Découvrez comment la CS3D redéfinit la diligence raisonnable des entreprises : champ et règles d'application, implications stratégiques

CSDDD recalibrée : ce que l’accord provisoire signifie pour la diligence raisonnable des entreprises

Le 16 décembre 2024, le Parlement européen a voté en faveur de l’Omnibus I, marquant ainsi un tournant décisif dans la réglementation européenne en matière de durabilité. Ce paquet comprend des révisions importantes de la directive sur le devoir de diligence en matière de durabilité des entreprises (CSDDD) et de la directive sur le reporting en matière de durabilité des entreprises (CSRD), à l’issue d’intenses négociations tripartites. Bien que le texte final soit encore en attente d’approbation par le Conseil, le cadre européen de diligence raisonnable obligatoire en droits humains et environnement est désormais clairement défini, offrant aux multinationales à la fois une clarification bienvenue et de nouveaux défis opérationnels. La CSDDD révisée maintient son ambition fondamentale : intégrer la diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement dans la gouvernance d’entreprise tout au long des chaînes de valeur.

Cependant, l’accord provisoire introduit des ajustements cruciaux en termes de champ d’application, de délais, de mécanismes d’application et de flexibilité opérationnelle. Pour les entreprises opérant dans des chaînes d’approvisionnement mondiales, particulièrement sur les marchés émergents et dans les secteurs sensibles des matières premières, ces évolutions imposent un repositionnement stratégique majeur. L’enjeu n’est plus de savoir si les entreprises doivent agir, mais comment transformer efficacement ces obligations réglementaires en avantage compétitif durable. Maîtriser ces révisions permet non seulement d’assurer la conformité légale, mais surtout de construire des modèles économiques résilients et responsables, répondant aux attentes croissantes des parties prenantes en matière de pratiques ESG.

Moins d’entreprises éligibles, mais des attentes plus importantes à adresser

L’accord provisoire réduit considérablement la portée de la CSDDD tout en renforçant les attentes à l’égard des entités concernées.

  1. Les entreprises de l’UE doivent désormais compter 5 000 employés et réaliser un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros. Il s’agit d’une augmentation spectaculaire par rapport aux seuils initiaux de 1 000 employés et 450 millions d’euros. Les entreprises non européennes générant un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros dans l’UE restent également concernées. Ce réajustement réduira considérablement le nombre d’entités concernées. Il permettra de concentrer l’attention des régulateurs sur les grandes multinationales qui disposent des ressources et de l’influence nécessaires pour induire un changement systémique.
  2. Le calendrier de mise en œuvre a été simplifié. Le déploiement progressif prévu entre 2027 et 2029 selon la taille des entreprises est abandonné au profit d’une échéance unique : le 26 juillet 2029 pour toutes les entreprises concernées. Ce délai uniforme offre davantage de temps pour concevoir des programmes réfléchis plutôt que précipités, et élimine le désavantage concurrentiel des premiers adoptants. Cependant, les entreprises ne doivent pas différer leur préparation : la pression pour déployer des programmes de diligence raisonnable complets et opérationnels s’intensifiera considérablement à l’approche de l’échéance.
  3. Les mécanismes d’application ont été recalibrés avec plus de pragmatisme. Les sanctions maximales ont été réduites de 5 % à 3 % du chiffre d’affaires net mondial, reflétant les préoccupations relatives à la proportionnalité et aux répercussions économiques. Plus important encore, la directive comprend désormais une clause de sauvegarde. Si les entreprises accordent la priorité aux répercussions conformément aux exigences de la directive, le fait de ne pas traiter les répercussions moins importantes n’entraînera pas de sanctions. Cette approche fondée sur les risques encourage les entreprises à concentrer leurs ressources là où elles peuvent avoir le plus grand impact.
  4. Les dispositions en matière de responsabilité civile ont été déléguées aux cadres nationaux existants. Cette hétérogénéité peut compliquer les stratégies de conformité des entreprises opérant dans plusieurs juridictions de l’UE. Mais elle préserve les traditions juridiques et évite de créer de nouveaux régimes de responsabilité. Les entreprises doivent désormais s’y retrouver non seulement dans la CSDDD elle-même, mais aussi dans la manière dont chaque État membre interprète et applique la responsabilité civile en cas de manquement à l’obligation de diligence raisonnable.

Exigences associant flexibilité et rigueur en même temps

Si l’accord provisoire assouplit certains aspects de la CSDDD, il préserve les exigences fondamentales de la directive en matière de diligence raisonnable. L’ensemble de la chaîne de valeur reste dans le champ d’application, englobant les relations commerciales en amont et en aval, et les obligations essentielles relatives aux systèmes de gestion, aux mécanismes de réclamation et aux mesures correctives restent pour l’essentiel inchangées. Toutefois, de nouvelles dispositions introduisent une flexibilité opérationnelle qui pourrait s’avérer cruciale pour la mise en œuvre.

Prioritisation et démarche stratégique

Le changement opérationnel le plus significatif concerne la hiérarchisation des priorités. Les entreprises doivent désormais mener un « exercice de cartographie » à l’aide d’informations raisonnablement disponibles afin d’identifier les domaines dans lesquels les risques liés aux droits humains et à l’environnement sont les plus probables et les plus graves. Il convient de noter que la directive autorise explicitement l’utilisation d’outils numériques d’évaluation des risques, reconnaissant ainsi l’importance des innovations technologiques dans les pratiques de diligence raisonnable. Si cette analyse révèle des risques graves à plusieurs niveaux de la chaîne de valeur, les entreprises peuvent choisir de traiter en priorité les risques liés à leurs partenaires commerciaux directs (fournisseurs de niveau 1) plutôt que de tenter un engagement simultané à tous les niveaux.

Ce cadre de hiérarchisation des priorités représente une reconnaissance pragmatique des contraintes en matière de ressources et de la complexité de la chaîne de valeur. Plutôt que d’imposer une diligence raisonnable universelle indépendamment du risque, la directive encourage une approche plus stratégique. Les entreprises peuvent concentrer leurs programmes là où elles ont un effet de levier, une visibilité et le plus grand potentiel d’impact. Pour les secteurs dont les réseaux d’approvisionnement sont très étendus (textile, électronique, produits agricoles), cette flexibilité pourrait s’avérer transformatrice, permettant des interventions plus efficaces que des efforts dispersés.

Accès créatif à l’information au-delà de l’audit

Les restrictions relatives aux demandes d’informations reflètent également cette approche pratique. Si les entreprises restent tenues de mener des évaluations approfondies lorsque les risques sont importants, elles ne peuvent demander des informations à leurs partenaires commerciaux qu’en cas de nécessité. Pour les partenaires comptant moins de 5 000 employés, les demandes sont encore plus restreintes : les informations doivent être impossibles à obtenir par d’autres moyens. Cette disposition protège les PME contre les demandes de données excessives tout en préservant l’intégrité de la diligence raisonnable. Les entreprises devront adopter des approches sophistiquées qui équilibrent la collecte d’informations et les capacités des partenaires. Il existe de nombreuses solutions rentables, décrites par exemple dans notre article consacré aux technologies qui améliorent la transparence et la traçabilité tout au long des chaînes d’approvisionnement.

Une gestion plus intelligente des relations commerciales

Les exigences révisées en matière de désengagement apportent une nuance à l’une des dispositions les plus controversées de la directive. Les entreprises ne sont plus tenues de mettre fin à leurs relations commerciales en dernier recours lorsque des risques graves ne peuvent être traités. Elles peuvent désormais suspendre ces relations (lorsque la loi le permet) et mettre en œuvre des plans d’action préventifs renforcés s’il existe une attente raisonnable de succès. Ce changement reconnaît que le retrait peut aggraver les préjudices subis par les travailleurs et les communautés concernés, en particulier dans les contextes où les moyens de subsistance alternatifs sont rares. Il encourage les entreprises à poursuivre un engagement constructif et un renforcement des capacités plutôt que d’abandonner des relations difficiles.

Indicateurs d’atténuation calibrés pour les impacts à plus long terme

Surveillance allégée : contrôle tous les cinq ans

Les exigences de surveillance ont été considérablement assouplies. Les entreprises doivent désormais contrôler leurs mesures de diligence raisonnable tous les cinq ans, au lieu d’annuellement, sauf en cas de doute raisonnable sur l’adéquation des mesures existantes. Ce changement réduit la charge administrative tout en préservant la responsabilité et des temporalités permettant d’obtenir des impacts concrets et démontrables.

Les entreprises ont intérêt à mettre en place des indicateurs robustes et des systèmes d’alerte précoce pour identifier quand un contrôle anticipé s’impose. Les cycles quinquennaux ne doivent pas être considérés comme des intervalles rigides, mais s’adapter au contexte opérationnel.

Suppression de plans de transition climatique

L’obligation d’élaborer un plan de transition climatique a été entièrement supprimée, une décision controversée issue des négociations politiques. Si cela allège le reporting, l’action climatique dans le cadre de la CSDDD passera désormais par les cadres relatifs aux droits humains et aux risques environnementaux, plutôt que par des exigences de planification autonomes.

Impératifs stratégiques — De la conformité à l’avantage concurrentiel

L’accord provisoire crée un périmètre réglementaire plus restreint, mais exige une mise en œuvre plus sophistiquée. Pour les entreprises concernées, le défi ne consiste plus à débattre de la nécessité de se conformer, mais à déterminer comment la conformité peut renforcer la résilience de l’entreprise et les relations avec les parties prenantes. Plusieurs impératifs stratégiques se dégagent.

La version révisée de la CSDDD accorde une grande importance à l’engagement significatif des parties prenantes

Si les exigences ont été limitées aux parties prenantes directement concernées, la qualité et la crédibilité de l’engagement deviennent primordiales. Les entreprises doivent aller au-delà des simples consultations formelles et engager un véritable dialogue avec les détenteurs de droits, les représentants des travailleurs et les communautés. Il sera essentiel d’établir des relations de confiance avec les organisations de la société civile et les partenaires locaux afin d’identifier les risques cachés, de concevoir conjointement des interventions et de démontrer la bonne foi des efforts déployés.

La disposition de sécurité relative à la hiérarchisation des priorités incite fortement à adopter une méthodologie rigoureuse.

Les entreprises qui peuvent démontrer qu’elles disposent de cadres de hiérarchisation systématiques et fondés sur des preuves seront protégées contre les sanctions pour les lacunes inévitables dans les domaines moins critiques. Cela nécessite d’investir dans une méthodologie de diligence raisonnable, c’est-à-dire dans des processus de documentation, de gouvernance et d’amélioration continue capables de résister à l’examen minutieux des autorités réglementaires et aux contestations des parties prenantes.

La date limite unique de mise en œuvre renforce l’importance de la préparation.

Les entreprises qui retardent leur action jusqu’en 2028 seront confrontées à des pressions écrasantes pour la mise en œuvre. Les entreprises leaders testent déjà des programmes, renforcent les capacités des fournisseurs, testent des mécanismes de réclamation et affinent leurs cadres de hiérarchisation des priorités. Un investissement précoce permet un apprentissage itératif et positionne les entreprises comme des leaders responsables plutôt que comme des acteurs réticents à se conformer.

Les entreprises doivent reconnaître que la conformité à la CSDDD interagit avec les impératifs plus larges liés à la résilience de la chaîne d’approvisionnement.

Une diligence raisonnable efficace renforce la stabilité de la chaîne d’approvisionnement en identifiant les pénuries de main-d’œuvre, les vulnérabilités environnementales et les faiblesses en matière de gouvernance avant qu’elles ne provoquent des perturbations. Elle améliore la réputation de la marque sur les marchés où les consommateurs exigent de plus en plus un approvisionnement éthique. Elle réduit les risques juridiques et réputationnels liés aux violations des droits humains. Les entreprises qui intègrent la mise en œuvre de la CSDDD dans une stratégie plus large de gestion des risques et d’entreprise, plutôt que de la traiter comme une conformité isolée, en tireront le plus grand bénéfice.

Conclusion : Partenariat pour plus d’impact

Ksapa vous accompagne dans votre démarche

L’accord provisoire CSDDD clarifie les attentes réglementaires tout en préservant la flexibilité des entreprises réellement engagées dans une conduite responsable. Toutefois, transformer ces exigences légales en programmes de diligence raisonnable efficaces requiert une expertise pointue, une connaissance approfondie des chaînes de valeur et des méthodologies éprouvées pour évaluer les impacts et engager les parties prenantes.

Ksapa dispose d’une expertise de plus de vingt ans pour accompagner des entreprises multinationales et des organisations multilatérales dans la conception et la mise en œuvre de programmes de diligence raisonnable en droits humains, au sein de chaînes d’approvisionnement mondiales complexes. Notre approche allie évaluation rigoureuse des risques et programmes de remédiation pragmatiques et évolutifs, qui renforcent les capacités des fournisseurs et protègent les travailleurs vulnérables.

Pour nous, une diligence raisonnable efficace va au-delà de la simple conformité : elle transforme les relations dans la chaîne d’approvisionnement pour créer de la valeur partagée, tant pour les entreprises que pour la société.

  • Nos services de conseil en matière de droits humains couvrent tous les aspects de la conformité à la directive CSDDD. Nous aidons les entreprises à mener des exercices d’évaluation complets à l’aide d’outils de veille des risques de pointe. Nous développons des cadres de hiérarchisation des priorités alignés sur les exigences de la directive. Nous concevons des stratégies d’engagement des parties prenantes qui renforcent la crédibilité et la confiance. Nous mettons en place des mécanismes de réclamation qui offrent des recours efficaces. Nous mettons en œuvre des systèmes de surveillance qui allient rigueur et efficacité. Notre capacité à intervenir dans plusieurs pays des marchés du G20, en Asie Pacifique, et en Afrique nous permet d’apporter le contexte local et les relations avec les parties prenantes indispensables à une diligence raisonnable efficace dans des environnements opérationnels diversifiés.
  • Nos programmes de remédiation évolutifs vont au-delà de l’identification des risques pour apporter des améliorations tangibles. Nous travaillons avec les fournisseurs pour renforcer les pratiques de recrutement, améliorer les systèmes de santé et de sécurité au travail, renforcer la gestion environnementale et mettre en place des mécanismes permettant aux travailleurs de s’exprimer. Nous concevons des programmes qui répondent aux exigences réglementaires tout en renforçant les performances des fournisseurs et la résilience des entreprises.

Agissez dès maintenant

Alors que le calendrier de mise en œuvre de la CSDDD s’accélère, les entreprises ont besoin de partenaires qui allient expertise réglementaire et expérience opérationnelle. Des partenaires qui comprennent non seulement ce qu’exige la loi, mais aussi comment la mettre en pratique. Grâce à notre expérience dans l’accompagnement d’entreprises des secteurs du textile, de l’électronique, de l’agriculture, de la construction, de l’hôtellerie et du tourisme, des industries extractives et de la fabrication, Ksapa se positionne comme le conseiller stratégique des entreprises engagées dans la transformation responsable de leur chaîne de valeur.

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  • Definir vos obligations avec précision
  • Elaborer des cadres d’évaluation des risques
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Notre équipe apporte l’expertise, les méthodologies et les relations avec les parties prenantes nécessaires pour vous aider à naviguer dans la complexité et à faire preuve de leadership. La CSDDD représente un moment décisif pour la responsabilité des entreprises. Assurons-nous que votre entreprise est prête non seulement à se conformer.

Crédit Photo: Pexel

Farid Baddache - Ksapa
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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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