La crise du secteur automobile, symbole de l’émergence d’une consommation plus collaborative

L’évolution de la mobilité urbaine, symbole de l’émergence d’une consommation plus collaborative

Cet article mis à jour a été initialement publié sur Le Cercle Les Echos ici

La crise du Velib et de l’Autolib à Paris : simplement un problème de marché public mal ficelé ? Ou plus fondamentalement le fruit d’une donne qui a profondément changé en une dizaine d’années? Mutation des attentes des consommateurs, transformation des espaces urbains, évolutions des usages des technologies ?

Le Velib était arrivé dans les rues parisiennes en 2007. L’Autolib avait suivi en 2011. Les Rochellais avaient déjà leur Velib depuis 1976 mais l’innovation avait une résonnance différente dans la capitale française, reprise ensuite rapidement par les vélos Citibank à New York… Dix ans plus tard, les échecs et déconvenues signant la fin (Autolib) ou la fatigue (renouvellement Velib offrant des chantiers sans fin aux Parisiens) laissent un sentiment de gueule de bois. Que s’est-t-il passé? C’est simple : le monde a changé et ces offres ne sont plus adaptées aux besoins urbains. Une consommation plus collaborative est en cours d’émergence, à ne pas négliger dans le traitement politique et managérial nécessaire pour recréer de l’emploi et de la croissance, tout en encourageant une mobilité plus économique et moins polluante. Une bonne source d’inspiration pour d’autres secteurs.

Velib et Autolib, fossoyeurs de la voiture individuelle symbole de mobilité des 30 Glorieuses

Je me souviens lire Roland Barthes, Mythologies et ses pensées sur la « nouvelle Citroën ». Comment être quelqu’un et affirmer son statut social sans posséder sa propre « déesse » ? Une page s’est complètement tournée.

Le secteur automobile est en panique : de Libération au New York Times en passant par le Financial Times et par des revues automobiles, les chiffres parlent d’eux-mêmes : on nous apprend que le nombre de jeunes passant le permis a baissé aux États-Unis, que le trafic de voitures particulières a baissé de 24 % à Paris en une décennie. Il devient plus difficile de vendre des voitures, surtout lorsque le marché n’est plus gonflé par des primes à la casse gouvernementales accélérant la rotation des ventes.

Dans ce contexte, Velib et Autolib ont été pionniers dans l’offre de solutions alternatives faisant passer les principes de partage et de mutualisation d’outils de mobilité au premier plan. Renvoyant le symbole de la voiture individuelle dans les photos Kodak des 30 Glorieuses.

Mais Velib et Autolib ont eux-même été dépassés par un monde urbain qui s’est transformé depuis 2010. Déjà, l’offre d’accès aux voitures et autres objets de mobilité de courte durée (voitures, vélos, trottinettes…) s’est développée significativement. Mais la digitalisation des canaux de distribution a aussi rendu l’offre plus accessible pour l’identification, la localisation, le paiement de services : offre entre particuliers, loueurs professionnels, start-ups… Velib et Autolib apportaient un coup de neuf début 2010 dans la mobilité urbaine. Velib et Autolib semblent subitement rigides et coincés dans leurs infrastructures dans un monde plus digital 10 ans plus tard…

La mobilité se banalise et se digitalise

46 % des conducteurs américains de 18 à 24 ans choisiraient de disposer d’un accès Internet plutôt que de posséder un véhicule. Le PDG de Ford Motors (qui, à noter, n’est autre que l’arrière-petit-fils de Henri Ford), nous prévient même du risque d’embouteillages et de congestion globale (« global gridlock ») et soutient qu’il faut que « les concurrents automobiles, les gouvernements et les entreprises de téléphonie mobile se rallient pour créer un réseau de transport dans lequel piétons, cyclistes, voitures et transports publics feraient partie d’un système interconnecté ». Il se passe donc quelque chose. La « déesse » de Roland Barthes n’est plus. La société a changé, le prix de l’essence n’a pas aidé. Des mutations sociales sont en cours, et si le besoin de mobilité est intact, voire bien plus grand aujourd’hui qu’il y a 50 ans, la mobilité ne passe plus forcément par la possession de la voiture, mais davantage par le coût total d’un accès à un besoin de mobilité, et la capacité de ce besoin d’être assouvi par une offre disponible au moment souhaité. En France, ce n’est même pas une situation exclusivement parisienne : j’ai vu des parcs de covoiturage remplis, en pleine zone rurale, en Bretagne.

Un savant mélange d’avancées technologiques et d’acceptation sociale façonne ainsi une nouvelle approche de la mobilité :

– La hausse de la part allouée au véhicule (achat, maintenance, essence et son prix constamment en hausse, etc.) dans les budgets des ménages fait réfléchir.

– La pollution et la déplétion des ressources naturelles font prendre conscience que notre hyperconsommation doit être repensée.

– Et les villes, les régions façonnent tant bien que mal un espace urbain réduisant l’espace alloué à la voiture pour partager l’espace avec d’autres services de mobilité : tram, vélo, bus, covoiturage, etc.

– Les avancées technologiques récentes (plateformes sociales, technologies mobiles, smart grids, Cloud computing) ont fait naître un monde toujours plus hyperconnecté, facilitant l’accès et l’optimisation de services partagés

La mobilité : l’émergence d’une consommation plus collaborative ?

La consommation collaborative (des Vélib’ et Autolib’, en passant par les services de location et d’échange de vêtements, sacs à main ou perceuses), répond à un besoin accru de retour à la création de « communauté » et de « proximité sociale ».

Autolib et Velib et la manière dont ils sont symbolisé le changement autant que la « ringardise » 10 ans plus tard ne sont que des exemples. Les transformations digitales façonnent des mutations sociales qui touchent d’autres secteurs et d’autres pays et posent trois questions essentielles :

  • Quel rôle d’organisateur et de coordinateur pour l’autorité publique et municipale afin d’assurer la cohabitation d’une multitude de solutions sur un espace urbain limité? Les questions de sécurité induites sont évidentes pour que voitures, bus, scooters, vélos et trottinettes puissent cohabiter malgré des usages très différents
  • Quel partage de la valeur créée le long de la chaîne ? Si je loue une trottinette sur application, est-ce que je paie des impôts en France ou seulement en Californie selon les loueurs ?
  • Quelle réorganisation induite sur l’espace urbain ? Si les applications permettent de mieux optimiser la gestion des stocks et des stationnements selon les besoins, cela peut libérer une place significative à dédier à d’autres usages dans la ville !
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Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.

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