Cet article mis à jour a été initialement publié sur Le Cercle Les Echos ici
La multiplication des applications sur les smartphones s’inscrivent dans la vie quotidienne. Nouvelle transparence, nouveaux prescripteurs, nouveaux canaux: Comment les entreprises et les marques s’adaptent face à ces mutations sociétales en cours ?
Disons le tout net: la généralisation des smartphones et des applications a radicalement changé la manière dont le consommateur s’informe et achète. C’est une évidence. Mais les implications notamment pour les marques sont encore mal maîtrisées pour comprendre le fonctionnement et les attentes du consommateur. Cette digitalisation du processus de consommation vient à la fois renforcer la manière dont chacun peut s’inscrire toujours plus dans un monde globalisé, tout en poussant toujours plus loin l’individualisation de l’expérience au monde.
– Globalisation : chacun peut fabriquer et se connecter à des communautés réelles ou virtuelles qui lui conviennent pour s’informer, comparer et acheter. Cela facilite les passerelles entre les attentes et modes de consommation. Il y a 10 ans, les consommateurs Scandinaves étaient plus sensibles à la cause animale que les Français et ils échangeaient peu. Maintenant, tout le monde se côtoie sur les mêmes forums et des réseaux internationaux Vegan, Cause Animale, ou autres se structurent autour des mêmes attentes, se partagent les mêmes informations et se font mutuellement la promotion des mêmes recettes, sites d’achat et autres pratiques en phase avec les valeurs de la communauté. L’échelle est changé et croît de manière exponentielle
– Individualisation : chacun peut désormais accéder au savoir, consommer l’information comme il le désire. Comme le montrait le sociologue Jean-Louis Missika ; fini le temps du « film du dimanche soir » regardé par tous les Français sur les deux chaînes télévisées nationales. Chacun choisi ses programmes, selon son heure et ses besoins sur des médias interactifs. Cela veut aussi dire que capter l’attention d’une tribu cible devient nettement plus complexe. L’ère du Big Data essaye de palier et proposer de nouvelles solutions rationnelles. Mais la viralité au travers de laquelle les individus vont s’aggréger autour d’un YouTuber ou d’une série de référence faisant socle commun reste un casse-tête et demande un suivi de tout instant du marketeur…
Ces exemples sont anecdotiques, mais illustrent plus fondamentalement les mutations sociétales qui sont en train de s’opérer. Les technologies transforment notre expérience individuelle au monde. Cela met au défi les décideurs économiques et politiques de s’adapter, notamment pour encourager une consommation plus durable ou bien pour comprendre les déterminants qui poussent le consommateur à consommer plus responsablement.
Un collectif social en pleine mutation
Clay Shisky remarquait « quand on change notre moyen de communiquer entre nous, on change la société dans laquelle on vit ». Marina Gorbis, Institute for the Future, montre elle aussi comment notre monde opère une évolution depuis une logique de société fondée sur des cadres institutionnels, vers ce qu’elle appelle des « créations structurelles sociales », dans lesquelles l’individu bascule d’un cadre organisé autour de sa personne (ses voisins, son milieu professionnel et social, les institutions de son pays), vers un cadre qu’il s’emploie à activement organiser autour de ses besoins (ses centres d’intérêts, ses aspirations personnelles et professionnelles). Il me semble que cela soulève plusieurs questions :
– La légitimité du Politique est à l’épreuve. Par exemple, comment conserver le sentiment d’appartenance à un collectif si celui-ci s’établit désormais dans un contexte où les individus peuvent « choisir » les collectifs auxquels ils souhaitent s’associer ?
– Le « business model » traditionnel des entreprises est également mis à rude épreuve. Par exemple, comment conserver des ventes performantes dans les magasins, si le consommateur vient regarder les produits, se faire conseiller, prendre des photos, pour aller acheter moins cher sur Internet ? On voit bien comment les chaînes et détaillants ferment les antennes, tout autant que les agences bancaires. La transformation digitale s’inscrit dans nos territoires de manière très concrète.
Des principes que les décideurs économiques et politiques doivent adopter
Face à cette réalité, Marina Gorbis propose les pistes suivantes :
– Des données en accès libre : l’information doit être à disposition. Finies par exemple la propriété intellectuelle et la valeur commerciale de l’information.
– Encourager le débat collectif : les médias sociaux libèrent l’expression des idées et opinions individuelles. Ils défient la légitimité des débats publics institutionnalisés.
– Faciliter l’appropriation de l’information : l’entreprise et le Politique ont un rôle à jouer dans l’éducation et doivent permettre au citoyen et au consommateur de décrypter l’information à disposition.
– Permettre à chacun d’agir à son niveau : le développement des applications sur Smartphone permet progressivement de rendre chacun autonome, capable de décider de toute sorte d’actions à l’échelle individuelle. Par exemple, Lego propose aux clients la possibilité de personnaliser un objet et une boîte contenant le nécessaire pour le construire. J’ai reçu ainsi une éolienne en Lego pour Noël de la part d’un client qui construit et installe des éoliennes…
Des questions restent en suspens
Les mutations sociétales en cours sont d’une grande complexité. Or la première révolution industrielle n’a commencé à être comprise et analysée que 150 ans plus tard. Si le train est en marche et que la destination est bien incertaine, le décideur reste toutefois face à son destin :
– Comment le Politique peut-il définir un mode de gouvernance approprié et préserver la légitimité démocratique dans les nouveaux modèles de « vivre ensemble » qui se dessinent ? On voit bien combien Facebook et Twitter façonnent l’expression des corps intermédiaires selon des échelles, une temporalité et des espaces virtuelles qui viennent rebattre les cartes de l’expression démocratique
– Comment le décideur peut-il faire basculer les modèles de création de valeur pour adapter son outil économique aux nouvelles réalités dans lesquelles se dessinent les choix d’avenir de ses clients, ses consommateurs voire l’ensemble des parties prenantes de son écosystème ? On voit bien comment des applications comme Yuca ou Open Food Facts permettent désormais au consommateur d’évaluer facilement les produits et opter pour une alternative jugée meilleure pour la santé et l’environnement selon les méthodologies
Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.