Le 9e benchmark EcoAct évaluant la décarbonation des entreprises du FTSE 100 est cinglant : 85% de ces grandes entreprises n’ont pas de stratégie à la hauteur des enjeux climatiques. Les administrateurs de ces entreprises – et des autres – ont un rôle urgent à jouer pour accélérer la prise en compte des enjeux climatiques par les entreprises.
Le changement climatique est déjà un facteur essentiel de risque pour les entreprises
1. Des entreprises qui continuent de prendre des décisions déconnectées des réalités climatiques en cours
La manière dont les enjeux climatiques et les pratiques des entreprises sont déconnectées est frappante.
- D’une part, le risque climatique se matérialise déjà par ses impacts techniques, financiers, sociaux et de réputation. Très concrètement, les canicules successives de cet été ont montré déjà combien le bâti n’était pas adapté techniquement, combien les investissements à provisionner pour leur adaptation étaient significatifs, que ce soit pour les autorités publiques ou les entreprises, et combien l’insuffisante gestion de ces canicules posait des problèmes de santé publique pour toute la population, et pas seulement ses franges les plus vulnérables
- D’autre part pourtant, la prise de décision au quotidien, dans les entreprises continue de sous estimer ces risques
Il en va ainsi du secteur automobile, la commission européenne soupçonnant certains constructeurs automobiles d’avoir gonflé les chiffres relatifs aux émissions de CO2 de référence, espérant ainsi être soumis à des objectifs moins ambitieux à respecter dans le cadre de nouvelles normes européennes.
Ainsi, bon nombre de discussions et de stratégies projettent la question climatique sur des trajectoires à 2030 ou 2050. Une manière de créer de la distance, et de tenir un discours autour des responsabilités des décideurs d’aujourd’hui pour les générations futures. C’est une erreur d’appréciation. La jeunesse l’a d’ailleurs bien identifiée puisqu’elle ne se projette pas dans un monde à léguer à « ses petits enfants ». La jeunesse qui se révolte demande des comptes pour elle-même.
2. Des entreprises sommées d’agir non pas pour les générations futures, mais déjà pour s’adapter elles-mêmes à des réalités en forte mutation
La réalité est différente. Non seulement la science progresse et s’alarme de voir ses prévisions à 2050 se rapprocher et risquer se réaliser davantage autour de 2040. Mais le changement climatique ne s’inscrit pas dans la réalité opérationnelle des entreprises à 5 ou à 10 ans. Il est déjà une réalité.
Plus subrepticement, le changement climatique vient changer de nombreux aspects qui font le fonctionnement d’une entreprise au quotidien. Par exemple:
- Les fortes émissions de gaz à effet de serre (directes et indirectes) de certaines activités de transport ou de consommation font évoluer les attentes et achats des clients. L’avion est devenu emblématique de ces questions
- L’émotion portée par exemple par les feux d’Amazonie créée une mobilisation diplomatique nouvelle, et pousse plus de 200 investisseurs à devenir plus exigeants auprès des entreprises dont ils sont actionnaires en déployant un code de bonne conduite pour une stratégie sans déforestation
- Les salariés se déclarent soucieux de voir leur entreprise s’engager plus activement et plus rapidement. Signes intéressants, des syndicats poussent à la participation aux manifestations climat par exemple
- La loi de transition énergétique d’août 2015 a créé des obligations nouvelles applicables aux banques et aux assureurs qui doivent publier des informations sur la prise en compte des objectifs sociaux et environnementaux dans leur politique d’investissement et les politiques mises en œuvre pour les améliorer. Depuis 2018, la Banque d’Angleterre, ou bien la Banque de France ont l’idée d’un « stress test » climatique imposé. Cela fait nécessairement évoluer la manière dont le secteur financier (prêteurs, assureurs) envisage de financer l’économie réelle, et à quel coût
Conseils d’administration et adaptation climatique des entreprises. Mode opératoire en 8 points
Les Conseils d’administration ont le devoir d’engager une démarche urgente et menée en profondeur pour que les entreprises prennent en compte sérieusement la question climatique. Voici un mode opératoire en 8 points.
1. Implication périodique directe du Conseil d’administration
Les enjeux climatiques doivent faire l’objet d’un examen périodique en Conseil d’administration, s’appuyant tout d’abord sur ces 3 éléments :
- Tout d’abord, afin de créer une vision commune au sein du Conseil, une analyse prospective de la résilience de l’entreprise dans des scénarios climatiques comparant une trajectoire à 1.5°C avec d’autres trajectoires (on s’achemine vers 3 ou 4 degrés actuellement) doit avoir été développée et discutée au sein du Conseil d’administration. Cela permet non seulement de comprendre les enjeux, mais également de voir l’urgence et les écarts opérationnels susceptibles d’être portés sur une trajectoire à 2 ou 1.5 degré par exemple. L’audition de parties prenantes et d’experts peut rendre l’exercice plus concret et opérationnel pour inscrire les réalités climatiques dans la réalité opérationnelle de l’entreprise
- En fonction de cette vision de long terme, une cartographie des risques doit être proposée et validée par le Conseil d’administration. Au fur et à mesure que la science progresse et que la compréhension des impacts opérationnels s’affine, cette cartographie doit être remise à jour régulièrement et au moins tous les 3 ans. Cela permet également de calibrer la cartographie en tenant compte des évolutions réglementaires ou contextuelles (évolutions des attentes de clients et de consommateurs par exemple)
- Le Conseil d’administration peut déléguer un de ses membres, ou un comité pour suivre régulièrement ces enjeux afin d’ancrer les questions climatiques dans la réflexion quotidienne du Conseil
2. Engagements climatiques concrets inscrits dans la stratégie de l’entreprise
Le Conseil d’administration doit veiller à l’intégration des questions climatiques dans les rouages stratégiques et opérationnels de l’entreprise. 5 points clés sont à déployer de manière cohérente entre eux :
- S’assurer que la direction générale de l’entreprise fixe des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre s’inscrivant dans une trajectoire 1.5 degré, et se focalisant sur les risques d’exposition les plus importants selon la nature de ses activités. Pour une entreprise de production industrielle à forte intensité énergétique, le « périmètre 1 » sera primordial. Par contre, pour une entreprise de distribution ou très exposée à un risque carbone sur sa chaîne d’approvisionnement, une attention particulière sera portée sur le « périmètre 3 »
- Intégrer les enjeux climatiques dans les processus de décision stratégiques (plan stratégique, plan d’investissements,…) et opérationnels (choix de produits, évaluation de risque client…). Une attention toute particulière au dialogue avec les salariés et les partenaires commerciaux est indispensable pour assurer le déploiement d’une démarche opérationnelle pertinente et suscitant l’adhésion
- Organiser la question climatique comme une problématique transverse et non pas déléguée à un expert interne. Selon le degré de risques ou d’opportunités porté par la question climatique, le leadership pourra revenir par exemple à la direction stratégie ou conformité
- Partager et remonter l’information en alignant les activités de reporting sur les recommandations de la TCFD (sectorielles idéalement, lorsque disponibles). Certaines entreprises sont également soumises à l’article 173 de la Loi de transition énergétique pour la croissance verte
- Innover dans les processus de valorisation des performances individuelles et collectives. Le Conseil peut introduire des objectifs climatiques dans la rémunération variable individuelle des dirigeants. Par exemple dans le secteur immobilier, le Conseil peut également faire évoluer les relations économiques entre les structures de tête et les véhicules portant les actifs immobiliers (intérêts sur quasi fonds propres, honoraires intra-groupe, etc.) pour refléter l’effort climatique et en tenir compte dans la valorisation des entités et offrir la perspective de performance collective
Conclusion : Un Conseil influent sur les questions climatiques
Ainsi on le voit. La question climatique est urgente et s’inscrit déjà dans la vie quotidienne des entreprises. Ce n’est pas une question de générations futures, mais d’adaptation présente.
En réponse, c’est bien le conseil d’administration qui dispose de nombreux leviers pour appréhender et impulser une démarche stratégique et opérationnelle.
Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.
Pingback: 3 raisons qui nous invitent à aborder 2020 avec une attitude positive sur la RSE
We are a group of volunteers and starting a new scheme in our community. Your site offered us with valuable information to work on. You’ve done a formidable job and our entire community will be grateful to you.
Appreciate it for helping out, wonderful info .
Pingback: Reporting extra financier : 5 considérations à suivre en 2020