Dialogue parties prenantes à l’aune du conflit social et du tout numérique

Retours et réflexions suite à notre récent webinaire invitant Céline Soubranne Weber (Axa) et Jakob Puchinger (IRT System X, CentraleSupélec) pour examiner les défis et des solutions permettant d’animer une démarche de parties prenantes et de dessiner les tendances des années à venir.

Dire du dialogue avec les parties prenantes que c’est la pierre angulaire de la responsabilité des entreprises est passé dans les usages. D’une simplicité apparemment sibylline, cet outil doit permettre aux entreprises d’identifier et activer des schémas de responsabilité et innovation, tout en renforçant leurs performances sociale, sociétale, environnementale et éthique. En pratique, pourtant, la structuration du dialogue inter-parties prenantes est tout ce qui a de plus complexe et plus encore dans les contextes incertains et fragmentés qui sont les nôtres, particulièrement à l’ère de la transformation numérique et de la crise pandémique.

La performance économique passe par la prise en compte des attentes des parties prenantes

Les discussions autour de la Loi Pacte ont remis au goût du jour des débats portés depuis des décennies – notamment au travers des théories des parties prenantes théorisées par R. Edward Freeman dès 1983. Une partie prenante serait un individu ou groupe social susceptible d’influencer positivement ou négativement la bonne conduite des affaires. Prendre en compte les attentes de ces parties prenantes, avec un aiguillon de type Raison d’Être, permettrait donc de forcer sa nature, rester agile et adapter des processus, des produits et ou des services en prenant en compte les attentes de ces parties prenantes.

La crise Covid-19 est venue remettre violemment au goût du jour ces évidences. Masques, donations, adaptation d’activités industrielles, report de dettes, accélération de paiements… Pour tenter de pallier les difficultés à venir de leurs employés, fournisseurs et communautés, un récent rapport de la Bank of America Merrill Lynch a montré combien de nombreuses  entreprises ont opéré un rapide virage pour gérer dans l’urgence l’intérêt (voire la survie) de leurs parties prenantes essentielles plutôt que la gestion financière de court terme. Ainsi, ce sont plus de 400 milliards de dollars d’intérêts qui ont été probablement décalés dans le temps et ne seront probablement pas totalement récupérés sur la même année comptable. En d’autres termes, sur la question des parties prenantes comme sur tant d’autres, la crise du Covid-19 a été là encore un accélérateur et amplificateur de tendances.

Agir au plus près de son cœur de métier

Le dialogue inter-parties prenantes participe à la fois de la capacité de l’entreprise à anticiper ses risques et à développer une vision de long terme. Ainsi, lorsqu’Axa partage une Raison d’Être autour de l’idée de «  Protéger et agir pour un futur serein », il s’agit de porter une réflexion majeure à l’écoute des parties prenantes pour questionner et adapter le rôle de l’assureur dans la société. Le Groupe est bien dans son rôle d’assureur, dans la mesure où il exerce son métier de prévention et assume les conséquences socio-économiques de ses décisions. Axa est également dans son rôle d’investisseur institutionnel soucieux de la gestion de long terme de ses actifs sous gestion.

Pour autant, du point de vue d’une entreprise, multiplier les dispositifs de dialogue avec des parties prenantes – dont des voix discordantes – ne tombe généralement pas sous le sens. Cette approche renforce pourtant la posture d’écoute du Groupe, en démontrant et exemplifiant la cohérence et la continuité de sa stratégie. Sur le plan opérationnel, sortir de secteurs incohérents avec une stratégie climat de long terme comme le charbon par exemple induit de fermer des bureaux et requalifier ses équipes, ou encore de s’assurer du bon respect de contrats d’assurance déjà engagés, bref : gérer les injonctions contradictoires d’intérêts divergents de parties prenantes.

Agir avec méthode

Un récent briefing paper de Ksapa offre différentes perspectives permettant d’explorer plus en avant les questions méthodologiques. Un dialogue est par essence bilatéral – ou se confine sinon au simple cahier de doléances. La démarche de dialogue d’une entreprise avec ses parties prenantes doit donc être structurée, c’est-à-dire tirée par des objectifs clairs et intérêts mutuels bien compris. Cette méthodologie assure la pertinence et la crédibilité du processus et génère plus de confiance dans la capacité de l’entreprise à acter les retours de ses parties prenantes, en les intégrant idéalement aux solutions qu’elle aura sélectionnées.

Assurer la continuité dans le dialogue est un passage obligé pour que l’entreprise conserve une trajectoire cohérente dans la durée, particulièrement dans des contextes conflictuels, qui exigent de collaborer avec des parties prenantes sensibles. Plongées dans la turbulence du Covid-19, les entreprises qui opéraient dans un climat de confiance avec leur parties prenantes ont donc comparativement mieux géré la crise.

A l’inverse, manquer de clarté sur le mandat, partager des informations tronquées ou reculer sur les résultats escomptés alimente la frustration des parties prenantes, voire contribue au désengagement de populations déjà vulnérables. C’est risquer d’une part d’entériner des inégalités endémiques et de l’autre, se priver de retours pertinents. C’est d’autant plus vrai pour l’entreprise qui mise sur les réseaux sociaux parmi ses tactiques de mobilisation : suivant les ressources et la méthodologie employée, cela peut être une formidable boucle de retours d’expérience ou un dangereux agent de désinformation. La récente prise de mesures de distanciation sociale a cependant augmenté nos interactions numériques, tant et si bien qu’une étude estime que 92% des entreprises interrogées ont redirigé leurs instances de dialogue vers les canaux numériques pour faire face au Covid-19, en accélérant du même coup leur transition de groupe.

En fonction de l’objectif poursuivi, l’entreprise doit adapter sa stratégie de dialogue inter-parties prenantes. Ses tactiques – en termes de ressources et d’impact – ne seront logiquement pas les mêmes suivant qu’elle espère relever l’acceptabilité de ses opérations ou promouvoir l’innovation collective.

Dans le cadre d’un partenariat entre académies, institutions et industriels, la chaire Anthropolis mène une réflexion autour de la mobilité durable centrée sur l’humain. Sa méthodologie repose sur l’indentification de persona et le développement d’un appareil narratif pour la société future, en envisageant ensemble les interactions des citoyens pour à terme modéliser les incertitudes dans différents territoires. Cette approche n’est pas cantonnée à l’analyse des données, elle tient à la diversité des participants et la pluridisciplinarité des équipes de coordination, qui doit nécessairement se porter à la rencontre des usagers, sur leur terrain. De l’économie informelle des transports publics marocains aux réseaux ferroviaires pilotés par la puissance publique en Chine, l’adaptation aux réalités locales est en effet garante de la pertinence de tout dialogue. C’est donc bien avec méthodologies, recherches et explorations applicatives que se construisent les schémas de prise en compte de parties prenantes dans des environnements toujours plus complexes et volatils.

Rester flexible et créatif

Une cartographie et priorisation des parties prenantes doit donc être conduite de façon rigoureuse, sans pour autant se fermer à des apports a priori dissonants. Nombreux médias sociaux pourront par ailleurs offrir un espace utile d’exploration et d’innovation dans l’identification d’acteurs pertinents et dissonants.

Par exemple, un acteur de la santé ne peut plus faire l’impasse sur les évolutions alimentaires de franges de populations tirées par les régimes végétariens ou végans dans l’élaboration de traitement des patients. Une entreprise de mobilité aura également tout intérêt à explorer, par exemple sous forme de personas, les spécificités de différents modes et leur cohabitation sur de mêmes espaces (voitures, vélos, trottinettes, bus, piétons… mais aussi besoins privés et professionnels ou âges)

Conclusion

Des thématiques comme le climat, le travail, le partage de la valeur deviennent toujours plus conflictuelles dans nos sociétés. Or la pierre angulaire de l’engagement de parties prenantes, c’est le dialogue et l’étude de solutions innovantes assurant autant que possible l’alignement de positions dans l’intérêt d’écosystèmes. C’est avec méthodes et clarté stratégique, mais aussi agilité et créativité que les entreprises doivent concevoir et piloter leurs dispositifs d’engagements de parties prenantes dans des environnements toujours plus fragmentés, volatils voire conflictuels.

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Entreprise à mission, Ksapa est une plateforme internationale de référence pour déployer les solutions de soutenabilité et d’inclusion au sein des entreprises et investisseurs. Une quarantaine d’organisations se sont ainsi jointes à notre réflexion sur un sujet aussi sensible et complexe que le dialogue inter-parties prenantes, dont PAI Partners Venture Capital and Private Equity, Total, L’Oréal, EDF, BNP Paribas, Schneider Electric, Le Figaro, Challenges, Sanofi, Foncia, STEF, l’Union Sociale pour l’Habitat, l’Institut de Prospective et Sécurité en Europe, Givaudan, Engie, Danone, l’Agence Française de Développement, l’Imperial College of London, Emerging AG, Société Générale CIB, Eramet, TMH International et Editis (Vivendi).

N’hésitez pas à contacter l’équipe Ksapa, partagez vos questions et vos solutions !

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Forte d’une expérience internationale auprès de structures publiques, privées et associatives, Margaux Dillon intervient chez Ksapa en tant que consultante en développement durable et responsabilité des organisations.
Elle avait auparavant travaillé pour les cabinets Deloitte et Quantis, assuré la promotion institutionnelle de l’infrastructure de recherche sur les écosystèmes ENVRI+ pour le compte de l’INRA, et contribué au reporting extra-financier du groupe Total.
Margaux est de nationalité franco-américaine et est titulaire d’un Master en histoire, communication, entreprises et affaires internationales ainsi que de deux certifications en développement durable de l’IEMA et Centrale-Supélec. Elle parle anglais, français et espagnol.

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