La directive européenne n°2014/95/UE du 22 octobre 2014 a permis la publication de premières Déclarations de Performance Extra Financières en 2018 et 2019. L’analyse portée par l’Autorité des marchés financiers fin 2019 est venue rappeler différents enjeux pour l’avenir : la concision, le périmètre de reporting, les indicateurs clés de performances, la cohérence d’ensemble. Dans un contexte de pression croissante des investisseurs, de développement du Big Data, de mille feuille international réglementaire complexe, de diffusion croissante des outils auprès des TPE/PME, voici 5 considérations à suivre en 2020 – et dans les prochaines années.
1. Matérialité et conformité réglementaire du reporting extra financier
L’AMF demande de la concision dans les communications extra financières. Déjà, à l’époque de la loi NRE (2001), les démarches de reporting extra financier faisaient face à la même critique. Les travaux de matérialité, offrant des méthodologies de concision, se sont développés depuis 15 ans pour offrir une réponse pertinente. A l’évidence sans satisfaction suffisante, puisque la critique visant le manque de concision reste récurrente. Cela laisse en suspens trois questions essentielles pour les entreprises et la sélection des thématiques sur lesquelles concentrer les efforts de reporting extrafinancier :
- Quelle méthodologie de matérialité est pertinente et crédible pour les parties prenantes qui consultent l’information extra financière ?
- Comment associer matérialité et conformité réglementaire, par exemple pour fournir de l’information extra financière apportant des réponses, sur les sujets jugés les plus « matériels », à la fois aux attentes DPEF, mais également Sapin 2, Potier?
- Pour tout Groupe tourné à l’international, c’est-à-dire n’importe quelle entreprise éligible à la DPEF, Sapin 2 et Potier, comment répondre aux enjeux de conformité émanant de clients et autorités basés à l’étranger et adresser le mille-feuille règlementaire associé ?
La réponse va se dessiner là encore dans l’exercice toujours plus poussé de la matérialité, avec ses avantages et ses inconvénients :
- Comme présenté dans ce briefing paper, la matérialité du reporting extra financier va s’affirmer et se concentrer sur des enjeux métiers toujours plus stratégiques et associés à la pérennité et aux enjeux de transformation de l’entreprise face à ses contraintes environnementales, éthiques et sociales
- La conformité réglementaire nationale et internationale sera toujours plus soumise aux priorités de matérialité. C’est ainsi que le périmètre de reporting Potier ou Sapin 2 va notamment progressivement se clarifier – par exemple sur les questions de mécanismes de plainte
- La place laissée à la nuance, et aux signaux faibles, sera portée dans des documents annexes, voire dans la mise à disposition de données en « open data » permettant aux parties prenantes elles-mêmes de comparer et étudier des sujets qu’elles jugeront importants – avec ou sans les données fournies directement par l’entreprise
Toujours davantage de matérialité sera la voie pour une communication extra financière toujours plus concise et pertinente.
Le Big Data : changement de paradigme majeur pour les données extra financières
Différentes agences de notation, fournisseurs de services ou grandes entreprises disposent de plus de 20 ans de données extra financières : audits sociaux, empreinte carbone sur du périmètre 1 et 2, données sociales… A l’heure où les investissements sur tous les aspects de transformation digitale des entreprises sont en pleine croissance, il est évident que l’approche du reporting extra financier va connaître des changements importants et évoluer. Un changement de paradigme majeur se joue sous nos yeux :
- Comme son nom l’indique, la logique de reporting extra financier est à ce jour principalement centrée sur un suivi des performances passées au vu d’objectifs définis. Il s’agit de reporter de la donnée montrant le suivi d’engagements à date. En 2010, des entreprises on ainsi pu se fixer un objectif de facteur 4 sur l’intensité carbone à 10 ans, et reporter par paliers passés à date, pour suivre l’atteinte de cet objectif.
- Progressivement, et de manière toujours plus standardisée dans la prochaine décennie, la donnée va être exploitée pour tenter de définir des trajectoires futures. En écho avec la demande insistante exprimée au Davos 2020, nombre d’entreprises vont progressivement définir des trajectoires, par exemple, de neutralité carbone 2050. La donnée va progressivement être instrumentalisée pour apporter aux parties prenantes – à commencer par les administrateurs et actionnaires (dans cet exemple de Blackrock par exemple) – de l’information montrant des trajectoires opérationnelles prédictives, sur la base des données à date.
Bien sûr, ces transformations digitales sont complexes et vont faire face à de nombreux écueils à commencer par la pertinence de la donnée passée pour offrir des trajectoires futures (périmètre, qualité, comparabilité), la possibilité de dessiner des trajectoires futures pertinentes compte tenu de nombreuses variables inconnues (disruptions technologiques par exemple), la sensibilité commerciale et financière associée à la transparence et le partage d’informations concernant de probables performances futures d’entreprises et de filières entières…
Pour autant, et on le voit déjà en discussion avec de nombreux clients, forums et autres cercles d »experts : le big data va radicalement changer l’exploitation de la donnée extra financière.
Granularité et évolution en cercles concentriques du reporting extra financier
Les questions sociales, environnementales et éthiques intéressent et agrègent des communautés toujours plus complexes et hétérogènes d’acteurs.
- Il y a 20 ans, un département RSE allait chercher de l’information auprès d’autres acteurs pour consolider de l’information et répondre principalement de la conformité réglementaire externe
- Depuis 10 ans, différents départements centraux utilisent leur propre information extra financière pour piloter leurs actions. Achats responsables. Diversité et ressources humaines. Filiales répondant à des enjeux et contraintes réglementaires différentes. Devoir de vigilance… La manière de développer, centraliser, exploiter la donnée extra financière a littéralement explosé pour adresser des métiers toujours plus nombreux exprimant des besoins toujours plus hétérogènes
Aujourd’hui, l’enjeu des prochaines années est à la rationalisation, la qualité et la granularité de l’accès à la donnée extra financière afin d’offrir un accès à l’information en cercles concentriques
- Rationalisation : Chaque thématique extra financière peut offrir différentes interprétations, et est susceptible de répondre à une grande hétérogénéité réglementaire. Plus de 4 000 initiatives réglementaires sont déjà cartographiées dans le monde. Sans rationalisation, le risque est réel de voir le reporting extra financier se perdre dans une complexité qui n’est ni nécessaire, ni la meilleure utilisation de ressources limitées
- Qualité : Chaque thématique extra financière peut souffrir de la production de données de mauvaise qualité, associée à l’absence d’information, au manque de compétence des interlocuteurs chargés de fournir la donnée ou encore au manque de traçabilité. L’exposition et l’hétérogénéité des besoins fonctionnels accroît le risque de perte de qualité de données
- Granularité : Pour autant, différents métiers et différentes entités d’un même groupe ont besoin de bénéficier d’un accès granulaire – c’est-à-dire adapté à ses besoins propres – à de la donnée extra financière pertinente (rationalisée) et fiable (de qualité)
Ainsi se joue pour le reporting extra financier une nouvelle phase en 2020 et au-delà : la remise à plat des besoins – toujours grandissants – et des données – à la volumétrie toujours croissante – pour en assurer la pertinence et la conformité.
Convergence des taxonomies et pratiques ESG et RSE
L’intérêt des investisseurs et acteurs financiers pour l’ESG est réel et croissant. Pour des professionnels de la RSE, pouvoir s’allier avec les Directions Financières et bâtir des coalitions avec les investisseurs et actionnaires sur des sujets environnementaux, sociaux ou éthique a une grande valeur.
Pour autant, ces communautés ne parlent pas le même langage, travaillant avec des concepts, une taxonomie et des objectifs différents. La convergence thématique ne peut pas progresser sans davantage de convergence des taxonomies et pratiques ESG et RSE.
- La convergence taxonomique doit permettre aux acteurs de parler le même langage. La finance verte européenne fait un effort de taxonomie très attendu en 2020. Gageons que ce sera un pas en avant pour permettre une plus grande convergence avec la taxonomie RSE
- Les pratiques s’harmonisent petit à petit. La conception d’un reporting extra financier concernant des actifs se structure progressivement selon des standards qui se rapprochent de ceux trouvés dans le reporting extra financier des entreprises
Dans un contexte où la pression et la demande en performance environnementale, sociale et éthique des entreprises et actifs s’accélère, la convergence des taxonomies et pratiques des professionnels de l’ESG et de la RSE va faciliter la mobilisation de moyens à même de faciliter la transformation des pratiques des entreprises.
Accès du reporting extra financier aux PME / TPE
Enfin, le reporting extra financier se diffuse dans des maillons d’entreprises toujours plus petites.
- C’est une volonté du régulateur qui élargit progressivement la base des entreprises éligibles à différentes incitations extra financières et doivent reporter de l’information à cet égard
- C’est dans la nécessité de différents programmes portés par les grands groupes. Par exemple, différentes démarches par filières ou d’achats responsables impliquent que la sous-traitance soit en mesure de reporter de l’information extra financière – ce qui pénètre naturellement des tissues de PME / TPE
- C’est enfin évidemment dans l’intérêt de PME / TPE qui, au-delà de répondre aux requêtes de leurs clients, voient progressivement leurs propres parties prenantes demander de l’information (banques en discussion de gestion de créance par exemple)
Dans cet esprit, la Plateforme RSE a recommandé, fin 2019, à la Banque de France d’élargir la part des entreprises faisant l’objet d’une analyse extrafinancière dans le cadre de sa cotation (3 500 à ce jour), en commençant par les 40 000 entreprises donnant déjà lieu à une analyse financière qualitative, avant de l’étendre à l’ensemble des 270 000 entreprises soumises à sa cotation. Et à Bpifrance de prendre en compte de manière « systématique et explicite » des critères ESG dans ses décisions de financement et d’investissement, afin « de mieux appréhender, d’une part, les risques liés à la non-prise en compte des critères ESG et, d’autre part, la création de valeur durable et responsable, notamment en ce qui concerne les créations d’entreprises », et de reconduire l’enquête menée par le Lab Bpifrance sur la RSE dans les PME-ETI.
Conclusions : Le reporting extrafinancier soumis à des mutations profondes
Le reporting extra financier est souvent critiqué pour son peu de lisibilité, et l’effort qu’il induit rapporté finalement au faible nombre d’interlocuteurs qui l’étudie dans le détail. Autant d’efforts et de ressources plus utiles à déployer avant tout dans la définition et l’exécution de stratégies de transformation des entreprises et actifs vers davantage de performance environnementale, sociale et éthique, plutôt que du reporting inefficace et inaudible.
Dans cette logique, ce qui se joue en 2020, dans un contexte réglementaire international toujours plus en convergence, c’est finalement trois éléments:
- La clarté des objectifs poursuivis, instruits par l’identification claire de sa matérialité extra financière et la mise en ordre de stratégies et actions en pleine cohérence
- La gestion stratégique de la donnée extra financière, afin d’en assurer la rationalisation, la pertinence et la qualité, et organiser les transformations offertes et attendues par le Big Data
- L’agilité et la capacité à fournir de l’information pertinente à une hétérogénéité croissante d’acteurs, d’entités et de parties prenantes. A cet effet, la convergence taxonomique et pratique des thématiques RSE et ESG reste on ne peut plus que nécessaire et utile pour accélérer les transformations au rythme attendu dans la décennie 2020 pour conserver et nourrir la compétitivité de nombres d’actifs et d’entreprises en plein décrochage par rapport aux virages digitaux, environnementaux et sociaux en cours
Auteur de différents ouvrages sur les questions de RSE et développement durable. Expert international reconnu, Farid Baddache travail à l’intégration des questions de droits de l’Homme et de climat comme leviers de résilience et de compétitivité des entreprises. Restez connectés avec Farid Baddache sur Twitter @Fbaddache.