financier qui couvre les coûts d’une production durable et fournit des fonds supplémentaires pour les projets de développement communautaire. Ce modèle garantit que les agriculteurs sont protégés contre la volatilité du marché, ce qui leur permet d’investir dans leur avenir avec une plus grande confiance. En outre, le programme promeut des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et encourage la formation de coopératives, ce qui renforce le pouvoir de négociation des agriculteurs sur le marché mondial. A date, le taux de fermiers certifié reste marginal par rapport au volume notamment par manque d’accès aux financements permettant de bénéficier des investissements nécessaires pour faire évoluer les plantations au niveau des attendus (infrastructures, équipements, pratiques, audit et reporting à y associer).

Les défis et limites

Ces initiatives ont été plus ou moins fructueuses, certaines ayant permis de réaliser des progrès notables dans l’amélioration de certains aspects de l’industrie du cacao. Cependant, le chemin vers une chaîne de valeur du cacao durable et décente est loin d’être achevé. La pauvreté persistante des cultivateurs de cacao constitue un obstacle de taille, qui souligne la nécessité de poursuivre les efforts et les innovations pour parvenir à une production de cacao véritablement durable et équitable. La World Cocoa Foundation confirme à nouveau en 2024 que le travail des enfants reste un problème structurel malgré des décennies d’initiatives. Les données les plus récentes montrent que la déforestation se poursuit malgré les efforts déployés, et que les risques de déforestation menacent considérablement les zones forestières restantes. La vérité est malheureusement assez simple : Aucun de ces programmes n’a exploré de solutions concrètes et évolutives apportant des capitaux, des équipements, des transferts de connaissances générant une plus grande valeur ajoutée dans la chaîne de valeur du cacao dans les zones rurales, là où les agriculteurs cultivent les fèves.

Cette réalité est d’autant plus décevante que la transformation du cacao en chocolat offre des possibilités de renforcement de création de valeur et d’emploi dans les zones rurales. Le cacao est généralement vendu par les fermiers après séchage. Avec de petits équipements, de meilleures infrastructures communautaires de stockage, et un savoir faire accessible aux populations rurales, il est tout à fait possible de monter en gamme et assurer des activités de torrefaction, concassage et broyage permettant de vendre notamment du beurre de cacao à plus forte valeur ajoutée et créant de l’emploi additionnel. Pour l’essentiel des besoins industriels, ces phases peuvent être gérées dans le respect de qualité et d’arômes souhaités par les acheteurs à l’export. Nous avons observé sur le terrain qu’il était tout à fait possible et que le développement de cette montée en gamme dans les zones rurales pouvait très bien fonctionner.

Figure 1 : Évaluation du risque de déforestation du cacao (DRA) basée sur l’ensemble de données sur le cacao en Afrique de l’Ouest (WAC)

Conclusion

Comme nous l’avons vu, le chemin à parcourir pour rendre l’industrie du cacao véritablement durable est semé d’embûches. Si certaines initiatives ont permis de progresser, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Le principal problème ? Les producteurs de cacao ne sont toujours pas suffisamment valorisés. Si l’on ne donne pas aux petits exploitants les moyens d’agir, il sera difficile de résoudre les problèmes de l’industrie. Sans faciliter l’investissement dans des meilleures infrastructures communautaires, l’accès aux équipements et à la formation, la montée en gamme dans la chaîne de transformation du cacao, la filière reste vouée à la paupérisation, et sa pérennisation est en danger.

Pour forger un avenir véritablement durable pour le cacao, il est impératif de mettre en place un programme complet qui permette aux cultivateurs de passer du statut de simples travailleurs à celui de producteurs avertis de sous-produits de haute qualité. Cela nécessite une approche holistique qui non seulement s’attaque aux difficultés économiques immédiates, mais donne également aux agriculteurs les moyens d’agir grâce à l’éducation et à l’accès aux ressources et au financement, ce qui leur permet d’améliorer à la fois la qualité de leurs produits et leur propre qualité de vie.

Ce n’est qu’avec de telles mesures de transformation que nous pouvons espérer rectifier les problèmes profondément enracinés dans la chaîne de valeur du cacao, en veillant à ce que la douceur du chocolat se reflète dans la vie de ceux qui le cultivent. Ksapa s’engage activement à déployer son expertise, ses méthodologies et ses outils pour apporter une nouvelle vague de solutions en s’engageant auprès des segments vulnérables de cette chaîne de valeur sensible et scrutée. N’hésitez pas à nous contacter pour en savoir plus et prendre part à notre aventure.

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Julia est chargée de programmes. Elle participe à la conception, au développement et à la gestion des programmes SUTTI. Elle coordonne la mise en place des projets avec les différentes parties prenantes et partenaires impliqués.

Julia est ingénieur agronome avec un master en Agriculture Urbaine et Villes Vertes de l'Institut Polytechnique UniLaSalle. Elle a travaillé précédemment avec des ONG pour améliorer les niveaux de vie des communautés vulnérables à travers des formations et des activités de reboisement au Liban. Elle était bénévole à la Croix Rouge Libanaise pendant 4 ans au sein de l'équipe d'intervention aux urgences médicales. Elle a suivi de même des formations sur l'intervention et la gestion des catastrophes.

Julia parle français, arabe, anglais et espagnol.

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