Vous avez été plus de plus de 250 praticiens d’entreprises et de structures d’investissement à vous intéresser à notre récent wébinaire sur ce sujet. La Commission Européenne a en effet annoncé qu’une
nouvelle directive imposerait la diligence raisonnable en matière de Droits de l’Homme d’ici à 2021. Quel a été le retour des entreprises ? Une directive européenne ferait-elle davantage respecter les Droits de l’Homme dans les chaînes d’approvisionnement? Quel impact le Covid-19
pourrait-il avoir sur son application ? Quelques éléments tirés des échanges et
questions de ce wébinaire dans ce blog.
Un wébinaire Ksapa pour partager les perspectives de notre équipe et réseau mondial d’experts affiliés
Conformément à son statut d’entreprise à mission, Ksapa organise régulièrement des wébinaires pour alimenter le débat public. Cette fois, ce sont plus de 250 participants qui se sont inscrits pour explorer ces questions sensibles. Nous avons accueilli Virginie Mahin (responsable RSE et droits humains, Mondelēz International) et Jonathan Drimmer (associé de Paul Hastings LLP et conseiller nord-américain de l’initiative GBI) pour envisager des principaux défis et attentes qui pèsent sur ce projet de directive européenne. Le webinaire est désormais accessible sur le site de Ksapa.
Imposer la diligence raisonnable en matière de Droits de l’Homme va dans le sens de l’Histoire
Du point de vue des entreprises, une législation qui unifierait la diligence raisonnable en matière de Droits de l’Homme présenterait un certain nombre d’avantages.
Tout d’abord, une législation commune permettrait d’uniformiser les règles du jeu, ou du moins de garantir que toutes les entreprises se soumettent aux mêmes règles et mise à disposition de ressources pour renforcer leurs systèmes et pratiques de gestion de risques, sur un périmètre clarifié d’enjeux. Les entreprises ont besoin de se projeter dans un environnement de règles stables. Rendre obligatoire la diligence raisonnable en matière de Droits de l’Homme peut donc permettre aux entreprises de mieux appréhender la responsabilité qui leur incombe, au lieu de devoir mettre en place différents mécanismes d’application pour se conformer à un patchwork de lois nationales. De nombreuses entreprises et prises de position de la part des décideurs économiques vont donc naturellement dans ce sens.
En réponse, la législation que propose la Commission européenne se veut intersectorielle. Les entreprises n’auraient donc pas à activer de processus spécifiques pour pallier une série d’enjeux le plus souvent interconnectés. Cet effort d’unité devrait aider les entreprises à mieux concentrer les efforts de mobilisation et d’influence nécessaires à résoudre les défis systémiques de leurs chaînes d’approvisionnement.
Également, l’initiative s’intéresse tout particulièrement aux mécanismes d’accès à des recours pour les victimes, par le biais de la responsabilité civile – en partant du principe qu’un règlement sans sanction n’est pas un règlement.
En complément toutefois, il incomberait alors aux gouvernements de prendre des mesures coordonnées pour développer un environnement favorable à la mobilisation des entreprises – c’est-à-dire qui ne se limite pas aux seuls mécanismes de vigilance, mais ferait aussi appel aux outils à leur disposition, à savoir l’aide au développement et le commerce alignant par exemple les attendus de Traités de commerce et d’investissements directs opérés à l’étranger avec cette initiative de devoir de vigilance européenne.
Ce sont finalement des principes de clarification, certitude, et d’unité qui font tout l’intérêt de cette initiative pour les décideurs économiques et financiers. L’effet de levier auprès des chaînes de sous-traitance qui sont ainsi regroupés en une directive unique pourrait être sans équivalent.
Perspectives croisées sur la diligence raisonnable en matière de Droits de l’Homme en Europe et Outre-Atlantique
L’impact d’une telle directive ne semble pas avoir gagné les entreprises américaines, bien que sa portée juridictionnelle s’étende probablement au commerce qu’elles entretiennent avec l’Union Européenne. Ainsi, si elles-mêmes ne seront pas directement soumises à la future législations, leurs fournisseurs et chaînes de valeur seraient tenus de s’y conformer.
La vigilance s’exerce davantage au coup par coup aux États-Unis. Le concept central y prend plutôt la forme de mesures commerciales, d’injonctions de retenue et de remise en circulation dans le cadre du système douanier des Etats-Unis, par exemple. Ainsi, en 2019, une équipe de la US Customs and Border Protection s’est rendue en Côte d’Ivoire pour enquêter sur les allégations de travail forcé ou sous contrat des enfants, dans le but de trancher sur la proposition des États-Unis de bloquer ces importations de cacao. La même organisation américaine avait initialement placé l’entreprise WRP sous embargo, en raison de violations des Droits de l’Homme dans sa production de gants jetables en Malaisie. Face à la propagation du Covid-19, cette ordonnance a été révoquée.
Les États-Unis se sont en effet dotés des outils juridiques pour saisir des produits en cas de suspicion raisonnable de violation des Droits de l’Homme. Pour les entreprises concernées, ces mesures se font au prix de perturbations majeures dans la chaîne d’approvisionnement. Ainsi, le récent Uyghur Human Rights Policy Act permet au Président d’imposer des sanctions aux personnes, entreprises ou toute autre entité impliquées dans la répression ethnique. En ciblant la surveillance et le travail forcé en Chine, cette loi pousse les entreprises américaines à procéder à des diligences raisonnables en matière de Droits de l’Homme.
Les États-Unis tendent à se focaliser sur les enjeux de sanction, notamment par le biais du Global Magnitsky Human Rights Accountability Act. Cette loi relève des Ministères du Trésor et du Commerce et prévoit de sanctionner toute personne ou entité accusée de violations des Droits de l’Homme. L’un des mécanismes de gestion des contentieux les plus usités aux États-Unis est le Trafficking Victims Prevention and Protection Reauthorization Act, qui se concentre sur les entreprises conscientes de bénéficier de la traite d’êtres humains… ou qui devraient l’être.
Étant donné la culture litigieuse des États-Unis, le législateur devra veiller à ce que la crainte d’un procès ne pousse pas tout bonnement les entreprises à délocaliser leurs activités dans des pays où les systèmes de gouvernance sont moins robustes. A contrario, toute entreprise désireuse d’anticiper au mieux les approches au coup par coup portées par l’administration américaine ont tout intérêt à structurer un travail proactif et holistique permettant de cartographier les risques principaux et d’y associer un plan d’action – approche bien développées en Europe et sur lesquelles Ksapa dispose d’une solide expertise avec ses équipes, affiliates et partenaires stratégiques.
Le progrès se joue sur les interconnexions : Droits Humains et risques climatiques à l’ère du Covid-19
Si la directive européenne se veut transversale, Mondelēz est favorable au développement d’approches sectorielles complémentaires. En tant que producteur de chocolat, il va sans dire que le groupe voit le cacao comme un bon point de départ – l’UE étant par ailleurs un de ses principaux consommateurs. Une plus grande implication de la Commission européenne serait désormais judicieuse, qui viendrait formaliser les rôles et contributions de l’entreprise. En tirant parti de ses outils législatifs, la Commission pourrait renforcer sa collaboration avec les pays producteurs de commodités agricoles au sens large. De tels efforts contribueraient à relever les défis systémiques de l’approvisionnement, en traitant par exemple le problème du travail des enfants ou de la déforestation à la racine.
Beaucoup se joue en effet sur les interconnexions entre sujets. La déforestation et les Droits de l’Homme sont en effet étroitement liés sur le terrain par exemple. En utilisant la loi française sur le devoir de vigilance comme source d’inspiration, la diligence raisonnable européenne en matière de Droits de l’Homme pourrait davantage rendre compte de ses ramifications environnementales: c’est d’ailleurs un objectif affiché et porté par les instances européennes.
Toutefois, cette question des interconnexion est bien évidemment complexe à appréhender pour les entreprises et les investisseurs. Les approches de mesure d’impacts sur les droits humains – et nous avons travaillé sur une centaine de projets avec nombreuses entreprises du Fortune 500 et nombreux investisseurs – se sont beaucoup cristallisée autour de mécanismes d’évaluation de risques saillants. Dans ces logiques méthodologiques, s’assurer ainsi que les questions environnementales soient prises en compte peut s’appréhender sur des sujets directs de pollutions des eaux ou de perte d’activités économiques directement liées au développement d’activités industrielles connexes négatives.
Or le cœur des problématiques aux interconnexions sont plus complexes à capter dans ces méthodologies : impacts climatiques, destruction de biodiversité, pollutions de l’air par exemple. L’intégration de nombreuses ramifications environnementales dans les due diligences relève donc de la gageure, étant donné que le lien de causalité est dans ces circonstances plus difficile à prouver. Cela dit, les processus de ciblage et de reporting pourraient donner lieu à des activités garantes de la robustesse de la procédure d’évaluation des risques et de diligence raisonnable des entreprises, car si les liens directs de causalité sont complexes, ils restent pertinents à explorer et intégrer dans le périmètre d’application.
Indépendamment de ce qui prévaudra en 2021, débattre de ces options législatives illustre le rôle essentiel de la concertation avec les parties prenantes. Non seulement un dialogue efficace aide les entreprises à identifier leurs risques, il leur permet aussi de concevoir des mesures de remédiation des risques, tout en suivant leur progrès sur le terrain. Ce type d’approche est en cours de formalisation en France, aux Pays-Bas, en Norvège, en Autriche, au Danemark, en Suisse ou encore au Royaume-Uni. En attendant, les investisseurs comme les Conseils d’Administration prennent de plus en plus la mesure de leur responsabilité fiduciaire à anticiper les ramifications environnementales de la diligence raisonnable en matière de Droits de l’Homme – et tout particulièrement en termes de vigilance climatique. Pour autant, un alignement global sur cet interface semble encore difficile à trouver.
Conclusion: Anticiper les impacts du Covid-19
Alors que les entreprises et les entreprises cherchent à s’adapter face à la pandémie mondiale du Covid-19, elles sont forcément confrontées aux défis sociaux et éthiques qui accompagnent les phases de récession et d’incertitude. Aujourd’hui, la réalité du Covid-19 se traduit par un accroissement des inégalités, du chômage, de la pauvreté. Certains gouvernements du G20 ont même fait le choix de réduire les droits sociaux pour accompagner les entreprises dans la gestion de crise.
C’est une erreur. Un monde socialement explosif a besoin de davantage – pas de moins – de droits humains. Pour les entreprises et les investisseurs, davantage – et non pas moins – de droits humains, c’est un gage de sociétés plus apaisées et stabilisées dans lesquelles la conduite des affaires est tout simplement possible. Pour Ksapa, ce n’est pas le moment de revoir ses exigences à la baisse ou d’assouplir les plans d’action en entreprise. L’Union Européenne et ses partenaires doivent faire preuve de plus de vigilance – et non pas moins – pour donner aux sociétés une vraie chance de se relever.
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Ksapa est une plateforme internationale qui vise à prolonger l’intégration des Droits de l’Homme dans les décisions d’affaires et d’investissement. Plus de 250 praticiens d’entreprises et de structures d’investissement de premier plan se sont joints à notre conversation sur des sujets aussi sensibles et complexes que les mécanismes de contrôle et d’application des Droits de l’Homme, dont Allianz, Airbus, Alstom, Axa, BNP Paribas, Bosch, Bouygues, BP, Bridgestone, Canon, Cap Gemini Invent, Carlsberg, Chevron, Cisco, Danone, Dassault Systems, De Beers, DHL, Diageo, DSM, EDF, Engie, Essilor, Estée Lauder, Firmenich, Franklin Templeton, Gartner, Google, H&M, Johnson & Johnson, Kering, L’Oréal, Marriott International, Mars, Michelin, Microsoft, Mondelēz, Moody’s Corporation, Morgan Stanley, Nokia, Novartis, Novo-Nordisk, Pernod-Ricard, Philip Morris, Pirelli, PVH, Rexel, Richemont, Sanofi, SAP, Schneider Electric, Sephora, Shell, Solvay, Walt Disney, Total, UPS, Vinci, Volvo et Walmart. Ils ont été rejoints par des consultants, universitaires, agences de notation, agences bilatérales et multilatérales et associations parmi lesquels le la Banque Mondiale, la Banque Européenne d’Investissement, la Société Financière Internationale, la Banque Interaméricaine de Développement, les Principes des Nations unies sur l’Investissement Responsable, le groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les Droits de l’Homme, l’UNEP, le WBCSD, le CDP, le Global Compact, le Consumer Goods Forum, le Conseil International sur le Reporting Intégré, EcoVadis, ERM, HEC, le Huffington Post, Human Rights Watch, Novethic, Oxford Policy Management, Standard & Poor, Vigeo-Eiris et le World Wildlife Fund.
Forte d’une expérience internationale auprès de structures publiques, privées et associatives, Margaux Dillon intervient chez Ksapa en tant que consultante en développement durable et responsabilité des organisations.
Elle avait auparavant travaillé pour les cabinets Deloitte et Quantis, assuré la promotion institutionnelle de l’infrastructure de recherche sur les écosystèmes ENVRI+ pour le compte de l’INRA, et contribué au reporting extra-financier du groupe Total.
Margaux est de nationalité franco-américaine et est titulaire d’un Master en histoire, communication, entreprises et affaires internationales ainsi que de deux certifications en développement durable de l’IEMA et Centrale-Supélec. Elle parle anglais, français et espagnol.