Les médias sociaux vont-ils tuer les rapports développement durable ?

Les médias sociaux ont tué les rapports RSE. Vive les médias sociaux!

Cet article mis à jour a été initialement publié sur Le Cercle Les Echos ici

Quand avez-vous consulté votre annuaire téléphonique pour la dernière fois pour y chercher un numéro de téléphone ? Non seulement la recherche d’informations s’effectue désormais avant tout en ligne et de manière ciblée. Mais les médias sociaux changent aussi la perception et la consommation de cette information extra financière. Avec quelles implications ?

Pour les entreprises visant à améliorer leur contribution en faveur du développement durable, la question du reporting a été importante et s’est structurée sur les 20 dernières années. Outil de diffusion de l’information et de dialogue avec les parties prenantes, le reporting extra financier a été une activité-clé permettant de soutenir la crédibilité (ou non) de la démarche développement durable d’une entreprise. De plus en plus réglementée, par exemple en France via les exigences issues de l’article 225 de la loi Grenelle 2, l’intégration de considérations extra financière dans les documents de référence, et bientôt via la déclaration extra financière de performance (DPEF), la démarche de reporting extra financière se structure majoritairement autour de la préparation et de la publication de rapports dédiés, faisant état par exemple de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE).

Rapports RSE, documents de référence, DPEF… ces documents sous format RSE n’intéressent qu’une petite fraction d’employés, de consultants et concurrents et d’étudiants. Ils sont de plus en plus marginalisée dans la manière dont les parties prenantes essentielles – clients, investisseurs, prescripteurs et influenceurs se forgent leur opinion et font leur propre évaluation. Plus personne ne se concentre sur un PDF sans approfondir en naviguant parmi des liens hypertextes et en croisant l’information avec d’autres sources officielles et les contenus charriés par les médias sociaux (évolutions sectorielles, controverses, campagnes thématiques, points de vue d’experts, évolution réglementaire…).

Démarche RSE: démarche de dialogue

Le principe même d’une démarche RSE, c’est d’offrir un espace de dialogue. En réponse aux sceptiques y voyant un simple outil de communication et de Greenwashing, j’ai toujours expliqué à mes collègues, partenaires, clients, décideurs et étudiants que j’avais pu rencontrer ce qui a fait longtemps fondamentalement la différence:

– Une démarche de communication reste avant tout « top down ». Elle vise à faire passer un message auprès d’une audience cible pour en obtenir l’adhésion. Voilà ce que je fais et comment je veux vous convaincre que c’est la bonne manière de le faire.

– Une démarche RSE reste avant tout une démarche « feed back ». Elle vise à partager une perspective et collecter du feedback pour enrichir et améliorer cette perspective. Voilà ce que je comprends du sujet et ce que je fais pour y travailler. Qu’est-ce que je n’ai pas compris et comment je peux faire mieux?

Dès lors, pour que l’ensemble de la démarche extra financière de reporting puisse continuer à fonctionner et rester crédible dans un espace où l’accès à l’information s’est non seulement complètement digitalisé, mais aussi renforcé autour des médias sociaux, il faut revoir complètement l’approche, pour conserver et adapter les moyens à déployer pour créer les conditions d’un dialogue crédible.

Pour faire du dialogue, les médias sociaux ont un rôle évident!

Si la RSE est une démarche de dialogue, quel rôle donner aux médias sociaux ? Après tout, les médias sociaux sont… sociaux, donc humains. Ils sont le catalyseur de nombreux débats, rumeurs, connexions permettant de lier des informations et de renforcer son regard critique sur des sujets complexes.

Les réseaux sociaux ont donné un sacré coup de vieux aux approches convenues des rapports annuels des entreprises (financiers, développement durable), avec leur lot de « Message du Directeur Général » et autres « Rapports d’Examen des Commissaires aux Comptes ». Désormais, des outils suivent le buzz des médias sociaux pour prendre le pouls et identifier les trajectoires structurelles et priorités du moment. Il n’y a plus de distance entre le « Directeur Général » et les parties prenantes qui peuvent l’interpeller directement sur Tweeter. Outre les comptes officiels, suivre certains salariés d’organisations permet là aussi de mieux comprendre ce qu’il s’y passe au-delà des canaux officiels. Bref, les médias sociaux rendent le formalisme des rapports PDF caduque autant qu’ils apportent de l’information d’une plus grande richesse et diversité dans de nombreux cas.

Dès lors, autant s’adapter à cette nouvelle réalité? Quelques exemples:
– Activement impliquer les utilisateurs des données (via les médias sociaux) via des espaces offerts sur Twitter, Instagram, Facebook ou Linkedin par exemple
– Utiliser les mêmes outils pour constamment suivre et mettre à jour une cartographie de parties prenantes. Au-delà des institutionnels et des acteurs convenus, les médias sociaux offrent aussi une fenêtre sur une richesse d’initiatives, d’acteurs, de programmes qu’il convient de suivre constamment afin de se connecter et entrer en dialogue avec les plus pertinentes
– Faire des passerelles entre les données fournies par l’entreprise et ce qui se trouve ailleurs sur Internet pour crédibiliser et contextualiser l’information et alimenter le regard critique de l’utilisateur

Accepter de perdre la main sur les échanges?

Il y a vraiment un risque pour des profils communicants à accepter de perdre la main sur les contenus fournis : un bon vieux rapport PDF permettait d’assurer la véracité des informations fournies aux parties prenantes, ou tout du moins d’en contrôler la communication. De leur côté, si l’utilisation des médias sociaux n’est pas guidée, elle peut tout simplement représenter une perte de temps abyssale, connecter de l’information pertinente avec de grossières imprécisions. Des Trolls ont une capacité à faire gonfler des fausses informations rapidement…

Pourtant la bataille de la communication totalement verrouillée est déjà perdue depuis longtemps : n’importe quelle partie prenante désireuse de porter un regard critique sur la performance RSE d’une entreprise ne se contentera pas des informations que l’entreprise voudra bien lui fournir directement. En quelques clics, il fera l’effort de croiser les données. N’importe quel salarié dispose d’un téléphone et peut prendre une photo ou enregistrer ce qu’il veut et le diffuser sur Facebook en quelques secondes et tweeter pour relayer l’information. Ce débat n’a plus lieu d’être, mais rappelle qu’on n’est bien armé pour faire du reporting extra financier à l’ère des médias sociaux qu’en s’assurant d’avoir quelques bases en place:

– Bien connaître ses enjeux sectoriels prioritaires pour ne pas se perdre dans le superflu. Cela n’empêche pas d’avoir également une vision prospective et garder un oeil sur des signaux faibles

-Bien connaître les dynamiques sectoriels et jeux d’acteurs pour identifier la véracité des informations et rapidement balayer l’incohérence et les fake news

– Conserver des espaces de réflexion et d’actions hors des médias sociaux. Non seulement certaines réflexions demandent un temps long. Mais un livre, une étude, le suivi d’un travail de recherche sont autant d’espaces indispensables sur les questions complexes qui sous-tendent aux enjeux extra financiers des entreprises

Comment faire du reporting à l’ère des médias sociaux ?

Voici ainsi quelques principes à méditer pour les personnes en charge de démarche de reporting dans les entreprises, pour s’adapter à un univers de diffusion et d’accès à l’information en pleine mutation :

– Humaniser la démarche. Au lieu de démarches déshumanisées derrière des emails sans saveur de type contact@monorganisation.com, il faut sortir du bois, laisser les collègues porter individuellement la démarche avec leur nom, prénom et email pour écrire des blogs, tweeter, représenter l’approche de l’entreprise dans son reporting.

– Écouter. La participation aux médias sociaux, c’est 99 % d’écoute et 1 % de prise de parole. Identifier les bons canaux, comprendre l’orientation des conversations, argumenter pour donner du relief aux données disponibles dans la démarche de reporting permettent à la fois d’expliquer et d’améliorer la démarche de l’entreprise.

– Intégrer. Il existe déjà des communautés, des sites et plateformes sérieux partageant de l’information pertinente. Il faut s’y associer, faire des passerelles entre ces informations et ces communautés et les dossiers pertinents portés par la démarche de reporting. C’est une manière dynamique de faire vivre les données de reporting et de leur donner de la profondeur.

– Recruter. J’observe au quotidien dans mon travail combien une fracture reste réelle entre disons les trentenaires et les cinquantenaires. Les jeunes générations opèrent une lente, mais indéniable mutation dans l’organisation du travail individuel et collaboratif, mais surtout dans l’accès à l’information et la maîtrise des réseaux sociaux. Mais les cinquantenaires restent souvent les principaux décideurs…

Dans les entreprises, il faut donc simplement accepter de recruter ces jeunes, renforcer les équipes en place pour bénéficier de tout ce qui est évident et déjà intégré pour la génération Y, les mixer dans des équipes d’encadrement plus senior.

Pour rester crédibles, les démarches doivent trouver de nouveaux équilibres permettant d’entrer de plain-pied dans l’ère des médias sociaux. Et je vous laisse avec la question suivante, comment transformer un rapport développement durable de 140 pages en un tweet de 140 caractères? Probablement une question d’avenir qui pourra se résumer à l’expérience en réalité virtuelle de la manière dont un programme ou un produit améliore sa performance environnementale et sociale…

Farid Baddache auteur de ce blog sur les thématique de résilience, d'impact et d'inclusion
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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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