Devoir de Vigilance pour les entreprises: du bon sens économique

Devoir de Vigilance pour les entreprises: du bon sens économique

Cet article mis à jour a initialement été publié sur LinkedIn ici

La loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères votée en mars 2017 oblige désormais les entreprises concernées à recenser tous les risques sociaux et environnementaux encourus par elles comme par leurs sous-traitants. De nombreuses publications sont attendues en 2019. Une contrainte ? Bien au contraire : Travailler sérieusement à l’exécution de cette loi est du simple bon sens économique pour les entreprises.

1.   Que demande la loi ?

Il aura fallu quatre ans pour faire adopter la loi sur le devoir de vigilance après d’âpres débats entre des représentants d’ONG et d’entreprises. Votée début 2017, elle se concrétise depuis 2018 avec la parution des premiers rapports qui documentent la manière dont les groupes internationaux évaluent et préviennent les risques sociaux et environnementaux liés à leur activité. Dans les grandes lignes, toute entreprise de plus de 5.000 employés en France, ou 10.000 salariés si le siège social est à l’étranger, est censée mettre en place un plan de vigilance incluant les éléments suivants :

  • Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;
  • Des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ;
  • Des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;
  • Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;
  • Un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité.

Ces informations doivent être rendues publiques. En cas de non-conformité, le juge peut formuler une astreinte de publier et mettre en œuvre le plan ainsi que la responsabilité pour faute qui pourrait être engagée si l’absence de plan a causé un dommage. Ces contraintes sont en réalité ridiculement insuffisantes à la vue des enjeux considérés :

  • D’une part, cette nouvelle législation impose une obligation de surveillance d’un large panel de risques liés aux droits fondamentaux (travail des enfants, travail forcé, non-respect de la liberté syndicale, locaux non conformes aux normes de sécurité, dommages environnementaux…). N’importe quelle entreprise soucieuse de surveiller ses marges et sa compétitivité, nourrir la valeur immatérielle de sa marque ou faire vivre et donner du sens managérial à ses activités doit se poser ces questions. Du bon sens économique.
  • D’autres sujets – ententes et abus de position dominante principalement – sont sanctionnés par l’Union Européenne à des niveaux qui n’ont absolument rien à voir. Par exemple, Google, 2,42 milliards d’euros, en 2017.

2.   Une loi qui demande aux entreprises de respecter des engagements qu’elles se doivent déjà de respecter…

Différentes réticences exprimées par les entreprises n’ont aucun fondement sérieux pour au moins deux raisons :

Ensuite, les entreprises éligibles ont parfois jusqu’à 30 ans d’expérience en matière de responsabilité sociale et sociétale, des codes de conduite bien établis et diffusés même auprès de leurs fournisseurs depuis parfois plus de 15 ans. Nombre de ces entreprises s’essayent depuis au moins 5 ans à la mise en conformité de leurs activités avec les attentes formulées dans le cadre des Principes Directeurs des Nations Unis en matière de Droits de l’Homme.

Certes, la particularité de la loi est d’englober à la fois l’activité de l’entreprise à proprement parler, mais aussi celle de ses sous-traitants ou fournisseurs avec qui elles entretiennent « une relation commerciale établie », selon les termes du législateur. Toutefois, même dans le cas du drame du Rana Plazza, au moins 1135 morts en 2013, qui a été moteur dans la prise d’initiative de cette loi, on peut constater qu’un peu de vigilance de la part des équipes achats est tout simplement là encore du bon sens économique pour garantir l’atteinte des résultats espérés pour la fonction achat, si stratégique dans nombre d’entreprises :

  • Au Bangladesh, les acheteurs qui viennent se fournir en produits dans ces bassins industriels se plaignent de l’opacité des exécutions de commandes qui rend difficile leur capacité à savoir quelle usine est responsable de l’exécution de quelle commande. Outre le fait que cette pratique n’a rien d’une spécificité locale – on la trouve très bien répandue en Indonésie ou en Italie du Nord par exemple – c’est bien le moindre que d’attendre d’un acheteur qui connait ses catégories de produits de savoir comment sont réalisées ses commandes pour calculer le coût, la qualité et le risque qu’il est prêt à engager pour garantir la qualité de son travail d’acheteur et fournir le bon niveau de qualité, au meilleur prix, au bon moment…
  • Également, différents arguments ont été avancés concernant le contexte dégradé et corrompu dans lequel s’opèrent les activités économiques locales. Là encore, cela n’a rien d’un scoop quand on travaille au Bangladesh, pays classé dans le premier quart des pays les plus corrompus au monde depuis 20 ans, de redoubler de vigilance quant aux effets à attendre d’un environnement opérationnel dégradé par la corruption : faux papiers, faux certificats, constructions lésées, droit bafoué… avec quels impacts sur la capacité des partenaires économiques locaux à fournir les commandes dans les délais, la qualité attendue et le respect des clauses contractuelles signées ?

Ainsi, par un doux mélange de loi et de traités internationaux, d’engagements volontaires, et de professionnalisme de bon sens, nombre d’entreprises sont déjà inscrites dans une logique dans laquelle elles se doivent de respecter l’esprit de cette loi de devoir de vigilance sans même avoir besoin de cette loi…

3. Devoir de vigilance : Au travail

Toutefois, apparemment, ce devoir de vigilance ne va pas de soi. Le texte, bien que voté, a été à nouveau menacé durant l’été 2017 au nom de l’attractivité économique française.

Or justement, le devoir de vigilance offre une belle opportunité pour les entreprises de nourrir leur attractivité auprès de leurs investisseurs, de leurs clients et de leurs collaborateurs pour développer des compétences managériales permettant d’inscrire la performance de l’entreprise dans la complexité opérationnelle de ce début de 21e siècle. Au-delà de considérations éthiques et de conformité avec la loi qui va évidemment de soi, ces questions de vigilance sont des leviers de performance pour les entreprises pour les raisons suivantes:

  • Surveiller ses marges et sa compétitivité. Identifier ses risques en matière de droits de l’Homme, c’est renforcer la compréhension des facteurs à même de gréver des marges et rendre plus complexe la bonne tenue d’opérations. Par exemple, les questions de travail forcé posent rapidement des questions en matière de sécurité et santé sur des opérations. Il existe toute une littérature sur le lien entre sécurité, productivité et marges opérationnelles par exemple. Cela pose aussi des questions de turnover et d’absentéisme des équipes, or plus ceux-ci sont élevés plus cela peut gréver la qualité et la fiabilité de fournisseurs incapables de sédimenter du savoir-faire – même basique. Ces fournisseurs sont condamnés à piloter les commandes à vue jusqu’à la fois de trop où ils s’avéreront incapables de respecter des délais et la qualité attendus par le reste de la chaîne industrielle.
  • Nourrir la valeur immatérielle. La bonne réputation est un levier de la réussite en affaires : les clients, investisseurs et partenaires aiment s’associer à des acteurs qui ont bonne réputation. J’ai récemment travaillé encore avec une grande entreprise au prise avec un scandale droits de l’Homme qui s’est vue perdre l’octroi d’un marché de plusieurs dizaines de millions d’euros car le client ne voulait plus associer son image avec celle de ce partenaire compétent, mais devenu subitement encombrant…
  • Donner du sens managérial et nourrir positivement l’expérience client. Les droits de l’Homme, c’est avant tout de l’humain. Dans un monde où n’importe quel collaborateur de n’importe quelle entreprise se plaint aujourd’hui de perdre le sens de son activité ainsi que de celui de son entreprise, quelle expérience ce collaborateur peut-il renvoyer à ses clients et interlocuteurs internes et externes ? Travailler sérieusement sur un plan de vigilance, c’est aussi faire vivre très concrètement les engagements de l’entreprise – principes, code de conduite, valeurs véhiculées par ses produits et services. Mener un travail rigoureux sur ces questions de vigilance, c’est donner du sens au travail et à l’entreprise – ses produits et sa finalité. In fine, c’est mobiliser les collaborateurs et les filiales autour d’un projet. Des collaborateurs et des filiales mobilisés offrent une expérience aux clients incomparable par rapport à des collaborateurs et des filiales démobilisés : fiers de leur valeurs, fiers de leurs produits, fier du sens donné à leur action chaque jour au niveau de chacun

Le devoir de vigilance n’est pas une contrainte : c’est du management tel qu’il est attendu de la part de n’importe quel décideur qui s’inscrit de plain-pied dans la complexité opérationnelle et les attentes d’une société globalisée du 21e siècle, en quête de sens et d’impact social. Du bon sens économique. Au travail!

Farid Baddache auteur de ce blog sur les thématique de résilience, d'impact et d'inclusion
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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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