Engagement local et insertion pertinente de projets : analyse pour réussir

De nombreux projets peuvent apporter différents avantages locaux en termes de création d’emploi, de lutte contre la pauvreté et de contribution à l’amélioration du niveau de vie. Toutefois, les aspects positifs seraient renforcés si ces projets s’intégraient efficacement dans les usages et les pratiques territoriales. La prise en compte et l’anticipation des impacts négatifs comme positifs sont également importantes dans le cadre de cette production de valeur partagée, et leur occultation comporte le risque d’être un frein à la dynamique d’ensemble comme au projet concerné. Par exemple, les développements industriels peuvent s’opposer à la continuité de certaines activités (tourisme, cultures vivrières, usages et coutumes etc).

Afin de mieux comprendre cette complémentarité primordiale, il importe de bien circonscrire les enjeux d’une consultation des parties prenantes locales pertinente, et de tenir compte des segments de population plus vulnérables. L’une des pistes à cette considération se décline par exemple au travers de la reconnaissance grandissante du statut et des droits des peuples autochtones sur la scène internationale. L’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones (DNUDPA) en septembre 2007 est un moment charnière en ce sens. Quelques axes de réflexion s’offrent ainsi à nous dans le cadre de la matérialisation concrète de la prise en compte des riverains lors de la mise en œuvre territoriale des projets.

Identification des parties prenantes riveraines/autochtones : retour d’expérience sur des bonnes pratiques

Plusieurs cas illustrent la nécessité de bien circonscrire et intégrer la totalité des parties prenantes et leurs particularités. L’étude des mouvements autochtones de résistance au développement de projets d’ancrage territoriale constituent un important capital d’expérience. Les liens tissés par ces mouvements de résistance locaux avec d’autres mouvements de résistance à l’échelle nationale et internationale permettent d’éclairer les modèles d’investissements et calibrer de manière optimale la prise en compte des parties prenantes.

  • « Les territoires autochtones face aux industries extractives au Chili : Enjeux environnementaux et modes de résistance communautaire ». Mehuin est une zone côtière habitée de pêcheurs artisanaux et de communautés mapuches. En 1996, la localité prend connaissance de l’existence d’un projet d’évacuation de déchets toxiques par le biais de travailleurs de l’entreprise CELCO chargés des activités d’exploration dans la zone de pêche. Immédiatement, les habitants locaux expulsèrent les travailleurs de l’entreprise de leurs terres et de leurs aires maritimes pour empêcher la réalisation des études techniques et refusèrent de participer aux mécanismes de consultation prévus par la loi environnementale.
  • Les manifestations de protestation contre le développement du projet de sables minéraux Toliara se poursuivent à Madagascar. Les membres d’une association dénommée Mazoto ont saccagé le site de Base de la compagnie détentrice de la mine, à Ranobe. Plusieurs organisations de la société civile ce sont jointes aux populations et ont dénoncé les problèmes qu’engendrerait le développement du projet Toliara. Selon elles, entre les questions de droits fonciers et les impacts sociaux et environnementaux, le bien-être de la population locale est menacé. (Agence Ecofin ; 2019)

Cependant, les enjeux économiques et stratégiques sont énormes et une annulation de ce type de projets semble peu probable, voir inconcevable. Il faut alors trouver un équilibre entre les protagonistes et les différents enjeux.

1. L’identification des parties prenantes

Une partie prenante est une personne morale ou physique qui peut être influencé ou influencer la prise de décision d’une organisation et ses conséquences. Elle a une personnalité juridique, c’est-à-dire l’aptitude à avoir des droits et des obligations et à les exercer elle-même. Pour mieux les intégrer, un exercice de matérialité peut servir à les identifier et à les prioriser sur l’échelle d’importance vis-à-vis des objectifs du projet. Celle-ci se définit comme une amélioration dans le cadre duquel les entreprises intègrent de manière volontaire, systémique et cohérente des considérations d’ordre social (Allouche, 2006). Par ailleurs, ce processus participe de la mise en application de la démarche RSE et peut être valorisé via des certifications telles que le SA8000 (Social Accountability 8000), le Pacte Mondial de l’ONU Global Compact, le label social belge, le label égalité diversité ou encore la norme ISO 26000.

2. Partage total et complet de l’information

Un porteur de projet s’occupant de multiples tâches doit à la fois investir beaucoup de temps pour suivre ces dernières mais aussi s’assurer que les parties prenantes identifiées en amont ont le même niveau d’information. Cette action est requise à l’étape de la définition du projet afin de bien le calibrer. Sachant qu’il est essentiel de détecter les zones de problèmes avant qu’elles ne deviennent critiques, une trop grande asymétrie d’information sur le projet peut demander un travail excessif et aboutir à des extensions de délais avec des conséquences financières et opérationnelles significatives. Dans bon nombre de pays (notamment à Madagascar, au Cameroun, au Canada, etc) le législateur prévoit au moment des études préalables au projet qu’une consultation publique soit réalisée. L’idée étant d’informer l’ensemble des parties prenantes sur les tenants et aboutissants et recueillir leur avis. Les points d’ombres doivent être éclaircis et les revendications intégrées au plus tôt. En l’absence de cette démarche, les situations comme celle observée au Chili se multiplient.

3. Maintien de l’indépendance des populations

Il est désormais possible de se référer à des instruments et traités internationaux traitant des droits de l’homme ainsi qu’à la jurisprudence des instances qui interprètent ces textes comme, les comités des Droits de l’Homme au sein des Nations Unies et d’affirmer que le droit international reconnaît aux peuples autochtones :

  • Le droit à l’autodétermination ;
  • Le droit de disposer librement de leurs richesses et ressources naturelles ;
  • Le droit de n’être en aucun cas privés de leurs moyens de subsistance ;
  • Le droit de propriété, de mise en valeur, de maîtrise et d’exploitation de leurs terres communales, territoires et ressources, dont ils sont les propriétaires ou occupants traditionnels.

Cette reconnaissance consacre la prise en compte des populations locales comme une partie prenante de choix dans le développement des projets. Elle s’étend aussi aux programmes portés par des instances internationales. En effet, au cours de sa 12e Assemblée générale à Kinshasa l’Union Mondiale pour la Conservation de la Nature (UICN) a adopté une résolution reconnaissant pour la première fois la nécessité de respecter les droits fonciers des populations autochtones lors de la création d’aires protégées. Elle y demande aux gouvernements et institutions de reconnaître la valeur des modes de vie des peuples autochtones et d’étudier les moyens d’assurer l’intégration de leurs terres aux aires protégées, en évitant pertes de droits fonciers et déplacements.

4. Mise en place d’une plateforme de dialogue indépendante, permanente et libre

La reconnaissance faite aux autochtones constitue une opportunité à saisir par les porteurs de projets et programmes. Il faut alors définir un cadre idéal pour saisir cette opportunité, l’intégrer au projet et en tirer les conséquences.

Au Cameroun, la forêt représente par son potentiel une niche pour les exploitants de ressources ligneuses et non ligneuses, les miniers, l’administration et les populations locales. Ces derniers étant parfois marginalisés. Pour éviter qu’ils ne soient mis à l’écart dans la répartition de la valeur, le gouvernement a mis sur pied une plateforme de dialogue obligatoire auquel sont assujettis tous les porteurs de projets. Les populations autochtones à travers les Comité Paysans Forêts (CPF) y prennent part. Ce dispositif est censé assuré le relais avec les populations et un partage éclairé et symétrique de l’information autour du projet.

Prise en compte de segments plus vulnérables : retour d’analyse sur des bonnes pratiques

Le projet Toliara de Madagascar devrait rapporter à l’État malgache, plus de 900 millions de dollars en termes d’impôts directs et redevances et contribuer de plus de 200 millions $ au PIB de l’île. Au regard de ces enjeux forts pour l’administration les autres parties prenantes peuvent être ignorées dans la prise de décision. Cette remarque questionne notre classification des parties prenantes et justifie l’emphase sur le segment dit vulnérable.

1. L’identification de segments vulnérables

Depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992, les peuples autochtones ont pris une place importante dans les différents Forums sociaux, contre-sommets et rencontres internationales. Leur relation spécifique à la terre, à leurs territoires et à la nature sont reconnus comme des atouts pour la construction d’une autre société. La consécration de ce mouvement est renforcée par l’Organisation internationale du travail (OIT) qui leur reconnaît, avec la Convention 169 de 1989, des droits que de nombreux pays comme la France n’ont jamais ratifiés. Mais, à la suite des travaux entrepris par le groupe de travail à Genève, le Conseil des Droits de l’Homme a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones (DNUDPA), que l’Assemblée Générale a entérinée le 13 septembre 2007.

Au-delà de l’aspect juridique, les critères d’identification de segments vulnérables sont également d’ordre démographiques. Les peuples autochtones sont présents dans 70 pays sur les cinq continents avec des identités et des cultures particulières. Ces minorités, considérées par les Nations Unies comme les plus vulnérables, sont pour la plupart marginalisées et exclues des processus décisionnels des pays où ils vivent.

Toutefois au-delà de l’aspect démographique, des indicateurs objectivement vérifiables donnent un cadrage plus large des couches à considérer dans le développement d’une activité d’insertion territoriale de projet. Notamment, le faible revenu, le niveau d’éducation en dessous de la moyenne, les questions de genre, les territoires isolés et non reliés aux réseaux de communication et de télécommunication, sont autant de critères qui excluent les communautés des processus de consultation.

2. Mise en place du (CLIP) Consentement Libre Indépendant et Préalable

La Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) reconnait que les effets sur les droits de l’Homme découlant des projets au dépend des autochtones sont relatifs à la dépossession des terres et des territoires traditionnels, l’expulsion, les migrations et les implantations éventuelles, la réduction des ressources nécessaires pour la survie physique et culturelle, le destruction et la pollution de l’environnement traditionnel, la désorganisation sociale et communautaire, les conséquences néfastes relatives à la santé et à la nutrition, ainsi que dans certains cas, le harcèlement et la violence.

Par conséquent, la DNUDPA reconnait que le CLIP est essentiel pour la protection des droits des peuples autochtones du point de vue des projets de développement majeurs. Dans cette logique, il est plus que pertinent de recommander que le consentement éclairé et préalable des communautés soit recherché lorsque les activités principales d’exploitation sont planifiées sur des territoires autochtones, mais aussi que le partage équitable des avantages à tirer de telles activités soit garanti. Le CLIP est d’ailleurs, à titre d’exemple, une condition essentielle des Principes et critères de la RSPO tentant de responsabiliser la production et l’achat international d’huile de palme, depuis que ceux-ci ont été adoptés en 2005.

Conclusion

Les divergences de traitement entre parties prenantes souffrent du manque d’harmonisation des règles nationales, communautaires ou régionales et internationales, alors même que le principe de participation du public est un élément commun à plusieurs domaines d’analyses. Dans ce contexte, les segments les plus vulnérables ont une place particulière en vue d’assurer une insertion pertinente de projets industriels dans les territoires. La satisfaction des critères de coût, délais et objectifs du projet en est largement dépendant.

Pour investisseurs et industriels, il est donc opportun d’agir de manière proactive dans la maturité des projets pour mieux façonner la conception, le déploiement et la vie des projets dans l’activité locale. Cette démarche est d’ailleurs consacrée par le droit international et par certaines règlementations nationales et régionales.

A contrario, le non-respect d’une telle démarche peut aboutir comme c’est le cas au Chili à un procès interminable. « En 2010, le projet mentionné ci-dessus est approuvé par le système d’évaluation environnemental chilien. Les communautés mapuches, avec l’appui de certains syndicats de pêche, décidèrent alors de porter plainte devant la justice réclamant le manque de consultation et le manque de communication. Les procès furent perdus, en première instance et face à la Cour Suprême du pays. En 2011, le cas est porté à la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme et le processus est actuellement en cours avec les effets néfastes que cela engendre. »

En somme, il est fondamental de protéger les peuples autochtones et leur environnement. Cela signifie ainsi que les industries s’y installant, même avec autorisations administratives idoines, voire avec l’accord de la communauté concernée se doivent de respecter les terres et l’environnement de la communauté et donc de ne pas la polluer ou la dégrader au risque de déclencher une lutte légitime de survie et une barrière constante au déploiement du projet.

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Eric Guetsa intervient en qualité d’Analyste ESG et participe notamment aux activités de structuration de fonds d’impact investing développés par Ksapa.
Eric a 12 ans d’expérience dans les secteurs de la banque et du conseil et a successivement travaillé pour Africa Technology Corporation, Bureau d’Etude Conseil et Formation (BECOF) et Afriland First Bank Cameroun : il y a notamment développé une expertise financière et extrafinancière en matière d’analyse des risques et évaluation ESG dans différents secteurs industriels et agroforestiers.
Il parle français et anglais.

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