Plusieurs initiatives visent à développer un standard de reporting harmonisé pour l’information Environnementale, Sociale et de Gouvernance (ESG) des entreprises. Le but est de mettre en cohérence les multiples cadres de reporting existants. Il est à espérer que ces initiatives d’harmonisation ne se contredisent pas les unes les autres. Trois principes seront essentiels au développement d’un tel standard.
1. Le reporting extra-financier en 2020 : multiplication des cadres de reporting et lassitude des entreprises
Le reporting extra-financier des entreprises a beaucoup évolué ces dernières années. De nombreux cadres volontaires de reporting – tels que le GRI, le SASB, le CDP, le TCFD, le CDSB – ont aidé les entreprises à produire une information ESG plus pertinente et plus complète.
Chacun de ces cadres volontaires propose néanmoins une approche qui lui est propre, se focalise sur une audience, ou sur une thématique en particulier et propose un choix d’indicateurs indépendant. Ces approches ne se combinent pas aisément dans une déclaration de performance extra-financière.
Pour ajouter de la complexité, les agences de notations ESG – très influentes sur le marché – ont développé des méthodologies de notation privées, fondés sur leur propre sélection d’indicateurs. Il faut noter par ailleurs que la corrélation des notations des différentes agences n’est pas systématique. En raison de ces différences méthodologiques, ces agences peuvent allouer des scores radicalement différents à la même entreprise.
Cette multiplication des cadres de reporting nuit à la comparabilité de la donnée. Lorsqu’elles produisent leur information extra-financière, les entreprises composent avec les différents cadres volontaires, les exigences des agences de notations et les requêtes individuelles de leurs actionnaires. Au final, les indicateurs de performance ESG publiés se révèlent difficilement comparables d’une entreprise à l’autre, car basés sur des unités ou des méthodologies variées. Rien que pour la comptabilité carbone, le régulateur européen ESMA observe que « les émissions de CO2 sont publiées sous forme d’émissions totales, d’émissions totales à production constante, d’émissions par tonne de production, tonne d’émissions par heure de production et ratio d’intensité d’émissions ».
Des voix s’élèvent pour mettre fin à cette situation. Les investisseurs exigent des données extra-financières plus comparables d’une entreprise à l’autre. Quant aux équipes en charge du reporting en entreprise, elles expriment leur lassitude face à l’avalanche d’instructions et de requêtes contradictoires. Les uns et les autres en appellent à une harmonisation raisonnée du reporting extra-financier.
2. L’harmonisation du reporting extra-financier a débuté
Au moins deux initiatives sont en place pour harmoniser les cadres de reporting existants.
Une initiative européenne
La Commission européenne souhaite modifier la Directive sur l’information extra-financière des entreprises (NFRD) pour assurer une information plus fiable et plus comparable.
Elle a annoncé sa volonté d’aligner les obligations de reporting avec les recommandations de la Taskforce on Climate-related Financial Disclosure (TCFD). D’après une consultation publique mise en ligne au printemps 2020, la Commission européenne envisage d’aller plus loin, en développant son propre cadre de reporting à partir des cadres volontaires existants. Cette consultation évoque aussi la possibilité de rendre obligatoire l’audit de l’information extra-financière.
Une initiative internationale entre régulateurs
En 2019, 7 Etats dont l’Union européenne, le Canada, l’Inde et la Chine ont lancé une Plateforme Internationale sur la Finance Responsable (IPSF). L’objectif de cette plateforme sera de coordonner les initiatives des marchés financiers de ces Etats pour la production d’information extra-financière, comme les différentes taxonomies, les labels ou les cadres de reporting.
Une initiative internationale privée
Le Forum Economique Mondial – l’organisation internationale pour la coopération publique-privée qui se réunit tous les ans à Davos – a développé un standard composé de 62 indicateurs extraits de cadres existants.
Ce standard se veut universel et couvre tous les secteurs (« universal and industry-agnostic »). Il se compose de 2 volets. Le premier volet, l’ensemble principal (« core set »), comprend 22 lignes de reporting qui se retrouvent fréquemment dans les publications des entreprises. Les informations demandées comprennent des indicateurs quantitatifs et des éléments descriptifs. Le second volet comprend 37 lignes de reporting. Son contenu est moins fréquemment publié dans les rapports de développement durable. Les 65 lignes de reporting sont organisées autour de 4 piliers : gouvernance, peuple, planète et prospérité.
Autres initiatives d’harmonisation ne visant pas la création d’un standard unique
D’autres initiatives tentent de promouvoir plus de cohérence dans l’application des cadres de reporting existants, sans pour autant offrir de suggestionpour un nouveau cadre harmonisé. C’est le cas, par exemple, du Reporting Exchange du World Business Council on Sustainable Development, qui rassemble, organise par thème et met en cohérence les indicateurs de 70 cadres de reporting volontaires et obligatoires. Une autre initiative, le Corporate Reporting Dialogue, propose des tables de références entre les différents cadres de reporting traitant du changement climatique.
Pour éviter plus de confusion, il est crucial que les différentes initiatives se coordonnent. Cette coordination doit avoir lieu entre régulateurs nationaux, régionaux et en lien avec les initiatives privées au risque d’obtenir des standards de reporting différents en Europe, aux Etats-Unis et dans le reste du monde.
3. Trois principes pour un cadre de reporting harmonisé et pertinent
Avec l’université de Yale, nous nous sommes interrogés sur les principes nécessaires au succès d’un cadre de reporting harmonisé. Selon nous, un tel standard doit poursuivre trois grands objectifs : permettre une information complète, comparable et fiable.
Une information complète
Il est tentant de développer un standard de reporting ESG qui s’appliquerait à toutes les entreprises, indépendamment de leurs activités et de leurs géographies. Mais cela serait vain. Toutes les entreprises sont différentes ; chacune possède son savoir-faire, son histoire, sa chaine de valeur et sa stratégie. Nous proposons d’organiser l’information ESG en 3 grands volets :
- une information commune à toutes les entreprises – ce que cherche à développer le Forum Economique Mondial ;
- une information spécifique aux enjeux du secteurs, qui pourrait s’inspirer du travail du SASB et du GRI,
- une information spécifique à l’entreprise, comprenant des méthodes, des stratégies, des problématiques liées à la culture d’entreprise, au contexte économique et à l’activité de chaque entité.
Il ne s’agit pas de produire une information ESG exhaustive qui noierait son audience dans un flot d’information. Au contraire, il s’agit d’intégrer intelligemment le principe de matérialité, de manière à ce que l’entreprise puisse communiquer des informations pertinentes, que cette information soit requise ou non par les cadres existants.
Une information comparable – fondée sur des méthodologies publiques
Chaque indicateur, universel ou sectoriel, qui serait requis par un standard harmonisé devrait s’accompagner d’une méthodologie publique, de type GHG Protocol. La méthodologie établira l’unité exacte de l’indicateur, le périmètre d’étude (chaine de valeur, entités juridiques, franchises et fusion-acquisition), les documents sous-jacents et le protocole d’agrégation des données. Cette méthodologie publique et commune à toutes les entreprises permettra ensuite de faire vérifier la donnée par un auditeur. Ces méthodologies pourraient être développées par l’organisation ISO pour permettre un processus de consultation démocratique.
Une information fiable – avec des principes pour la vérification des données
Produire une information fiable constitue un vrai défi pour les entreprises mondialisées, qui opèrent dans de nombreux pays. L’Europe se prépare à rendre obligatoire l’audit de l’information extra-financière. Au niveau international et dans les prochaines années, il est peu probable que les autres grandes places financières s’engagent dans la même voie. C’est pourquoi nous pensons qu’un standard harmonisé de reporting ESG doit définir des principes pour le contrôle qualité des données, à l’intérieur même de l’entreprise.
Aux vues de ces 3 principes, les propositions de la Commission européenne et du Forum Economique Mondial sont encourageantes. Il reste à espérer que ces initiatives seront à la hauteur des attentes du marché.
Diane Strauss
Diane Strauss est Directrice de l'association Transport & Environnement en France, où elle dirige les activités de plaidoyer et de recherche pour accélérer la transition énergétique dans l'industrie des transports. Diane a travaillé trois ans comme Directrice de Recherche pour l'Initiative sur la Finance Durable de l'Université de Yale (YISF), où elle a mené plusieurs projets de recherche pour identifier et lever les obstacles à l'investissement durable. Avant de rejoindre YISF, Diane a travaillé à 2Degrees Investing Initiative, un groupe de réflexion basé à Paris, ainsi que pour le bureau de politique européenne du Fonds mondial pour la nature (WWF) à Bruxelles et pour la banque d'investissement Natixis. Elle est l'auteur de plusieurs articles académiques et études qui évaluent les politiques publiques visant à orienter les capitaux vers des investissements responsables.