Décryptage des principales initiatives réglementaires européennes auxquelles toutes les entreprises doivent se préparer en 2023

CS3D, Déforestation, Taxonomie Sociale, Travail Forcé, MACF… L’année 2023 est riche en développements législatifs portés par l’Union Européenne. Cet article donne une vue générale de l’état des lieux de mise en œuvre des principales réglementations en matière de durabilité qui concernent toutes les entreprises de plus de 250 salariés. Ces actes législatifs sont pour la quasi-totalité en instance législative. D’autres règlementations en matière de durabilité sont en vigueur ou en cours d’établissement : par exemple, la stratégie de l’UE pour des textiles durables et circulaires, le projet de règlement de la ferme à l’assiette, le projet de règlement sur l’envoi des déchets dans les pays tiers, la stratégie de l’Union en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, etc. Ces initiatives ne seront pas détaillées ici, le présent article n’ayant pas vocation à être exhaustif.

1. La proposition de directive sur le devoir de vigilance (CSDDD)

Présentée par la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil le 23 février 2022, la proposition de directive sur le devoir de diligence des entreprises en matière de durabilité vise principalement deux objectifs. D’abord, il s’agit de créer pour les entreprises mères une obligation de répondre des incidences négatives réelles et potentielles sur les droits de l’homme et l’environnement, en ce qui concerne leurs propres activités, les activités de leurs filiales et les opérations de la chaine de valeur réalisées par des entités avec lesquelles ces entreprises mères entretiennent une relation commerciale établie. D’autre part, la proposition de directive a pour objet de définir les règles de mise en œuvre de la responsabilité des entreprises assujetties en cas de manquement à ces obligations.

Dans son fonctionnement, la CS3D impose en son article 4 au titre du devoir de vigilance une obligation non seulement d’intégrer le devoir de vigilance dans les politiques de l’entreprise et d’en communiquer au public ; mais aussi de recenser, prévenir et atténuer les incidences négatives réelles ou potentielles, et de mettre un terme aux incidences négatives réelles aux droits humains et à l’environnement. Par ailleurs, elles doivent établir et maintenir une procédure relative aux plaintes et communiquer publiquement sur leur devoir de vigilance. En la matière Ksapa a accompagné de nombreuses entreprises dans la définition de politiques de due diligence efficaces conformément à des standards qui fondent la directive européenne.

La directive concerne à la fois les entreprises européennes et les entreprises non européennes.

Pour les entreprises de l’UE sont concernées par la directive :

  • Les entreprises qui, pour l’exercice précédent, ont capitalisé un chiffre d’affaires net de plus de 150 millions d’euros, pour un total de plus de 500 employés,
  • Les entreprises qui, au cours de l’exercice précédent, ont réalisé un chiffre d’affaires net supérieur à 40 millions d’euros (sans atteindre 150 millions d’euros), pour un total de plus de 250 employés, à condition que 50 % de ce chiffre d’affaires ait été réalisé dans un ou plusieurs des secteurs suivants : textiles, articles en cuir et produits connexes ; agriculture, sylviculture, pêche, etc.,

Pour les entreprises non communautaires, sont concernées :

  • Les entreprises de pays tiers générant un chiffre d’affaires net de plus de 150 millions d’euros dans l’Union au cours de l’exercice précédant le dernier exercice ;
  • Les entreprises de pays tiers qui ont réalisé un chiffre d’affaires net supérieur à 40 millions d’euros mais inférieur ou égal à 150 millions d’euros dans l’Union au cours de l’exercice précédant le dernier exercice, à condition qu’au moins 50 % de leur chiffre d’affaires net mondial ait été réalisé dans un ou plusieurs des secteurs à haut risque susmentionnés.

Dans son compromis à soumettre au parlement pour négociation le Conseil a introduit une clause d’introduction progressive de la directive pour une durée de trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la directive. En raison de cette période d’introduction progressive, les critères d’application ci dessus exposés ne s’appliqueront qu’à la fin de cette période. Aussi, en lieu et place d’une année d’exercice , les exigences de chiffre d’affaire et du nombre d’employés doivent être désormais remplies pour les deux dernières années pour son application effective. En effet, les règles de la directive proposée s’appliqueront en premier lieu aux très grandes entreprises qui comptent plus de 1000 employés et réalisent un chiffre d’affaires net mondial de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires net mondial, ou 300 millions de chiffre d’affaires net réalisé dans l’Union pour les entreprises non européennes, trois (03)ans à compter de l’entrée en vigueur.

La directive sur le devoir de vigilance en rapport avec la loi française sur le devoir de vigilance innove fondamentalement sur deux aspects. D’abord, elle impose aux administrateurs des grandes entreprises d’intégrer les risques de durabilité dans leurs décisions de direction et de surveillance de l’entreprise. Ensuite, la directive exige aussi des entreprises assujetties d’adopter un plan de lutte contre le changement climatique intégrant l’impact des risques de changement climatique sur les activités de l’entreprise.

Les discussions autour de la proposition de directive n’ont pas beaucoup avancé et ce depuis le 23 février 2022, date de sa proposition. L’acte récent de procédure législative de l’Union relative à ladite directive consiste en une orientation générale en destination du conseil et adopté par le Comité permanent de représentants le 30 novembre 2022. Il devra ainsi passer dans les prochains mois devant le conseil et le parlement pour son adoption définitive. Après son adoption, les Etats membres auront deux ans pour la transposer dans leurs différentes législations nationales

2. La proposition de règlement sur les produits issus de la déforestation

La proposition de règlement zéro déforestation a pour objet de limiter la déforestation et la dégradation des forêts provoquées par l’expansion des terres agricoles en vue de produire certains produits de base, comme le bétail, le cacao, le café, l’huile de palme, le soja, le bois et le caoutchouc. Sur le plan des contraintes, la proposition imposera principalement aux opérateurs qui mettent ces produits de base et certains produits dérivés sur le marché de l’Union ou les exportent à partir de l’Union afin de s’assurer que leurs produits ne sont pas directement ou indirectement liées à des activités de déforestation ou de dégradation de forêts :

  • des obligations de diligence raisonnable, dépendantes du niveau de risque par pays et par matière première,
  • l’identification de l’ensemble des parcelles sur lesquelles les matières premières importées, transformées ou exportées ont été produites (coordonnées GPS, etc.)

Le projet de règlementation est censé suivre le calendrier suivant de mise en œuvre selon les prévisions de la Commission Européenne :

  • 17 novembre 2021 : Publication du projet de réglementation par la Commission Européenne, suivi d’une proposition rectificative par le Parlement Européen le 16 septembre 2022,
  • Accord entre le Parlement et Conseil sur le règlement déforestation intervenu le 06 décembre 2022, et actuellement entre les mains de la Commission,
  • Fin 2023 : publication de textes règlementaires complémentaires,
  • Fin 2024 (1 an après la publication) : entrée en vigueur du règlement.

3. Initiative européenne sur les produits issus du travail forcé

Introduite le 13 septembre 2022, la proposition de règlement sur les produits issus du travail forcé a pour objet d’interdire l’entrée sur le marché de l’Union Européenne des produits issus directement ou indirectement du travail forcé. A la différence de la loi américaine sur le travail forcé des Ouighours en zone Xinxiang, le projet européen est non discriminatoire et concerne tous les produits indépendamment de leurs origines.

La mise en œuvre du règlement reposera essentiellement sur les autorités nationales. D’abord, sur la base d’informations pouvant provenir de différentes sources, les autorités nationales procéderont à une évaluation des risques de travail forcé de produits entrant ou sortant de l’UE au niveau des frontières. Sur la base de cette analyse préliminaire, l’autorité nationale peut procéder à une enquête auprès de l’entreprise considérée ou de pays tiers afin de pouvoir conclure à l’existence ou non de travail forcé à l’occasion de la production du produit. En cas de conclusion positive, l’autorité nationale pourra selon les cas interdire l’importation ou l’exportation du produit considéré, ordonner son retrait du territoire de l’Union ou encore ordonner la destruction ou la désactivation du produit aux frais de l’opérateur économique ou la mise à l’écart du produit.

La proposition de règlement est en cours de procédure législative. Elle devra prochainement être examinée par le parlement et le Conseil de l’UE avant toute entrée en vigueur. La directive s’appliquera effectivement 24 mois après son entrée en vigueur. Mais avant son application effective, la Commission publiera dans un délai de 18 mois à compter de son entrée en vigueur des lignes directrices d’application du règlement. Ces lignes directrices auront pour objet de fixer des orientations sur le devoir de vigilance en matière de travail forcé et des informations sur les indicateurs de risque du travail forcé.

4.Le projet de règlement sur la taxonomie sociale

A l’image de la taxonomie verte, la taxonomie sociale a pour objet de fixer les critères de la durabilité des activités des entreprises sur le plan des droits humains. Elle a pour objet de fournir aux investisseurs désireux d’investir dans des actifs à impact social les informations nécessaires à cet effet.

Le projet de règlement de taxonomie sociale définit trois objectifs sociaux principaux avec des sous objectifs pour chaque objectif principal.

Les trois principaux objectifs sociaux définis par le projet de règlement sont les suivants :

  • Assurer un travail décent tout le long de la chaine de valeur,
  • Promouvoir des niveaux de vie adéquats et le bien-être des utilisateurs,
  • Bâtir des sociétés et collectivités inclusives et durables,

Pour être considérée comme une activité durable selon la taxonomie sociale, tout comme pour la taxonomie verte, l’activité doit passer un test à trois niveaux :

D’abord l’objectif en question doit être alignée avec l’un des trois objectifs sociaux. Ensuite l’objectif ne doit pas causer de dommage à un autre objectif social. Enfin, l’activité doit satisfaire aux critères techniques d’évaluation à la fois au niveau de l’objectif principal ainsi qu’au niveau du sous objectif au sein duquel l’activité s’inscrit.

Le rapport final sur la taxonomie sociale a été publié en février 2022.Les prochaines étapes concernant la mise en œuvre de la taxonomie consistera essentiellement dans la clarification des garanties minimales sociales, des conditions accompagnant les autres conditions d’alignement, les justifications pour la hiérarchisation des objectifs et sous objectifs environnement.

 Mais avant tout le rapport de la plateforme sur la finance durable doit être analysé par la Commission pour faire l’objet de proposition législative. Après validation de la commission, la proposition doit suivre la procédure législative ordinaire en passant par le Conseil et le Parlement pour son adoption effective. Ainsi selon certains experts, au regard de la complexité de la taxonomie sociale, le chemin est encore long et une taxonomie sociale à l’image de celle verte ne devrait pas être attendue avant 2024 ou 2025.

5.    La Taxe Carbone aux frontières de l’UE (MACF)

Connue plus sous le nom de MACF, la taxe Carbone s’inscrit dans le programme européen de green deal et a pour objet de niveler la compétition entre les entreprises européennes soumises à un régime d’émission carbone stricte et les producteurs étrangers exportateurs vers l’UE (« level the playing field ») dont la réglementation en matière d’émission carbone est jugée insuffisante. Ce faisant le MACF a pour objet d’imposer à certains produits (acier, aluminium, angrais, ciment, électricité) originaires de pays tiers une taxe reflétant leur empreinte carbone.

Dans les coulisses des instances décisionnelles de l’UE depuis 2021, le projet de MACF a connu une avancée notoire le 13 décembre 2022 avec l’accord intervenu entre le parlement et le Conseil. Le MACF entrera en vigueur dès octobre 2023 avec une période transitoire de 2023-2026. L’entrée en vigueur complet du mécanisme est ainsi attendue pour 2027.

Conclusion

L’analyse globale du cadre réglementaire de l’UE en matière de durabilité permet de parvenir à deux constations principales.

  • D’abord, l’UE accorde une place plus importante à la mitigation du changement climatique comme en témoigne le nombre important de réglementations et d’initiatives relatives au changement climatique. Par conséquent les ambitions sociales et les autres objectifs inscrits dans les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies semblent moins prioritaires.
  • Le deuxième constat est le caractère articulée quoique asynchrone de ce cadre. En effet, bien que l’ensemble se veut cohérent, il en demeure que le manque de coordination temporelle entre les différentes réglementations rend complexe le bon fonctionnement de ces règlementations. Il en résulte ainsi une incertitude quant à l’application de ces instruments rendant le risque de greenwashing réel, comme en témoigne les premiers rapports de mise en œuvre des règlements taxonomie et SFDR.

Pendant que l’UE est engagée plus dans une perspective de durcissement de son cadre règlementaire de reporting et de leadership en matière de durabilité, ses partenaires notamment américains et chinois adoptent une approche de compétitivité. En effet, les Etats Unis viennent d’adopter récemment un vaste programme de transition énergétique à travers l’Inflation Reduction Act (IRA). Visant à assurer une transition énergétique vers les énergies renouvelables, l’IRA met en place un programme de subventions au profit des entreprises qui s’y engageront. L’attractivité de l’IRA au regard de ses avantages pour les entreprises emporte un risque de délocalisation important mettant en mal la réglementation européenne en matière de durabilité. D’où des interrogations et des critiques sur la pertinence à l’avenir de ces règlementations européennes dans une perspective mondiale.

Ksapa a développé une expertise de plusieurs décennies dans le calibrage et le reporting d’information financière et extra-financière. Notre équipe mobilise ainsi des méthodologies concrètes d’évaluation et d’analyse critique pour aider les différents acteurs économiques à s’aligner aux exigences des systèmes de reporting actuels. Au travers de nos bureaux de Paris, New York et Londres, nous travaillons à mettre en cohérence la taxonomie de l’UE, la SFRD et la NFRD/CSRD avec une fine connaissance d’autres attendus réglementaires – SEC aux Etats-Unis par exemple – pour in fine aider vos équipes à mieux mobiliser les liquidités. C’est sur ces bases que nous saurons guider les efforts pour adapter les entreprises aux enjeux environnementaux, sociaux et éthiques des prochaines années.

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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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François travaille chez Ksapa en tant que consultant en développement durable. Il est aussi chargé de plaidoyer et de support juridique.

Ayant éprouvé très tôt un vif intérêt pour le développement durable, François a été amené à réaliser un Master en Human Rights and Multi-level Governance à l’Université de Padoue. Il est aussi titulaire d'un Master en Droit International Economique de l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Passionnée par la thématique du développement durable, il aspire travailler à la construction d'une économie plus respectueuse des droits humains et de l'environnement.

François parle couramment le français, l’anglais, le gourmantché et le Moore.

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