Naviguer les défis de la chaîne d’approvisionnement mondiale en riz

Introduction et contexte

Le riz n’est pas seulement un aliment de base ; il représente près d’un cinquième de toutes les calories consommées par les humains dans le monde. La dépendance à l’égard de cette céréale montre clairement son rôle indispensable pour garantir la sécurité alimentaire, en particulier dans les pays en développement. Aujourd’hui, la consommation de riz augmente dans le monde entier, alors que la productivité diminue en raison de nombreux facteurs.

90 % de la production mondiale de riz étant concentrée en Asie, des pays comme la Chine, l’Inde, le Bangladesh, l’Indonésie et le Viêt Nam jouent un rôle essentiel dans l’approvisionnement mondial en riz. La consommation de riz est toutefois largement décentralisée et répartie dans le monde entier.

Les petits exploitants agricoles font partie intégrante de cette chaîne d’approvisionnement, d’où la nécessité de relever les défis et de saisir les opportunités qui se présentent à eux. La demande mondiale de riz devant augmenter de 25 % au cours des 25 prochaines années, la compréhension de la dynamique de la durabilité de la chaîne d’approvisionnement en riz n’est pas seulement opportune, elle est cruciale.

Après la pandémie de COVID-19, de nombreux pays ont décidé de réduire drastiquement ou de limiter leurs exportations afin de renforcer leurs stocks de sécurité alimentaire, ce qui a révélé plus que jamais le levier politique que représente le riz, en particulier en Asie. Les pays d’Asie du Sud-Est ont eu des politiques divergentes en matière de riz : Le Vietnam a dû restreindre les volumes exportés pour assurer la consommation locale tout en garantissant exceptionnellement des réserves pour les Philippines qui importent habituellement 90 % de leur riz du pays. D’autre part, la Thaïlande a utilisé la restriction des exportations dans les pays voisins à son propre avantage. En utilisant l’excédent de riz disponible dans tout le pays, la Thaïlande a pu répondre aux besoins des importations et une augmentation temporaire de la demande de riz thaïlandais a été observée.

Dynamique mondiale de la culture du riz

La culture du riz est le moyen de subsistance de milliards de personnes dans le monde. Sa prédominance dans le paysage alimentaire mondial et ses pratiques culturales ont évolué, en réponse aux changements environnementaux et socio-économiques. Le paradigme actuel de la culture du riz est marqué par l’utilisation intensive du paquet de la révolution verte, alors que le contexte des ressources naturelles a radicalement changé. En effet, conçues à l’origine pour maximiser le rendement, ces semences sont une arme à double tranchant, car leur productivité est liée à une dépendance accrue à l’égard des herbicides, de l’eau, des engrais chimiques et des pesticides. Si ces pratiques ont permis d’augmenter les chiffres de production, elles posent aujourd’hui des défis environnementaux et sanitaires qui sont devenus des priorités au cours de la dernière décennie.

Impact environnemental

  • Lorsqu’elle est continuellement inondée, la culture du riz est une source puissante de méthane, un gaz à effet de serre dont le potentiel de réchauffement planétaire est 25 fois supérieur à celui du CO2 sur un siècle. Les émissions de méthane provenant des terres rizicoles représentent environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture mondiale. Des pays comme le Viêt Nam attribuant 50 % de leurs émissions agricoles à la riziculture, il est évident que la lutte contre les émissions de méthane est une priorité à la fois environnementale et économique.
  • Les températures plus élevées observées en raison du changement climatique, en particulier au stade de la floraison des cultures de riz, induisent la stérilité des fleurs. Cela a un impact direct sur la pollinisation et le développement des cultures, ce qui entraîne une baisse des rendements.
  • La culture du riz est par nature gourmande en eau. On estime que la production d’un kilo de riz nécessite environ 2 500 litres d’eau. Dans des régions comme l’Inde, où 44 % des terres sont sujettes à la sécheresse, cette consommation n’est pas durable et est parfois aggravée par des politiques publiques visant à réduire les coûts de production. En effet, il n’y a toujours pas de règles de conservation de l’eau dans les systèmes agricoles en Inde. Les agriculteurs ont accès à de l’eau gratuite et les projets de développement jusqu’en 218 étaient axés sur la construction de canaux pour l’irrigation, ce qui s’est avéré très coûteux. En outre, dans des pays comme la Chine, l’extraction excessive d’eau pour la riziculture a entraîné une baisse des nappes phréatiques, ce qui a encore aggravé la crise de l’eau. Alors que le monde se dirige vers une pénurie d’eau potentielle, la gestion durable de l’eau dans la culture du riz n’est pas seulement souhaitable, elle est impérative.

Dimensions sociales

La majorité du riz est cultivée par de petits exploitants, qui sont confrontés à toute une série de défis.

  • Le vieillissement des populations dans les zones rurales, conjugué à la migration des jeunes vers les centres urbains, menace l’avenir de la riziculture.
  • La fluctuation des prix mondiaux a un impact direct sur la prospérité de ces agriculteurs. Ils dépendent souvent des moussons et certaines régions connaissent déjà un stress hydrique qui devrait s’intensifier avec les changements climatiques prévus.
  • Le riz devenant moins rentable pour les agriculteurs, il est utilisé comme culture secondaire pour la consommation des ménages. Les petits exploitants se tournent vers des cultures de rapport plus rentables et utilisent leurs récoltes pour la consommation quotidienne.

L’Institut international de recherche sur le riz (IRRI) estime que les paysages traditionnels de riziculture pourraient connaître une baisse de rendement allant jusqu’à 40 % en raison du changement climatique provoqué par une grave sécheresse, comme on l’a vu dans certains États de l’Inde, alors que la demande ne cesse de croître. Ces chiffres soulignent non seulement la vulnérabilité des riziculteurs, mais aussi la nécessité de mettre en place des techniques agricoles adaptatives et résilientes, ainsi que des prix d’achat attractifs qui n’incluent pas aujourd’hui les coûts environnementaux élevés liés à cette culture.

Les enjeux économiques

En observant les flux commerciaux mondiaux de riz au fil des ans, des événements remarquables peuvent être notés :

  • Les épisodes de sécheresse sévère en 2018 ont eu un impact considérable sur la production et les exportations générales, ce qui a entraîné une réduction des frictions commerciales entre les principaux pays.
  • À la suite de la pandémie de COVID-19, plusieurs pays ont réduit leurs exportations pour garantir la sécurité alimentaire nationale, ce qui a entraîné une augmentation des prix internationaux du riz.

Cette fluctuation des prix menace non seulement les synergies politiques et les réseaux commerciaux en place, mais elle a également un impact sur les pays concernés, qui dépendent du riz pour assurer un apport nutritif et la sécurité alimentaire des communautés les plus vulnérables.

Vers une culture nette zéro : Opportunités et voies de progrès

Le chemin vers la culture du riz à zéro est une tâche colossale, étant donné la complexité, la variabilité et l’échelle de sa production. En raison de leurs émissions de méthane, les parcelles de riz émettent 2 à 5 fois plus que les autres cultures de base. Reconnaître que le riz est une culture à forte émission de gaz à effet de serre ouvre les portes du financement de la lutte contre le changement climatique. En orientant ces fonds vers les communautés rurales et les petits exploitants agricoles, il est possible de promouvoir des pratiques culturales résistantes au climat, ce qui facilitera l’évolution vers des émissions nettes nulles. *Lien vers l’article sur la séquestration du carbone

Réduction des émissions de méthane

Les cultures de riz, en particulier lorsqu’elles sont submergées, contribuent de manière significative aux émissions de méthane. Alors que la riziculture traditionnelle repose sur l’inondation continue, des méthodes alternatives telles que la technique de l’Alternate Wetting and Drying (AWD) peuvent réduire les émissions de méthane jusqu’à 50 %. La technique AWD consiste à laisser sécher les rizières pendant certaines périodes avant de les inonder à nouveau, ce qui perturbe le cycle de production du méthane. L’Institut international de recherche sur le riz (IRRI) a joué un rôle essentiel dans la promotion de la technique AWD, soulignant qu’au-delà de la réduction du méthane, cette technique permet d’économiser jusqu’à 30 % de l’eau utilisée pour la culture. Cette méthodologie a été testée par l’expert en agronomie de Ksapa en Thaïlande dans le cadre d’un projet d’amélioration des moyens de subsistance des petits exploitants.

Développement des compétences

Il est essentiel de donner aux agriculteurs les moyens d’acquérir des connaissances et des compétences. En plus de l’AWD, les programmes qui se concentrent sur l’enseignement aux agriculteurs des bonnes pratiques agricoles, y compris la préparation du sol et la gestion de la fertilité, l’ensemencement et le désherbage, les intrants durables, la production artisanale et la gestion des résidus, peuvent produire des dividendes significatifs.

Mécanismes financiers

Étant donné que le riz est une culture à forte teneur en gaz à effet de serre, il existe une opportunité tangible d’attirer des financements pour le climat. Les agriculteurs et les coopératives peuvent adopter des pratiques durables telles que l’AWD décrite précédemment, ce qui permet de réduire les émissions de carbone et d’obtenir des crédits carbone.

Études de cas : Perspectives et enseignements

Efforts en Afrique pour améliorer la valeur nutritive du riz produit

Le continent africain présente un potentiel important pour la culture du riz. Pourtant, de vastes étendues propices à la production de riz restent sous-utilisées. En effet, si l’on estime que plus de 230 hectares sont propices à la production de riz, seuls 12 hectares sont actuellement utilisés. Les rendements actuels sont préoccupants, surtout si l’on tient compte de la demande croissante dans des régions comme l’Afrique subsaharienne. Toutefois, des initiatives dans des pays comme le Burundi, où des variétés de riz améliorées et une formation complète des agriculteurs aux bonnes pratiques agricoles ont permis d’augmenter la production de 73 %, démontrent le potentiel de transformation d’interventions ciblées.

Les initiatives durables du Viêt Nam

La production de riz contribuant de manière significative aux émissions de gaz à effet de serre du Vietnam, l’engagement du pays en faveur des objectifs de réduction des émissions de l’Accord de Paris mérite d’être souligné. Le Viêt Nam a intégré des pratiques agricoles durables dans son programme de développement national et collabore avec des partenaires internationaux pour promouvoir la riziculture durable. Les efforts portent notamment sur la création de boîtes à outils destinées au secteur privé pour les chaînes de valeur du riz durable et sur l’élaboration de cadres de suivi, de notification et de vérification (MRV).

Les innovations des Philippines  

Les Philippines illustrent les avantages de l’intégration technologique dans la culture durable du riz. Leur système national de surveillance des ravageurs et d’alerte précoce, ainsi que le passage au riz sec à semis direct, ont permis de réduire de 23 % les émissions de méthane.

Défis et interventions

Aujourd’hui, la plupart des projets incluant la production de riz sont soit très rares, soit mis en œuvre très lentement ou sur des parcelles de terre très limitées. En raison de leur dimension politique, les projets liés à la chaîne de valeur du riz impliquent généralement un grand nombre d’acteurs ayant des intérêts différents. Il est urgent de mettre en place des processus de mise en œuvre légers avec des impacts rapides afin d’encourager les petits exploitants agricoles à adopter massivement des BPA durables. Ces pratiques durables auront un impact considérable en raison du nombre d’exploitations rizicoles dans le monde. En effet, au cours des dix dernières années, les systèmes d’alternance d’humidification et de séchage (AWD) et le système d’intensification du riz (SRI) ont été parmi les systèmes de production les plus populaires et les plus efficaces, démontrant des impacts positifs sur la consommation d’eau et la gestion de la fertilité des sols, mais ces systèmes n’ont pas été adoptés massivement en raison de contraintes à différents niveaux : sensibilisation, administratif, opérationnel,… qui ont empêché les agriculteurs de comprendre, de posséder, d’adopter et de transférer ce type d’innovation de faible technicité. Même avec le financement carbone qui serait un accélérateur pour passer à des pratiques plus économes, la mise en œuvre technique et administrative dissuade la plupart des acteurs de la chaîne d’approvisionnement de s’engager à grande échelle.

Conclusion

Les complexités entourant la culture du riz, des implications environnementales aux défis socio-économiques et politiques, requièrent une approche multidimensionnelle de la durabilité. Étant donné que la demande mondiale de riz va continuer à croître, il n’est pas seulement préférable, mais essentiel, d’ouvrir des voies durables. Comprendre ces défis et ces opportunités est essentiel pour guider les entreprises vers des décisions et des pratiques durables dans le secteur du riz.

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Hatim Issoufaly travaille depuis 15 ans pour le développement des compétences des agriculteurs et des acteurs de la société civile en Asie et en Afrique dans une logique d’impact à large échelle. Il a notamment développé des solutions avec la participation de praticiens sur le terrain visant à mettre en relation de grands groupes industriels et des petits exploitants agricoles vulnérables. L'objectif étant de structurer des chaînes d’approvisionnement résilientes grâce à des modèles agronomiques novateurs pour augmenter le revenu net des agriculteurs tout en améliorant la qualité et la traçabilité de matières premières sensibles.
Hatim est titulaire d’un Master en système agricole comparatif (Agro Paristech) et d’un Master en agriculture tropicale de l’école d’agronomie de Montpellier.

Julia Hani
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